(Aimery de Béligné, étudiant, et Pomme, petite coiffeuse, ont leur premier rendez-vous à la terrasse d'un café.) Quelque chose était...
Extrait du document
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(Aimery de Béligné, étudiant, et Pomme, petite coiffeuse, ont leur premier rendez-vous à
la terrasse d'un café.)
Quelque chose était en train de se passer.
Aimery parlait à Pomme.
Il parlait très vite et
très petit, comme écrivent certaines personnes, en serrant les mots.
Pomme ne disait
rien.
Une partie d'elle-même écoutait; mais seulement une petite partie.
Tout le reste
commençait à s'enfoncer dans Veau tiède, presqu'un peu trop, d'une rêverie indéfinie.
Quelque chose changeait.
Pour le jeune homme aussi.
Les gens allaient et venaient
devant ce couple banal sans rien remarquer, sans même les regarder vraiment.
Eux non
plus ne voyaient pas les gens.
Tout cela n'était presque rien.
Peut-être une infime modification dans la teinte et la
consistance des choses devant eux : de la houle de chocolat, évidemment, mais aussi
des coupes, et de la petite table ronde.
La voilà qui se déroulait, Pomme, elle jusque-là si
close, l'âme en colimaçon : son silence faisait deux petites cornes du côté d'Aimery, se
rétractant parfois, mais point complètement, quand le jeune homme posait trop
longuement le regard sur elle.
Pendant un moment leurs pensées glissèrent côte à côte, solitaires.
Chacun s'enfermait
sur lui-même, sans chercher à dévider le cocon où Vautre s'était de même enfermé.
Ils
ne sentaient pas que, dans cette solitude, moins d'une heure après qu'ils s'étaient
rencontrés, résidait le possible désir d'une vie à deux.
Pascal Laine, la Dentellière
A première vue, il n'y a rien à dire du texte de P.
Laine.
Lisse, transparent, immédiat,
racontant une histoire tellement banale qu'elle disparaît d'ailleurs (il n'est jamais
question du rendez-vous d'amoureux, dont parlent les conseils qui suivent le texte), cet
extrait présente une forme de difficulté à laquelle les élèves sont mal habitués.
C'est si
vrai que les indications qui suivent proposent purement et simplement un plan à suivre,
comme si tout le monde savait bien que les candidats resteraient perplexes devant un
texte comme celui-là.
Rien à dire en effet, si « en dire quelque chose » consiste à apprécier l'originalité ou la
banalité de l'aventure, s'il s'agit de porter, par un biais ou un autre, un jugement de
valeur sur le texte.
Rien à dire non plus, si le commentaire doit mener à « trouver le sens du texte » : ce «
sens » est exhibé, si l'on s'en tient à l'aventure; sinon, il est inexistant : la rencontre
entre Pomme et Aimery n'a ni plus ni moins de sens que celle de Julien avec Mme de
Rénal, ou que celle de Madame Bovary avec Léon.
Ce n'est pas le sujet qui compte, mais
plutôt, comme au cinéma, la mise en scène ou le style du réalisateur.
Et pourtant, il faudra bien en dire quelque chose...
Premières remarques
1) Le récit (à l'imparfait) est mené de façon absolument traditionnelle : un narrateur qui
sait beaucoup de choses (« ils ne sentaient pas que, dans cette solitude...
») manipule
des personnages.
2) Ces personnages n'ont d'autre existence que leurs noms, mais leurs noms sont
intéressants : Aimery et Pomme.
On devra y revenir.
3) Le texte accumule des indéfinis : « Quelque chose était en train de se passer.!...]
Quelque chose changeait.!...] Tout cela n'était presque rien », etc.
Pourquoi, à l'intérieur
du récit, cette dérision du récit?
4) Les images appartiennent à deux registres : le petit (Pomme, une infime modification,
colimaçon, deux petites cornes...); le rond (Pomme, boule de chocolat, coupes, table
ronde, colimaçon, cocon...).
Les noms
Il est évident qu'ils ne sont pas choisis au hasard ni innocemment :
— AIMERY : prénom moyenâgeux.
Pour Pomme et pour le lecteur d'aujourd'hui, ce
prénom connote l'aristocratie (grande famille; la particule de en fait foi), donc élégance,
distinction, finesse, snobisme (mais de bon goût; cf.
la vogue des Arnaud, Thibaut,
Renaud).
— POMME : non pas un prénom, mais un surnom, et un surnom populaire (avec peutêtre même la connotation supplémentaire : une pomme —■ ou une poire — c'est-à-dire
une brave fille, un peu naïve et facile à éblouir).
Non seulement ce surnom ne fait pas « sérieux », mais il infériorise la jeune fille par
rapport à son compagnon (ce que prend en compte la ligne d'introduction : « Pomme,
petite coiffeuse »).
Dotée d'un surnom pareil, Pomme ne peut évidemment ni appartenir
au « monde », ni même être une « dame ».
Enfin son surnom comporte une dernière
connotation enfantine cette fois : avec sa syllabe brève et toute ronde, le surnom de
Pomme « fait petite fille », autant que le nom à rallonge « Aimery de Béligné » fait
homme du monde, long, mince et distingué.
Le mince opposé au rond (Pomme), c'est
encore une manière d'éloigner les mondes auxquels appartiennent les deux personnages,
puisque la catégorie du mince est aristocratique, et celle du rond ou du dodu, populaire.
Autant dire que les noms engagent le texte sur une certaine voie : une « histoire » entre
une fille qui s'appelle Pomme et un garçon qui se nomme Aimery de Béligné appartient
très exactement aujourd'hui au registre du roman-photo, du roman « sentimental », ou
du....
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