ACTE Ill - Scène 2 : lecture méthodique (la scène du pauvre) Regardez le Don Juan de Molière, et vous...
Extrait du document
«
ACTE Ill - Scène 2 : lecture méthodique (la scène du pauvre)
Regardez le Don Juan de Molière, et vous allez pressentir le
XVIII e siècle.
Il y a quelque chose de voltairien dans son
sourire.
J.
Janin, 1848.
Introduction
1.
Contextualisation de la scène en fonction de ce qui précède.
Nous
sommes au début de l'acte III, seule une scène s'est donnée: quel rapport
marquer entre la scène 1 et la scène 2 ?
À l'acte II, sous deux déguisements, Don Juan et Sganarelle errent dans
la forêt.
Le répit de la scène 1 est l'occasion pour Sganarelle de lancer une
nouvelle discussion o� il _voudrait parvenir à convaincre Don Juan de
l'existence de Dieu.
Le libertin, lui, ne croit obstinément qu'à l'arithmétique
(« Je crois que deux et deux sont quatre»).
Sganarelle est un apologiste
(défenseur de la religion chrétienne) un peu bouffon mais ses raisons ne
sont pas si mauvaises au regard du dogme : pour lui, Dieu se dévoile aux
humbles et aux petits et non aux savants ; si le monde existe, il lui faut un
créateur ; enfin, « il y a quelque chose d'admirable dans l'homme» : l'âme
qui conduit le corps.
Don Juan est incrédule et se gausse de Sganarelle qui finit son éloge des
possibilités de l'âme en tombant.
2.
Présentation de la scène (non pas un résumé mais la mise en relief des
grandes lignes de force dramaturgiq°:es)
Alors que les deux hommes semblent s'être égarés, ils trouvent sur leur
route un pauvre qui est un ermite de la forêt.
Ils lui demandent le bon
chemin« qui mène à la ville».
Don Juan se moque de sa pauvreté acceptée
par le Ciel (moyen de reprendre indirectement le débat avec Sganarelle) et
il en profite pour tenter de faire blasphémer ce croyant en échange d'un
louis d'or.
3.
Problématique
Épisode survenu au hasard de la course de Don Juan, la scène 2 de l'acte
III a été, après la première représentation, une des scènes les plus censurées
de la pièce.
Tous les stratagèmes de tentation développés par Don Juan ont
été jugés scandaleux et donc supprimés.
(a) Alors qu'il pouvait trouver la
chance d'être charitable, l'aristocrate Don Juan veut, en diable tentateur,
prouver grâce à l'or la fragilité de la croyance religieuse.
Il met le pauvre à
la torture de sa parole séductrice.
Mais ce dernier résiste et l'athée essuie
apparemment un nouvel échec.
(b) En vérité, Don Juan oblige le pauvre à
parler de sa foi ; or cette foi n'est pas vécue sans ambiguïté car elle confond
le respect de Dieu avec le respect des privilèges sociaux (« Je ne manquerai
pas de prier le Ciel qu'il vous donne toute sorte de biens» : dont la richesse
matérielle).
(c) L'enjeu subversif de cette scène ne résiderait non pas tant
dans les passages oblitérés par la censure que dans les déclarations même
du pauvre touchant.à sa conception du devoir de charité : il apparaît, en
effet, servir mieux l'ordre social des puissants que la religion.
Réflexion méthodologique pour l'élaboration de la problématique
1.
la problématique peut se dessiner à partir de la lecture (qui est déjà
une interprétation) faite au xvne siècle de cette scène: pourquoi l'avoir
censurée? En quoi la scène a-t-elle pu paraître scandaleuse? (ce qui oblige
à ne pas couper l'œuvre de son contexte historique mais à l'éclairer avec
l'histoire des mentalités).
2.
Quelles sont alors les thèses en présence: le libertin, « l'esprit fort»,
contre le croyant sincère? Comment s'affrontent-ils? Comment Don Juan
veut-il parvenir à ses fins (évaluer le rôle diabolique de la pièce d'or; être
attentif au choix des mots utilisés par le tentateur).
3.
Qui a raison? Don Juan est-il seulement un athée ou dit-il vrai sur
l'intérêt du pauvre? Le pauvre est-il, en somme, le meilleur représentant de
la religion face à l'infamie (à comparer avec l'orthodoxie chrétienne: ne
pas oublier que les hommes au xvne siècle étaient pétris de culture
religieuse)? Que signifie enfin pour Don Juan céder la pièce « pour
l'amour de l'humanité»?
Composition du texte
Le texte, construit en trois étapes, obéit à une tension dramatique.
Don
Juan provoque d'abord le pauvre dont les conseils lui semblent trop
intéressés puisqu'il demande une aumône puis il raille sa misère,
considérant qu'il est mal récompensé du service qu'il rend au Ciel.
Enfin,
au paroxysme de la lutte, il exige du pauvre qu'il blasphème pour obtenir le
louis d'or qu'il lui tend.
a.
Perturbations du mystère de la charité
Dans la forêt, Don Juan et Sganarelle rencontrent un pauvre qui vit là en
ermite.
La forêt est un espace intermédiaire et double : elle permet
l'affrontement de deux êtres que tout sépare: le diable, Don'Juan, et la forêt
est alors le lieu sauvage du chasseur et Dieu, le Pauvre, et la forêt se
change en lieu de solitude et de retraite.
D'abord perdu, Don Juan va rapidement reprendre à son compte la scène
et la diriger à son envie.
Il s'agit, avant tout, de retrouver le bon chemin
dans le labyrinthe de la forêt.
Par convention, le valet, et non le maître,
interroge le pauvre sur le chemin à suivre.
Une situation de hiérarchie (Don
Juan> Sganarelle> le Pauvre) s'établit d'emblée.
Le pauvre indique le chemin à suivre.
Simple informateur, le
personnage assure aussi une fonction symbolique (d'où l'anonymat de ce
pauvre qui représente tous ceux de sa condition): il montre la bonne voie,
celle du salut.
Salut physique, en prévenant de la présence d'éventuels
voleurs ; salut moral en donnant à Don Juan l'occasion de se racheter en
échange d'une offrande charitable (« une aumône»).
Il faut prendre à
droite, insiste le pauvre: dans les Jugements derniers, la main droite de
Dieu protège les élus prêts à entrer au Paradis.
En 1659, chez les Filles de la Providence, Compagnie fondée par
Vincent de Paul, Bossuet prononce un sermon Sur l'imminente dignité des
pauvres dans l'Église.
Le prédicateur exhorte le riche à soulager les
malheurs du pauvre car le pauvre doit être secouru pour l'amour du Ciel
Entrez en commerce avec les pauvres ; donnez et vous recevrez :
donnez les biens temporels, et recueillez les bénédictions
spirituelles ; prenez part aux misères des affligés et Dieu vous
donnera part à leurs privilèges.
Les pauvres entendent le mystère de la charité ; aux yeux de l'Église, ils
occupent la première place et sont ses véritables enfants.
Ainsi le riche doit prendre en charge le pauvre ; il doit donner ce qu'il a
à celui qui n'a pas, en vertu d'une relation d'amour.
En échange, le pauvre
permet l'accès spirituel au mystère de Dieu.
Le pauvre assure le soutien de
l'âme, le riche aide matériellement.
Le pauvre dans Don Juan se revendique de la théologie de la charité.
Il
est, de fait, pleinement fondé à demander, d'ailleurs très humblement (« si
vous vouliez, Monsieur ...»), le don d'une aumône.
Don Juan devrait
s'exécuter.
Mais il entend mal ce pur don auquel il lui faudrait se plier.
Sourd au système de l'échange charitable, de mauvaise foi, Don Juan prend
au pied de la lettre la réclamation du pauvre et il l'inscrit au sein du système
des échanges économiques, donnant-donnant.
Car il faut s'entendre : le pauvre « donne avis» ; il s'agit donc bien d'un
don, et Don Juan peut, ironiquement, lui rendre« grâce».
Il ne saurait être
question d'un service.
Or maintenant le pauvre sollicite une rétribution !
Oubliant les devoirs de sa caste, car, en réalité, le pauvre ne vend pas son
avis, Don Juan essaie de le prendre en faute.
Il pervertit simplement les lois
théologiques.
Le « Seigneur méchant homme» est déjà ici dans son rôle de
diable, piégeant à force de cynisme et d�tournant par ses arguments
fallacieux le code de la charité.
Don Juan inverse la logique de la charité et îl commet un premier
blasphème*.
Face à cette attitude, le pauvre rappelle sa modeste condition
et à travers elle l'obligation de charité qui lui est due.
Mais il suffit qu'il
prononce le mot « Ciel » pour qu'aussitôt, se sentant défié, Don Juan
réagisse.
Don Juan est un impulsif, plus que le calcul il goûte
l'improvisation.
La polémique survient au hasard de la rencontre, sans
préméditation.
Avec morgue*, il constate le total dénuement du pauvre et l'invite à
exiger de Dieu un habit (« qu'il te donne un habit»).
À Dieu revient le
statut d'un simple marchand, d'un tailleur comme le bourgeois....
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓