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ARAGON - "Zone libre" - Le Crève-Coeur Fading de la tristesse oubli Le bruit du coeur brisé faiblit Et la...

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« ARAGON - "Zone libre" - Le Crève-Coeur Fading de la tristesse oubli Le bruit du coeur brisé faiblit Et la cendre blanchit la braise J’ai bu l’été comme un vin doux J’ai rêvé pendant ce mois d’août Dans un château rose en Corrèze [...] Mon amour j’étais dans tes bras Au dehors quelqu’un murmura Une vieille chanson de France Mon mal enfin s’est reconnu Et son refrain comme un pied nu Troubla l’eau verte du silence Dans le poème du Crève-Cœur, c'est la réalité géographique de la première strophe : la Corrèze. Ce hors-texte, en fait, est en dedans du texte, non pas de manière directe, politiquement ou historiquement, mais symboliquement.

La zone libre, c'est le temps d'une vie encore vivable, le temps des vacances et d'un bonheur (?) encore insouciant.

C'est ici : le vin doux de l'été; le mois d'août; le château rose; le jardin, la brise; l'instant de bel canto (sens?). Cette réalité symbolique de la zone libre n'est pas séparable non plus de l'autre réalité historique, celle de l'autre France, la France occupée.

Cette France-là aussi vient prendre sa place : sous la forme de bruits, de souvenirs, de chansons ; ce sera ici : le bruit des armes dans les blés ; le chagrin sans origine consciente; le parfum des larmes dans l'œillet, et le romarin; la douleur sans souvenir. Ainsi paraît se dessiner une structure simple : au temps du bonheur des deux premières strophes correspondrait le temps de l'angoisse des deux suivantes, la dernière ramenant la paix (pourquoi?).

En fait, c'est plus complexe : l'angoisse et la sourde inquiétude ne sont pas absentes des deux strophes du bonheur; le bonheur n'est pas totalement absent non plus des deux strophes « noires » : tristesse et cœur brisé, à côté du vin doux et du château rose; œillet et romarin dans le parfum des larmes; retour de l'aube à côté de la douleur. Il semble qu'en tout cas le poème s'ordonne autour de cette double tentation : celle de l'insouciant bonheur de l'été; celle de l'angoisse et du malaise.

On peut composer ainsi les deux premières parties du commentaire, la structure du poème fournissant la troisième ; le dépassement de ce tiraillement douloureux. Pour introduire 1) Si on sait que « zone libre » est une expression employée par la radio anglaise ou plutôt par la radio de la France libre émettant de Londres (le gouvernement « légal » de la France disait « zone non occupée », conformément au texte de la convention d'armistice), on peut partir de là : le titre à lui seul fait de ce poème un poème de résistance, au moins un poème patriotique, anti-vichyssois. 2) Si on ne connaît rien d'autre que les quelques indications données en même temps que le sujet (la date et le lieu de composition), on peut partir des questions que soulève le texte : à la fin du poème il s'est passé quelque chose, dans et peut-être par le texte. Qu'est-ce qui s'est passé? Pourquoi? Essai d'introduction Pendant que la France du Nord apprend à vivre occupée, une autre France est momentanément restée, fût-ce sous l'autorité de Vichy, libre.

Dans cette France-la l'illusion existe qu'un pouvoir français s'exerce encore sur une partie du territoire.

On pourrait alors se laisser aller : la guerre, après tout est pour le moment ailleurs.

La vie est là.

Pourquoi ne pas en jouir? Peut-être cette tentation est-elle à la source de Zone libre.

Mais ce poème parle pourtant aussi d une inquiétude mal définie, au point qu'il est écrit peut-être pour tenter de la comprendre et par là de la dépasser. 1) La tentation du bonheur Pour vivre ce bonheur, celui qui parle le texte et qui dit « je » semble disposer de tout : un château rose (un château de légende, une gravure de livre d'images), un coin de France libre (la Corrèze), un mois d'août à consommer comme une gourmandise (j'ai bu l'été comme un vin doux) qui fait un peu tout oublier tant elle enivre.

Un paysage de campagne aussi — la guerre c'est pour les villes, que bientôt les bombes transformeront en enfer : un jardin, des champs de blé, des fleurs qui sentent lourd et bon (l'œillet et le romarin).

Un amour enfin, une femme, dont par miracle je n'a pas été séparé.

Le monde se ferme autour de ce couple; les bruits du monde extérieur s'apaisent (le bruit du cœur brisé faiblit) tandis que la cendre étouffe les braises (la souffrance? la guerre? d'une façon générale tout ce qui est « à vif» là-bas, dans l'autre France? de plus, la braise, c'est rouge, et Aragon, poète, n'écrit pas au hasard). Il suffit, au fond, de tourner le bouton de la radio, ou de changer de poste : fading de la tristesse.

Le mot technique, le mot anglais ne signifie-t-il pas brouillage, parasites? Pouvoir ainsi brouiller la tristesse au point de la rendre inaudible, d'effacer les souvenirs, quelle tentation contre la peur et l'angoisse! Il suffit donc de changer de poste : aux nouvelles venues de Londres, répondra un air de bel canto, un air qui ne fait penser à rien, un air pour rêver, pour être ailleurs.

Mais en même temps, le texte même rend impossible cette évasion : «fading de la tristesse» sonne pour un lecteur de 1940 (l'appel du 18 juin a été lancé de Londres) comme un mot de la résistance, de la protestation en tout cas.

Fading, c'est de l'anglais, c'est Londres, c'est les nouvelles vraies contre l'intoxication gouvernementale.

C'est, déjà, espoir.

Fading, en outre, ce n'est pas un mot « poétique », c'est un mot quotidien, ou qui va le devenir pour tous ceux qui s'accrochent à la radio de Londres . Mais comment parasiter assez la tristesse pour qu'elle s'en aille, sans laisser de souvenir : oubli/faiblit/blanchit s'y efforcent, ils disent la disparition des choses et des images dans un évanouissement blême, tandis que les mots de la vie et du plaisir s'introduisent doucement dans le texte : l'été, le vin doux, le mois d'août, le château rose.

Le passé composé à son tour, qui vient remplacer les passés simples, lutte à sa manière contre l'urgence et la brutalité des événements de l'extérieur : il prolonge le plaisir, étire ce mois de vacances comme s'il ne devait plus rien y avoir d'autre que ce mois d'été, en Corrèze, rien d'autre que cette harmonie des syllabes qui sont à la rime (braise/ Corrèze ; doux/d'août). 2) Le bonheur empêche de dormir La première rupture dans cet univers dense et calme se marque par des bruits, d'autres bruits : mal perçus encore, ou plutôt dont on ne perçoit pas bien la source (un sanglot lourd/ un sourd reproche).

Cette rupture se marque aussi par l'interrogation : dans la première strophe, les affirmations (j'ai bu, j'ai rêvé) disaient l'unité du monde et du Je. Dans la seconde, la crise vient de la question et de cette manière vague, savante, un peu vieillie de la poser : « qu'était-ce qui »? Mais l'inquiétude est d'autant moins explicable qu'elle se manifeste au cœur même de cet été de vacances (le jardin, la brise, le bel canto), au cœur du rêve ( ah ne m'éveillez pas trop tôt) qui voudrait infiniment se prolonger, au moment même où pourtant une seconde personne intervient : le « vous », la communication avec les autres.

Ce « vous » du reproche est-il extérieur ou intérieur au poète? A partir de ce moment, plus rien ne peut être harmonieux, lisse, comme avant : les champs de blé se mettent à signifier autre chose que le mois d'août (ils cachent des hommes en armes); les fleurs perdent leur parfum pour l'échanger avec les larmes : la rime, lue verticalement — armes, larmes — compose le paysage mental du monde extérieur, tandis que tout se mêle (confusément), les souffrances et les fleurs (chagrin/romarin).

Dans l'avant-dernière strophe, la perception se fait plus nette, mais elle concerne toujours cette angoisse venue d'on ne sait où encore; on peut traverser le poème, en relevant tous ces mots qui s'efforcent de désigner le malaise pour mieux le saisir : un sanglot lourd/ un sourd reproche/ ce grand chagrin/le noir secret de.... »

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