Balzac: Illusions perdues (1843) Les Illusions perdues retracent l'itinéraire social d'un jeune provincial d'Angoulême, Lucien Chardon. Dès son ado­ lescence,...

« Balzac: Illusions perdues (1843) Les Illusions perdues retracent l'itinéraire social d'un jeune provincial d'Angoulême, Lucien Chardon.

Dès son ado­ lescence, il rêve d'égaler les écrivarn:s et les poètes qui l'ont précédé, ceux, précisément, qui ont profondément marqué la première génération romantique.

En traçant son portrait, Balzac apporte ainsi un témoignage précieux sur les jeu­ nes romantiques (dont il fit partie lui-même).

Il montre comment l'écriture représentait pour eux le moyen de réus­ sir, au moment où la gloire militaire et l'action ne leur étaient plus offertes. D epu� environ trois ans 1, les deux amis avaient donc confondu leurs destinées si brillantes dans l'avenir.

Ils lisaient les grandes œuvres qui­ apparurent depuis la paix 2 sur l'horizon littéraire et scien­ tifique, les ouvrages de Schiller, 3 de Gœthe 4, de lord· 1.

L'action du roman se situe èn 1821. 2.

Allusion probable à 1815. s.

Schiller (1759-1805), écrivain allemand, auteur de Wallenstein, de Guillaume Tell. 4.

Goethe (1749-1832), écrivain allemand, auteur de Faust, des Soef/rances du jeune Werther. Byron 5, de Walter Scott 6, dejean-Paul 1, de Berzelius 2, de Davy 3, de Cuvier 4, de Lamartine, etc.

Ils s'échauffaient à ces gr-andsfoyers, ils s'essayaient en des œuvres avortées, ou prises, quittées et reprises avec ardeur:.

Ils travaillaient con10 tinuellement sans lasser les inépuisablesforces de lajeunesse. Également pauvres, mais dévorés par l'amour de l'art et de la science, ils oubliaient la misère présente en s'occupant à jeter les fondements de leur renommée. - Lucien, sais-tu ce que je viens de recevoir de Paris ? dit 15 l'imprimeur en tirant de sa poche un petit volume in-18. Écoute! David lut, comme savent lire les poètes, l'idy!le"d'André de Chénier 5 intitulée Néère, puis celle du Jeune Malade puis l'élégie sur le suicide, celle dans le goût ancien, et les deux 20 derniers iambes. - Voilà donc ce qu'est André de Chénier! s'écria Lucien à plusieurs reprises.

ll est désespérant, répétait-il pour la troi­ sième fois quand David trop ému pour continuer lui laissa prendre le volume. 25 - Un poète retrouvé par un poète! dit-il en V(!Jlant la signa ­ ture de la priface. - Après avoir produit ce volume, reprit David, Chénier croyait n'avoir rien fait qui.fût digne d'être publié. Lucien lut à son tour l'épique morceau de L' Aveugle et plu30 sieurs élégies.

Quand il tomba sur le fragment: S'ils n'ont point de bonheur, en est-il sur la terre? 35 il baisa le livre, et les deux amis pleurèrent, car tous deux aimaient avec idolâtrie.

Les pampres s'étaient colorés, les vieux murs de la maison,Jendillés, bossués, inégalement traversés par d'ign obles lézardes, avaient été revêtus de canne­ lures, de bossages, de bas-reliefs et des innombrables 5.

Lord Byron (1788-1824), poète romantique anglais. 6.

Walter Scott (1771-1832), écrivain écossais dont les romans historiques eurent une grande influence en France. 1.Jean-Paul: Richter, dit Jean-Paul (1763-1825), écrivain allemand. 2.

Berzelius (1779-1848), chimiste suédois. 3.

Davy (1778-1829), chimiste et physicien anglais. 4.

Cuvier (1769-1832), zoologiste et paléontologue français. 5.

Chénier (1762-1794), poète français, guillotiné pendant la Révolution. 40 45 chefs-d'œuvre deje ne sais quelle architecture par les doigts d'une fée.

Lafantaisie avait secoué ses.fleurs et ses rubis sur la petite cour obscure.

La Camill.e d'André Chénier était devenue pour David son Ève adorée, et pour Lucien une grande dame qu'il courtisait.

La poésie avait secoué les pans majestueux de sa robe étoilée sur l'atelier où grimaçaient les1 Singes et les Ours 1 de la typographie.

Cinq heures sonnaient, mais l.es deux amis n'avaient nifaim ni soif; la vie l.eur était un rêve d'or, ils avaient tous les trésors de la terre à l.eurs pieds.

Ils apercevaient ce coin d'horizon bl.euâtre indiqué du doigt par ['Espérance à ceux dont la vie est orageuse, et auxquels sa voix de sirène dit : « All.ez, volez, vous échapperez au malheur par cet espace d'or, d'argent ou d'azur.» Honoré de Balzac, musions perdues (1843), I ère partie,« Les deux poètes ». Idée directrice Le passage choisi est extrait de la première partie du roman, intitulée « les Deux Poètes».

Balzac présente deux de ses personnages, Lucien Chardon, le héros, et son ami David Séchard, tous deux amoureux, tous deux rêveurs, tous deux ambitieux.

A travers un récit entrecoupé de dialogue, le narrateur les met en scène en insistant particulièrement sur leurs goûts littéraires: la scène retrace en effet leur découverte de la poésie de Chénier.

L'étude du texte s'attachera à mettre en évidence l'expression d'une farouche volonté de réussir et les différents traits de la sensibilité romantique. PISTES DE LECTURE A.

La volonté de réussir Exprimée à plusieurs reprises dans le texte, cette volonté, partagée par les deux amis, est présentée comme indissociable de leurs lectures et de leurs modèles.

La voie de la 1. En terme d'imprimerie, l'Ours désigne un ouvrier typographe employé à la presse.

Le Singe s'occupe de la composition typographique. 51 réussite est tracée par les hommes illustres de la génération précédente. • La réussite Elle est présentée comme une réalité quasi certaine, mais à long terme, comme le soulignent les indications temporelles(« depuis environ trois ans», l.

1 ; « dans l'avenir», l.

3).

Elle est associée à la gloire et les termes élogieux(« destinées si brillantes», l.

3 ; «renommée», l.

13) sont repris à la fin du texte.

Ils apparaissent sous une forme métaphorique dans l'évocation très lyrique et très imagée que fait Balzac du« rêve d'or».

Celui-ci projette les deux amis dans un univers glorieux. • Le travail La volonté de réussir implique un courage et une persévérance que Balzac signale par une insistance très nette sur les efforts sans cesse repris des deux jeunes gens.

On note les verbes d'effort («s'échauffaient», «s'essayaient», l.

7-8); «travaillaient», l.

9), l'insistance sur la répétition des actions et sur le dépassement des échecs (succession.... »