Aldous Huxley et « Le Meilleur des Mondes » UN ÉCRIVAIN DANS SON SIÈCLE Né en 1894, à Goldaming, dans...
Extrait du document
«
Aldous Huxley et « Le Meilleur des Mondes »
UN ÉCRIVAIN DANS SON SIÈCLE
Né en 1894, à Goldaming, dans le Surrey, en Angleterre, Aldous Leonard Huxley appartenait
à une famille illustre.
Son grand-père paternel, Thomas Henry Huxley, fut un des plus
importants naturalistes anglais du XIXe siècle et le compagnon de Darwin.
Son père, le
docteur Leonard Huxley, écrivit des biographies de savants célèbres ; sa mère, une des
premières femmes diplômées de l’Université d’Oxford, se passionna pour les problèmes
pédagogiques et fonda une école de filles très cotée.
Son propre frère, Julian, considéré
comme l’un des biologistes influents du XXe siècle, fut de 1946 à 1948 le premier secrétaire
général de l’UNESCO.
Aldous Huxley s’est donc formé dans un milieu largement ouvert au
débat d’idées, fortement marqué par les préoccupations philosophiques et, surtout,
scientifiques.
D’ailleurs, le jeune Aldous, qui fit ses études à Eton et Oxford, se destinait à la recherche
médicale lorsque, à l’âge de seize ans, il devint presque aveugle : sa vie entière sera marquée
par la lutte contre la cécité.
Même si son état s’améliora par la suite, il ne recouvra jamais
une vision normale.
La médecine et la recherche en biologie lui étant de ce fait interdites, il
se consacra au journalisme, à la critique dramatique et à la littérature.
Mais il a continué de
s’intéresser à la biologie et à la médecine qui ont toujours constitué pour lui un sujet de
réflexion fondamental et une source d’inspiration littéraire.
Ainsi, l’intrigue du Meilleur des
Mondes repose, pour une part non négligeable, sur une anticipation des progrès qui
pourraient être accomplis dans ces disciplines.
Les premiers succès
On distingue généralement deux périodes dans la carrière d’Huxley écrivain.
Dans une première période qui s’étend jusque vers la fin des années 1920, Huxley écrit
surtout, outre deux recueils de poèmes, des romans satiriques et brillants : Jaune de chrome
(1921), Cercles vicieux (1923), Marina di Vezza (1925).
Huxley se veut alors l’artisan d’une double libération : celle des mœurs et celle de
l’individu face aux pouvoirs.
Mais, en même temps, il exprime une vision assez pessimiste
d’un monde, d’un avenir où l’humanisme et la culture sont menacés.
Toutefois, dans
l’ensemble, la tonalité des œuvres de cette période demeure plutôt allègre, aimablement
cynique : on peut y déceler l’influence de Marcel Proust, d’Anatole France, du romancier
anglais Thomas Love Peacock, des philosophes du XVIIIe siècle.
C’est avec la parution de
Contrepoint (1928) que s’achève la première période de l’œuvre d’Huxley ; sans se départir
de son ton ironique, il approfondit dans ce texte des recherches de technique littéraire dont
il usera, avec plus de discrétion, dans Le Meilleur des Mondes.
En 1919, Huxley avait épousé une jeune Belge, Maria Nys.
Un peu plus tard, il devait se
remarier avec une violoniste et psychothérapeute italienne, Laura Archera.
De 1923 à 1930,
il vécut en Italie.
Puis il s’établit dans le Midi de la France où il demeura quelques années.
Un écrivain se penche sur l’avenir
C’est en 1932 que paraît Le Meilleur des Mondes.
Ce roman, sans conteste le plus célèbre
d’Huxley, inaugure la seconde période de l’écrivain presque tout entière consacrée à une
interrogation anxieuse sur l’avenir de l’humanité.
Le Meilleur des Mondes est un récit
d’anticipation qui évoque une société future sinistrement uniformisée et techniciste, divisée
en castes prédéterminées, un univers dont l’organisation signifie la fin de l’individu, de la
personne.
En 1949, Huxley, qui, depuis 1937, s’est installé à Los Angeles, en Californie,
imagine avec Temps futurs les débuts de l’ère post-atomique : après un ultime conflit
nucléaire et bactériologique, les rares survivants américains ont fondé une société
démoniaque, dominée par le culte de Satan.
En 1959, dans un essai au titre significatif, Retour
au meilleur des mondes, il analyse l’inquiétante progression des nouvelles formes de
totalitarisme et des techniques d’asservissement de l’homme, et il se déclare persuadé que
la fiction qu’il avait imaginée près de trente ans plus tôt dans Le Meilleur des Mondes est en
passe de devenir réalité : « [...] les prophéties faites en 1931 se réalisent bien plus tôt que je
le pensais.
» En 1946, il avait déjà tiré des conclusions analogues dans une préface rédigée
pour une nouvelle édition du Meilleur des Mondes.
Contre ces menaces qui pèsent sur l’espèce humaine Huxley ne cesse de lutter avec ses
armes d’intellectuel et d’écrivain.
Outre ses romans, il multiplie, des années 1930 à sa mort
en 1963, les essais, articles, conférences.
Il dénonce le militarisme, les idéologies totalitaires,
l’accroissement incessant du pouvoir des Etats et des grandes entreprises.
Pour que soit
sauvegardée la liberté de l’homme, il propose les remèdes de la décentralisation politique et
économique, de l’exigence morale comme critère nécessaire de toute action, du pacifisme.
Cependant, il ne fut pas toujours facile à Huxley d’assumer ses opinions pacifistes.
Quand
éclata la guerre de 1939, cet Anglais résidant en Californie, cet intellectuel anti-totalitaire
connut des moments de doute et d’angoisse.
Il n’en resta pas moins convaincu de la justesse
de ses positions...
Bien sûr, on peut aujourd’hui juger l’attitude d’Huxley difficilement
défendable et pour le moins contradictoire.
Face à l’agression hitlérienne, le pacifisme
n’était-il pas le plus sûr moyen de hâter l’avènement d’un « Meilleur des Mondes » nazi ? Il
ne faut cependant pas oublier, en l’occurrence, qu’Huxley appartient à une génération
profondément marquée par le premier conflit mondial et prête à bien des concessions pour
éviter que pareil drame ne se reproduise.
Beaucoup d’artistes et d’intellectuels, peu suspects
de sympathie pour le nazisme, ont adopté à la même époque une attitude semblable à la
sienne.
Ce fut le cas, en France, d’André Gide comme de Jean Giono, et en Angleterre du
compositeur Benjamin Britten qui, mobilisable, refusa de porter les armes.
Quoi qu’il en soit, les débuts de la guerre froide, juste après que les anciens alliés eurent
écrasé la tyrannie nazie, ne firent que conforter Huxley dans son pacifisme intégral :
l’extrême tension entre les U.S.A.
et l’U.R.S.S., entre deux puissances dotées de l’arme
atomique, signifiait clairement que toute guerre comporterait dorénavant un risque de totale
destruction de l’humanité.
Un esprit aux multiples facettes
Dans son combat pour l’homme et pour la paix, Huxley s’est souvent appuyé sur les religions
orientales, comme le taoïsme ou le bouddhisme ; il y voyait une forme de pensée
harmonieuse, conciliant l’esprit et la nature, associant le mysticisme à une philosophie
rigoureuse, un art de vivre et une morale politique et sociale.
Pendant les dernières années
de son existence, ses écrits témoignent d’une volonté de concilier la pensée traditionnelle
orientale avec les acquis de la science occidentale.
Idéaliste rationaliste, c’est ainsi qu’Huxley s’était lui-même défini dès 1937 dans un essai
intitulé La fin et les moyens.
Idéaliste, il l’est par sa croyance en l’homme, par la place
prédominante qu’il accorde à la morale, par ses inquiétudes métaphysiques et religieuses.
Mais en même temps son sens du concret, son intérêt pour les sciences exactes, son souci
constant d’étayer, d’argumenter les positions qu’il prend font de lui un rationaliste, proche
des philosophes du XVIIIe siècle.
Aussi la réflexion d’Huxley se situe-t-elle au croisement de
la politique, de la religion, des sciences et de l’art.
Esprit encyclopédique, il a tenté de penser
les rapports entre ces différents domaines afin de mieux armer la conscience des hommes
contre les abus des pouvoirs et les différentes formes d’aliénation.
Quand il mourut à
Hollywood d’un cancer de la gorge le 22 novembre 1963, il laissait une œuvre abondante où
réflexion rigoureuse, lucidité et imagination s’allient.
« LE MEILLEUR DES MONDES » DANS SON CONTEXTE HISTORIQUE
Nous avons déjà souligné que Le Meilleur des Mondes revêt dans l’œuvre d’Huxley une
importance primordiale.
D’abord, parce qu’il en est le titre le plus connu.
Ensuite, parce qu’il
marque le tournant décisif de l’évolution intellectuelle et artistique de l’écrivain.
C’est dans
ce roman qu’Huxley pose (et se pose) pour la première fois, à propos de l’avenir de
l’humanité, un certain nombre de questions que l’on retrouvera en filigrane dans tous ses
ouvrages ultérieurs.
Contrairement aux écrits précédents où le pessimisme n’était qu’un motif à variations
ironiques, Le Meilleur des Mondes traduit une angoisse profonde : de nombreuses pages sont
empreintes d’une gravité morale, voire métaphysique, que l’on chercherait en vain dans les
textes antérieurs.
Enfin, on devine, dans ce nouveau roman, une volonté très claire d’agir sur
le public, de l’avertir, de le mettre en garde : manifestement, Huxley a conçu son œuvre
comme une arme contre tout ce qui lui semble menacer la dignité humaine.
En somme, il est
devenu, au sens non partisan du terme, un auteur « engagé ».
Nous savons qu’il le restera
désormais jusqu’à sa mort.
Les causes d’une telle évolution, chez l’écrivain, sont diverses.
Elles sont d’abord en partie,
naturellement, d’ordre personnel.
Quand il rédige le texte qui, aux yeux de beaucoup, sera
son chef-d’œuvre, Huxley a trente-sept ans, il a déjà connu deux mariages et un divorce ;
l’expérience l’a assagi, l’a rendu plus lucide : il n’est plus tout à fait le jeune littérateur brillant
et mondain de ses débuts.
Mais à ces raisons individuelles s’ajoute l’influence décisive d’un
contexte politique général qui s’assombrit et inquiète de plus en plus l’intellectuel humaniste
qu’est, avant tout, Huxley.
Le Meilleur des Mondes paraît en 1932 : il a donc été conçu et rédigé au milieu de l’entredeux guerres, alors que s’amorce une période de crise dont l’aboutissement sera le second
conflit mondial.
Cette crise est d’abord une crise économique : elle éclate, on le sait, aux ÉtatsUnis en 1929.
Mais elle gagne ensuite la plupart des pays européens où elle a une
conséquence politique majeure, celle de favoriser l’essor des mouvements, des partis
totalitaires.
La montée des totalitarismes
Elle constitue le phénomène historique le plus frappant des années 1930.
Toutefois, les
origines dudit phénomène remontent en fait à la fin du premier conflit mondial.
Ce sont les
difficultés de la Grande Guerre....
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓