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Autrui dans la vie morale Par l'exemple de l'amitié, nous avons constaté la ten­ dance do la rr-!lation à autrui...

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« Autrui dans la vie morale Par l'exemple de l'amitié, nous avons constaté la ten­ dance do la rr-!lation à autrui à dépasser un cadre s':'icte­ ment affectif: il ne s'agit pas seulement de vouloir du bien à l'autre, mais aussi de poser le Bien comme fonderT1ent de la reiation.

La rencontre de l'aut,e, ie simple face-à-face de deux personnes est donc d'emblée structuré par une dimension supérieure (cf.

texte 16). La philia antique: le semblable Les grecs parlaient de la philia comme de cette tendan­ ce naturelle qui incite les hommes à établir des liens entre eux, à sympathiser dans le cmfre de structures cor-n,u­ nilu�ai,es (farnille, cites ...

).

Mais il co r,vicnt peut-être do ne pas voir uniquement, dans ce souci de rapprochement entre individus, la simple manifestation d'un instinct vital, engageant par exemple la survie de l'espèce: la rencontre d'autrui est commandée dès l'abord par une dimension éthique qui dépasse !es simples données biologiques. C'est ainsi que res /\nciens caractérisaient ce désir spontané d'être e1;semble comme "bienveillance,,_ On n'éprouve pas simplement le plaisir o'étre avec l'autre: on établit avec lui un rapport de type moral.

Cette sympathie* trouvera son expression la plus haute dans l'amitié entre gens de bien (cf texte 12) où il s'agit de respecter en l'at,tre t'excollence morale.

On rernmc:uera cependant oue cet�e bienveillance p:ivil6giée, active, déclarée et réci­ proque trouve ses conditions d'exercice dans le cercle res­ treint de personnes d'exception.

C'est donc seulement entre gens de haute condition morale, de grande quafité intellectuelle, partageant les mêmes valeurs que la ph/lia se réalise pleinement.

'universalité, erc ce domaine, paraî­ trait une fauto de : on aime son semblable, niais non pas son prochain.

On ne peut être ilmi de n'irnporle qui. L'amour chrétien: le prochain C'est précisément en opposition à cet élitisme moral que se formulent les principes évangéliques de la morale chrétienne : ce qui est requis, c'est un amour universel. Alors que le lien moral le plus valorisé dans !'Antiquité était cette amitié entre pairs, lesquels se reconnaissaient une bienveillance réciproque, un égal amour de la vertu, des valeurs communes (tout ce qui en faisait des êtres de distinction), le modèle de l'amour chrétien sera l'amour des ennemis (cf.

texte 13).

À l'exigence d'amitié se substitue celle de charité évangélique. Mais au-delà de la simple injonction morale, le problème reste encore de savoir comment il est possible de déborder l'amour de soi* vers l'amour du prochain et quelles sont les techniques d'éducation (cf.

texte 14) qui apprendront à l'enfant l'amour de l'autre. La morale kantienne la personne La morale chrétienne ne pose pourtant pas seulement des problèmes de mise en application pratique, mais aussi de principes.

Il y a en effet une certaine tension entre l'exigence d'absolu présente dans toute dimension éthique et la position d'un sentiment comme fondement de cette relation morale à l'autre.

Le problème est le suivant: comment peut-on faire de l'amour, c'est-à-dire d'une passion humaine, l'objet d'une obligation inconditionnée? L'amour peut-il se commander? Peut-on fonder une relation universelle sur un sentiment, comme iel toujours contingent dans ses apparitions et arbitraire •dans ses choix? Une notion comme celle d'« amour universel» n'est-elle pas contradictoire? D'autre part, le commandement évangélique d'aimer son prochain « comme soi-même» ne revient-il pas à trouver la référence de l'amour de l'autre dans l'amour de soi*? L'égoïsme* serait-il au principe de la morale? De telles interrogations expliquent pourquoi Kant (cf. texte 15) se refusera à fonder le rapport moral à l'autre sur l'amour.

Poser autrui comme objet d'amour, nous dira+il 46 en substance, c'est sortir de la relation morale : autrui ne doit pas être en effet cet objet que me livre l'expérience et qui m'inspire des sentiments donnés, il est une exigence de ma raison, une valeur posée par ma volonté.

Chaque homme, dès qu'il existe, dispose d'un droit absolu à être considéré comme valeur absolue et respecté comme tel : ce commandement n'est pas un impératif d'amour universel mais une obligation posée par ma volonté libre. Une telle conception d'autrui signifie d'abord que l'autre homme n'est pas seulement un objet : quelles que soient les études scientifiques qui peuvent démontrer les déterminations nécessaires de son comportement de fait, je dois toujours poser en droit l'autre comme être de raison, sujet libre.

Elle nous enjoint de ne jamais voir en l'autre simplement un moyen mais toujours une fin.

Il s'agit bien de refuser les morales utilitaristes qui justifient l'altruisme par l'argument d'un intérêt bien entendu. La critique nietzschéenne La deuxième grande critique de la morale chrétienne sera dressée par Nietzsche.

Il ne s'agira plus cette fois d'assurer l'altruisme sur des bases plus solides, mais d'en dévoiler les intentions cachées, de soupçonner son désintéressement partout proclamé.

Selon Nietzsche, l'amour de l'autre n'est qu'un remède à la lâcheté· on affirme l'amour universel parce qu'on craint l'affrontement direct, parce qu'on voudrait faire perdre à l'autre son agressivité et s'assurer ainsi de sa faiblesse; le rêve d'une société pacifiée se révèle n'être que l'utopie d'un peuple malade ayant perdu le goût de la vie (cf.

texte 17). - Vertu et amitié ARISTOTE (384-322 av.

J.-C.) Le texte suivant nous propose un des premiers modèles de ce que serait la perfection morale du rapport à autrui.

Cet idéal grec, tel qu'il est ici posé, constituera toujours une référence décisive pour penser les relations inter-individuelles. 47 La parfaite amitié est celle des hommes bons et semblables en vertu.

Chacun veut du bien à l'autre pour ce qu'il est, pour sa bonté essentielle.

Ce sont les amis par excellence, eux que ne rapprochent pas des circonstances accidentelles, mais leur nature profonde.

Leur amitié dure tout le temps qu'ils restent vertueux, et le propre de la vertu en général est d'être durable. Ajoutons que chacun d'eux est bon dans l'absolu et relativement à son ami, bon dans l'absolu et utile à son ami, bon dans l'absolu et agréable à son ami.

Chacun a du plaisir à se voir soi-même agir, comme à contempler l'autre, puisque l'autre est identique, ou du moins semblable à soi. Leur attachement ne peut manquer d'être durable: il réunit, en effet, toutes les conditions de l'amitié.

Toute amitié a pour fin le bien ou le plaisir, envisagés soit absolument, soit relativement à la personne aimée, et supposant alors une ressemblance avec elle, une similitude de nature, une parenté essentielle.

De surcroît, ce qui est bon absolument est aussi agréable.

L'amitié atteint au plus haut degré d'excellence et de perfection chez les vertueux. Mais elle est fort rare: les personnes qui en sont capables sont fort peu nombreuses.

D'autant qu'elle demande du temps et des habitudes communes. ARISTOTE, Livre Éthique à Nicomaque (vers 345 av.

J.-C), vm, trad.

F.

Stirn, Hatier, 1988, pp.

34-35. POUR MIEUX COMPRENDRE LE TEXTE Pour Aristote, la qualité du lien qui peut unir deux personnes est strictement dépendante de celle propre à chacun des deux individus.

C'est ainsi qu'une bonne et solide amitié unira toujours deux personnes de grande vertu.

Le bon en effet n'est pas l'utile ou l'agréable (choses qu'on aime pour l'avantage qu'elles rapportent ou le plaisir qu'on en tire): on aime le bon pour ce qu'il est.

Ainsi la véritable amitié ne sera pas fondée sur l'intérêt ou l'agrément (toutes choses soumises au changement, dépendantes de circonstances extérieures et contingentes) mais sur la 48 nature bonne par elle-même des individus mis en cause. Ce qui ne signifiera pas qu'un ami vrai ne nous est jamais par ailleurs agréable ou utile: mais il l'est parce qu'ami, et non ami parce qu'il l'est. La qualité de l'amitié est donc déterminée par la bonté intrinsèque présente dans chaque personne.

Elle suppose donc la conscience de sa propre bonté, et la reconnaissance en l'autre d'une bonté semblable : l'amour de la vertu de l'autre doit donc être aussi immédiatement un amour de sa propre vertu.

On est heureux de l'autre comme de soi.

Enfin, l'amitié vraie sera durable, puisqu'elle est excitée par la vertu, qui est une disposition permanente, et non un état passager, de l'individu. Ainsi définie comme ce lien excellent qui unit deux êtres d'excellence, l'amitié authentique demande des conditions très précises et se trouve caractérisée par sa rareté. - L"amour de son ennemi SAINT LUC (Ier siècle ap.

J.-C.) Le christianisme voudra parler de l'amour d'autrui comme d'une obligation sainte.

Dès lors il ne se reconnaîtra plus dans le modèle humaniste de l'amitié.

L'amour ne devra plus être ce rapprochement naturel des vertus: il sera un défi, une provocation, un scandale.

L'affirmation de la sainteté de la charité oblige à poser comme modèle ce qui semble une aberration au regard des valeurs païennes : l'amour inconditionnel de l'ennemi. « Mais je vous le dis, à vous qui m'écoutez: Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent, bénissez ceux qui vous maudissent, priez pour ceux qui vous diffament.

À qui te frappe sur une joue, présente encore l'autre; à qui t'enlève ton manteau, ne refuse pas ta tunique.

À quiconque te demande, donne, et à qui t'enlève ton bien, ne le réclame pas.

Ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le pour eux pareillement.

Que si vous aimez ceux qui vous aiment, quel gré vous en saura+on? Car même les pécheurs aiment ceux qui les aiment.

Et si vous 49 faites du bien à ceux qui vous en font, quel gré vous en saura+on? Même les pécheurs en font autant.» SAINT Luc, L'Évangile selon saint Luc (VI, 27-34), in Lo Bible de Jésuralem, Desclée de Brouwer, 1975, pp.1556-1557. POUR MIEUX COMPRENDRE LE TEXTE La première partie du texte énonce une série de propositions qui s'affirment comme de violents paradoxes (aimer la haine, bénir le blasphème, etc.).

Il s'agit non seulement de se refuser à répondre aux provocations du mal mais encore de s'y soumettre doublement.

Ces textes sont connus, mais il faut pourtant ressaisir leur dimension de scandale: en brisant la loi de réciprocité, l'amour de l'ennemi s'énonce en se situant bien au-delà de toute forme d'éthique sociale.

Ce qui définit le caractère proprement divin d'un tel amour, c'est donc sa gratuité: la dissymétrie provocatrice (répondre à la haine par l'amour) pose d'emblée autrui, sans considération de sa condition, de son état ou de ses actions comme un objet inconditionnel d'amour. L'Évangéliste prétend enfin que du seul amour des ennemis on peut démontrer le mérite et la sainteté: on pourra toujours réduire l'amour des amis à une association* d'intérêts bien compris. -La pitié J.-J.

ROUSSEAU (1712-1778) Outre l'amour de l'ennemi, le Christ enseignait la commisération : la participation affective aux misères d'autrui.

Dans ce texte, Rousseau montre l'importance d'une éducation de la pitié, seule à même de prévenir les tourments de l'amour-propre. Émile, ayant peu réfléchi sur les êtres sensibles, saura tard ce que c'est que souffrir et mourir.

Les plaintes et les cris commenceront d'agiter ses entrailles; l'aspect du sang qui 50 coule lui fera détourner les yeux; les convulsions d'un animal expirant lui donneront je ne sais quelle angoisse avant qu'il sache d'où lui viennent ces nouveaux mouvements.

S'il était resté stupide et barbare, il ne les aurait pas; s'il était plus instruit, il en connaîtrait la source : il a déjà trop comparé d'idées pour ne rien sentir, et pas assez pour concevoir ce qu'il sent. Ainsi naît la pitié, premier sentiment relatif qui touche le cœur humain selon l'ordre de la nature.

Pour.... »

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