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«
[argumentation
dans Elngénu
Si l'on considère l'argumentation comml1/Une activité fondée
sur le discours, qui prend appui sur l'opinion publique (la doxa)
pour émettre son propre point de vue, évaluer, juger, louer ou blâ
mer, on comprend que cette entreprise soit au cœur d'un texte
comme !:Ingénu.
L'héritage littéraire de Voltaire, ancien élève des
jésuites, la pratique de la conversation et du dialogue au XVIII" siè
cle, le choix d'un conte philosophique, c'est-à-dire d'un genre qui,
sous couvert d'une histoire, entend faire prendre conscience à ses
lecteurs de problèmes liés à l'actualité et de grandes interroga
tions philosophiques : tout mène à placer les personnages en
situation d'argumenter.
L'INGÉNU : UN MODÈLE
D'ARGUMENTATION NATURELLE
Des qualités innées
pour l'argumentation
Le choix d'un héros proche du personnage du bon sauvage
(➔ PROBLÉMATIQUE 3, p.
42), du moins au début du conte (chap.
Ill),
invite Voltaire à doter son Ingénu d'un grand sens logique appuyé
sur l'examen des faits, sur l'usage de son bon sens, de sa raison
à défaut de sa culture.
En tant qu'ingénu, en tant que voyageur
étranger aux coutumes et aux préjugés du pays dans lequel il
débarque, vierge de toute éducation, le héros du conte, avant son
séjour à la Bastille, raisonne de manière naturelle.
La logique
argumentative trouve en lui une expression immédiate et sans
nuance.
Si le sauvage ne constitue jamais un modèle chez Voltaire, force est de constater que la justesse d'esprit de l'ingénu est
non seulement louée, mais expliquée à plusieurs reprises dans le
conte : « Sa conception était d'autant plus vive et plus nette que,
son enfance n'ayant point été chargée des inutilités ou des sottises qui accablent la nôtre, les choses entraient sans sa cervelle
sans nuage ,.
(chap.
Ill).
Cette virginité intellectuelle explique qu'il
assimile la culture que lui instille Gordon tout en étant capable de
la discuter :
«
La cause du développement rapide de son esprit
était due à son éducation sauvage presque autant qu'à la trempe
de son âme ,.
(chap.
XIV).
Les caractéristiques de l'argumentation
chez l'ingénu
Avant toute expérience sociale, amoureuse ou guerrière en
France, l'ingénu manifeste donc une capacité à argumenter qui lui
confère une situation d'interlocuteur véritable vis-à-vis de ses partenaires ou opposants.
Ses stratégies argumentaires sont assez
simples.
Ses atouts sont la franchise, la restitution des faits dans
leur chronologie et leur lien immédiat de causalité, bref l'argument
logique.
Qu'on en juge par ses réponses au bailli dans le chapitre 1:
«
j'ai été fait [•••] prisonnier par les Anglais, après m'être
assez bien défendu; et les Anglais, qui aiment la bravoure, parce
qu'ils sont braves et qu'ils sont aussi honnêtes que nous, m'ayant
proposé de me rendre à mes parents ou de venir en Angleterre,
j'acceptai le dernier parti, parce que de mon naturel j'aime passionnément à voir du pays ».
À cette tactique, il ajoute une excellente mémoire qui lui fait utiliser à son avantage ce qu'il vient d'apprendre par un système de retournement et de parallèles.
Ainsi
lorsque, fort de ce qu'il a lu dans l'Évangile, il exige que la confession soit réciproque et que le baptême ait lieu par immersion complète dans la Rance.
A ces dons s'ajoute peu à peu une forme de
culture encore très incomplète, mais à laquelle l'ingénu recourt
dès qu'il rencontre une difficulté.
Il est ainsi tout à fait capable
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d'étendre son propos concernant la prétendue impossibilité de
son mariage aux incohérences de la religion en général :
«
Je
m'aperçois tous les jours qu'on fait ici une infinité de choses qui
ne sont point dans votre livre, et qu'on n'y fait rien de tout ce qu'il
dit » (chapitre V).
Les limites de l'argumentation
chez l'ingénu
Ses capacités argumentatives sont toutefois bridées dès qu'il
rencontre un adversaire mal intentionné ou rusé.
Ainsi est-il dérouté par les arguments contre la loi naturelle que lui l'abbé de
Saint-Yves lorsqu'il vient
«
faire mariage
L'argument de l'abbé de Saint-Yves :
»
avec sa marraine.
Plus on est homme de
«
bien, plus on doit se soumettre [aux lois]
»
n'est pas faux en soi,
mais il est employé par ruse à destination-de l'ingénu (« On
l'adoucit par des paroles flatteuses
»,
chap.
VI).
De même l'in-
génu accorde-t-il une excessive confiance aux capacités diplomatiques des Anglais, alors que ceux-ci se moquent de son
ambassade et le renvoient.
Enfin, son bon sens allié à une
méconnaissance totale des faits historiques concernant la révocation de l'édit de Nantes (qui n'est pas une preuve de bêtise,
comme en témoigne la justesse de ses questions) lui confèrent
un statut bizarre de
«
grand seigneur
»
ou de
«
fou du roi
»
(chap.
VIII).
ARGUMENTATION ET CULTURE
L'apprentissage
auprès de Gordon
Le séjour à la Bastille auprès de Gordon corrige les lacunes
de l'ingénu en lui conférant une culture raisonnée.
L'idéal
voltairien n'est pas d'amasser une immense culture, mais de
classer, d'ordonner, de hiérarchiser et de discuter les savoirs
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PROBLÉMATIQUES ESSENTIELLES
que l'humanité a su rassembler.
Là est la supériorité de la.
culture sur la nature, ce que l'ingénu illustre et énonce : « L'espèce
de ce continent-ci me paraît supérieure à celle de l'autre.
Elle a
augmenté son être depuis plusieurs siècles par les arts et par
les connaissances » (chap.
XI).
La première règle est de choisir
ses champs de recherche (on remarque que les lectures proposées par Gordon couvrent plusieurs domaines de l'activité
intellectuelle), de les illustrer par des lectures choisies dont
Voltaire donne les titres, enfin de réfléchir sur ces textes, de les
comparer (ce que fait l'ingénu avec les théâtres de Racine et
de Corneille), voire de les critiquer sans faux respect.
Ainsi l'ingénu, porte-parole....
»
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