ACTE IV, SCÈNE 5 Horace arrive, triomphant, et demande à Camille de se réjouir de la victoire; elle refuse et...
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ACTE IV, SCÈNE 5
Horace arrive, triomphant, et demande à Camille de se réjouir
de la victoire; elle refuse et se lamente sur la perte de Curiace
(v.
1251-1267).
Horace l'exhorte à nouveau, avec colère; elle lui
reproche sa cruauté et finit par le maudire (v.
1268-1294).
Il la
menace et lui parle brutalement en invoquant Rome; elle maudit
alors Rome avec frénésie (v.
1295-1318).
Horace la tue pour la
punir de ce qu'il considère comme un crime (v.
1319-1322).
COMMENTAIRE
Du défi à l'affrontement
Horace revient en vainqueur sans remords, Camille a décidé de pleurer
son «amant » envers et contre tout.
La scène 5 est la confrontation de deux
«raisons» antagonistes qui sonnent comme deux folies inconciliables.
l'.affrontement entre l'héroïsme amoureux et l'héroïsme patriotique ne peut
qu'avoir lieu.
Camille a choisi un devoir contre un autre devoir:· montrer
«Ce que doit une amante à la mort d'un amant» (v.
1250)
et refuser
«ce qu'[elle] dott à l'heur [fin heureuse] de la victoire» [de son frère]
(v.1256).
Pris dans le même dilemme initial, les deux héros ont adopté des partis
contraires et sont devenus des ennemis irréductibles.
La scène commence par un double défi: celui d'Horace à la douleur de
Camille, celui de Camille à l'honneur d'Horace.
La violence va monter par
paliers: Horace va passer de l'ordre brutal à la menace, Camille renchérit
par deux malédictions successives.
Le meurtre de Camille est l'aboutissement d'un crescendo continu de violence verbale.
Un violent combat de mots
Les paroles d'Horace font alterner deux registres.
Le premier est celui de l'exhortation patriotique.
Sa première tirade,
orchestrée avec éclat et pompe, donne le ton.
Ble s'amorce par un «Ma
sœur» et se construit en périodes, balancées en groupes binaires ou ternaires, structurées nettement par des reprises de mots ou de constructions
(«voici le bras qui..., le bras qui...
qui.
..
; enfin voici le bras qui...; vois ces...,
ces...
, et rends ...
»).
Avec une fausse modestie ostentatoire, le «je» y disparaît par une synecdoque («le bras» pour «moi», c'est-à-dire la partie pour le
tout) et le recours au «nous» patriotique.
Cette tirade est extrêmement
théâtrale puisqu'elle désigne concrètement le bras d'Horace et les armes
de ses ennemis prises comme trophée (« ces marques d'honneur, ces
témoins de ma gloire») représentés sur scène par le corps de l'acteur et les
accessoires.
Cet effacement orgueilleux du héros dans une sorte d'anonymat se marque encore dans l'emploi de la sentence (v.
1261, v.
1321-1322)
et dans la personnification de la ville de Rome (v.
1258, v.
1300).
Quant aux
impératifs lancés à la fin de la tirade, ils seront omniprésents dans la sutte
des propos d'Horace jusqu'aux mots ironiques qui accompagnent à la fin le
coup d'épée.
Ce registre alterne avec celui de la colère indignée, caractérisé par les
exclamations (v.
1268-1272, v.
1321-1322, v.
1295) et les fausses interrogations menaçantes {v.
1267, v.
1296-1297).
Les deux registres ont un même but : empêcher Camille de parler de sa
douleur en lui imposant le discours de la fidéltté familiale et patriotique.
Face
à cela, Camille va parler de son «amant» (v.
1265), le nommer (v.
1267),
reprocher sa mort à Horace (v.
1280) et finalement «dégénérer» en opposant à l'impératif du frère tyrannique le subjonctif de souhait de la fille qui
maudit son frère et sa patrie, à la gloire aveugle du «tigre altéré de sang» le
délire peut-être prophétique d'une femme folle de douleur, «comme une
furie attachée à [ses] pas».
Deux mots répétés scandent les étapes de ce combat et les deux sommets de la scène: le mot «Rome», deux fois prononcé par Horace, avant
d'être répété quatre fois par Camille et le nom de «Curiace», deux fois
invoqué par Camille avant d'être repris par Horace au moment du meurtre.
Une recherche du spectaculaire
Autant de défis de Camille, autant de cris d'amour toujours plus violents :
de la provocation encore contenue par un reste de pudeur au vers 1257
on passe à l'exclamation du vers 1267, puis à l'impératif pathétique du
vers 1280 : là apparaissent métaphores et comparaisons, figures de styles
rares dans l'ensemble de la pièce, livrant des images violentes, les mêmes
que celles utilisées dans les descriptions de combats guerriers
(« flammes ,, et «sang », "furie » et «tigre »).
Horace voulait imposer à sa
sœur un spectacle de gloire (« voici le bras », «Vois ces marques d'honneur»), elle lui oppose celui d'une véritable métamorphose:
«Ne cherche plus ta sœur où tu l'avais laissée ;
Tu ne revois en moi qu'une amante offensée ,, (v.
1283-1284).
Horrible vision pour un frère, qui laisse Horace stupéfait :
"ô ciel ! qui vit jamais une pareille rage ! »(v.
1295).
C'est comme si chacun des deux personnages incarnait un des deux
signes sous lesquels se plaçait le baroque selon J.
Rousset (La Uttérature
de l'âge baroque en France, J.
Corti): la métamorphose et l'ostentation.
Mais ce triomphe baroque de l'apparence, loin d'exalter l'inconstance et
l'éphémère, révèle ici la fidélité profonde des personnages à eux-mêmes.
La répétition du verbe «voir ,, est significative, dans une scène où, par
ailleurs, abondent les suggestions de gestes et où apparaissent même des
indications scéniques, absentes dans le reste du texte (et rares en général
dans le théâtre classique).
C'est qu'on arrive aussi à un moment de la pièce
où l'action ne se fera plus dans les coulisses : le décalage entre les événements publiques et les nouvelles qui les faisaient entrer dans la maison des
Horaces, si fertile en effets dramatiques, est aboli, tout va maintenant se
jouer sous nos yeux.
Corneille, avec la fureur et la mort de Camille, pousse le
spectacle jusqu'à la limtte extrême des« bienséances »classiques.
Mais, comme on volt parfois la représentation d'un tableau à l'intérieur
d'un tableau, de même dans cette scène en elle-même spectaculaire
s'insère une vision : les malheurs que Camille souhaite aux Romains sont
peints avec une telle énergie qu'ils s'imposent à l'imagination de !'auditeur
comme le ferait une hallucination (c'est ce que l'ancienne rhétorique appelait une hypotypose).
Les «imprécations» de Camille (v.
1301-1318)
Ce passage célèbre de la pièce est traditionnellement désigné par une
sorte de titre: les imprécations de Camille vmprécation est un terme littéraire
signifiant «souhait de malheur contre quelqu'un» et la plupart du temps utilisé pour parler des malédictions dans les tragédies).
On peut donc le comparer à ce qu'est un «grand air» dans un opéra.
On attend cette tirade,
comme on attend d'autres tirades hallucinées du répertoire.: le «songe [rêve]
d'Athalie• ou la «fureur [folie] d'Oreste• (dans Athalie et Andromaque de
Racine).
Ble fait de Camille un rôle de rêve pour jeunes actrices frénétiques:
on raconte qu'au XIX8 siècle la grande actrice Rachel en sortait couverte de
sueur et prise de convulsions et qu'elle devait garder le llt tard le lendemain.
Pourtant ce serait mal comprendre le passage que de le réduire à la
fureur morbide d'une femme passionnée: c'est surtout la prophétie grandiose d'une femme qui devient par son délire une voyante, comme les
pythies de la Grèce antique ou les sibylles, et qu'il faut restituer dans le
contexte de la pièce.
Le passage fait écho aux différentes tentatives de révolte déjà représentées: celle de Curiace (v.
480-482), celle de Sabine Oe mot •tigre» du vers
1287 est déjà prononcé par Sabine au vers 694).
Il entre surtout dans une
série de rappels et de prédictions qui inscrivent la tragédie dans l'histoire entière de Rome.
Sabine, dès la première scène, avait rappelé les
origines de Rome (v.
52-56), la future.conquête du Latium puis de tout le
monde connu de l'époque (v.
39-51), de «tout l'univers», dira après elle le
vieil Horace (Ill, 5, v.
987-991).
Camille prophétise ici, dans un style imagé
et obscur qu'on dit être celui des sibylles, la fin de cette histoire: guerres
intestines et invasions par des peuples «des bouts de l'univers» (v.
1309,
peuples barbares, Goths, Parthes ou Huns qui s'introduiront aussi peu à
peu dans les tragédies de Corneille: Rodogune, Atü/a...).
La tragédie des
Horaces, ramassée en une seule journée, contient ainsi en germe la tragédie millénaire de tout un peuple.
La tirade commence par quatre vers qui sont quatre phrases nominales
exclamatives avec anaphore* du mot «Rome•, mot qui était le dernier de la....
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