Bernard-Marie Koltès, Le Retour au désert (1988). [Pendant la guerre d'Algérie, Mathilde revient en France avec son fils Édouard dans...
Extrait du document
«
Bernard-Marie Koltès, Le Retour au désert (1988).
[Pendant la guerre d'Algérie, Mathilde revient en France avec son fils Édouard
dans l'intention de récupérer la maison familiale et de régler des comptes.
Une violente
dispute l'oppose à son frère Adrien devant les serviteurs, Aziz et Madame Queuleu.]
AZIZ - Qu'ils se tapent donc, et, quand ils seront calmés, Aziz ramassera les morceaux.
Entre Édouard.
MADAME QUEULEU - Édouard, je t'en supplie, je vais devenir folle
Édouard retient sa mère, Aziz retient Adrien.
ADRIEN - Tu crois, pauvre folle, que tu peux défier le monde ? Qui es-tu pour provoquer
tous les gens honorables ? Qui penses-tu être pour bafouer les bonnes manières, critiquer
les habitudes des autres, accuser, calomnier, injurier le monde entier ? Tu n'es qu'une
femme, une femme sans fortune, une mère célibataire, une fille-mère, et, il y a peu de
temps encore, tu aurais été bannie de la société, on te cracherait au visage et on
t'enfermerait dans une pièce secrète pour faire comme si tu n'existais pas.
Que viens-tu
revendiquer ? Oui, notre père t'a forcée à dîner à genoux pendant un an à cause de ton
péché, mais la peine n'était pas assez sévère, non.
Aujourd'hui encore, c'est à genoux que
tu devrais manger à notre table, à genoux que tu devrais me parler, à genoux devant ma
femme, devant Madame Queuleu, devant tes enfants.
Pour qui te prends-tu, pour qui nous
prends-tu, pour sans cesse nous maudire et nous défier ?
MATHILDE - Eh bien, oui, je te défie, Adrien; et avec toi ton fils, et ce qui te sert de femme.
Je vous défie, vous tous, dans cette maison, et je défie le jardin qui l'entoure et l'arbre
sous lequel ma fille se damne, et le mur qui entoure le jardin.
Je vous défie, l'air que vous
respirez, la pluie qui tombe sur vos tètes, la terre sur laquelle vous marchez ; je défie cette
ville, chacune de ses rues et chacune de ses maisons, je défie le fleuve qui la traverse, le
canal et les péniches sur le canal, je défie le ciel qui est au-dessus de vos tètes, les oiseaux
dans le ciel, les morts dans la terre, les morts mélangés à la terre et les enfants dans le
ventre de leurs mères.
Et, si je le fais, c'est parce que je sais que je suis plus solide que
vous tous, Adrien.
Aziz entraîne Adrien, Édouard entraîne Mathilde.
Mais ils s'échappent et reviennent.
MATHILDE - Car sans doute l'usine ne m'appartient-elle pas, mais c'est parce que je n'en
ai pas voulu, parce qu'une usine fait faillite plus vite qu'une maison ne tombe en ruine, et
que cette maison tiendra encore après ma mort et après celle de mes enfants, tandis que
ton enfant se promènera dans des hangars déserts où coulera la pluie en disant : C'est à
moi, c'est à moi.
Non, l'usine ne m'appartient pas, mais cette maison est à moi et, parce
qu'elle est à moi, je décide que tu la quitteras demain.
Tu prendras tes valises, ton fils, et
le reste, surtout le reste, et tu iras vivre dans tes hangars, dans tes bureaux dont les murs
se lézardent, dans le fouillis des stocks en pourriture.
Demain je serai chez moi.
ADRIEN - Quelle pourriture ? Quelles lézardes ? Quelles ruines ? Mon chiffre d'affaires est
au plus haut.
Crois-tu que j'ai besoin de cette maison ? Non.
Je n'aimais y vivre qu'à cause
de notre père, en mémoire de lui, par amour pour lui.
MATHILDE - Notre père ? De l'amour pour notre père ? La mémoire de notre père, je l'ai
mise aux ordures il y a bien longtemps.
ADRIEN - Ne touche pas à cela, Mathilde.
Respecte au moins cela.
Cela au moins, ne le
salis pas.
MATHILDE - Non, je ne le salirai pas, cela est déjà très sale tout seul.
Scène de famille.
Scène de dispute.
I- Une scène de dispute
A- Dispute familiale
• Famille > la sœur, le frère, la femme du frère…
• Enjeu de la dispute > la maison : «cette maison est à moi » ; « Crois-tu que j'ai besoin
de cette maison ? ».
=> Dérive sur les problèmes de la famille :
- la mémoire du père rejetée par Mathilde (mais pas par Adrien) > « La mémoire de mon
père, je l’ai mise aux ordures....
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓