Blaise Pascal dans une formule célèbre des Pensées proclame que « le moi est haïssable ». Il s'en explique au...
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«
Blaise Pascal dans une formule célèbre des Pensées
proclame que « le moi est haïssable ».
Il s'en
explique au nom de valeurs morales : « En un mot,
le moi a deux qualités : il est injuste en soi, en ce
qu'il se fait centre de tout ; il est incommode aux
autres, en ce qu'il les veut asservir : car chaque moi
est l'ennemi et voudrait être le tyran de tous les
autres ! » (VII, 455).
C'est pourquoi Pascal
condamne les Essais de Montaigne : « Le sot projet
qu'il a de se peindre ! » (II, 62).
Trois siècles plus tard, Paul Léautaud affirme le
contraire dans son Journal, sur un ton provocateur :
« Il paraît qu'il est immoral de parler de soi.
Moi je
ne sais guère que parler de moi » ; « Le "moi" pas
du tout haïssable, bien au contraire ».
Et cet auteur
met ses idées en application, en puisant largement
dans sa vie pour écrire ses œuvres.
Qui a raison des deux? Le moi a-t-il une place dans
la littérature, ou est-il contraire à la nature de cet
art ?
La vogue actuelle des mémoires, des journaux, des romans autobiographiques montre
que le public, contrairement à Pascal, apprécie les ouvrages où l'écrivain se peint.
Le «
moi » présente en effet un intérêt réel, qui prend diverses formes.
Il est légitime de parler de soi pour apporter un témoignage historique sur une période
ou des événements importants.
Dès l'Antiquité, Xénophon raconte son expédition
militaire en Asie Mineure dans l'Anabase, et son expérience de disciple auprès d'un grand
philosophe dans Les Mémorables et L'Apologie de Socrate.
Au xx5 siècle, A.
Malraux
retrace sa participation à la guerre d'Espagne et à la vie littéraire ou politique dans les
Antimémoires.
Il est passionnant de comparer les récits parfois discordants du duc de La
Rochefoucauld et du cardinal de Retz sur la Fronde, conspiration des nobles contre la
royauté, à laquelle ils prirent part.
Parler de soi peut aussi devenir une arme de combat
pour dénoncer les injustices d'un régime : A.
Soljenitsyne en racontant son incarcération
dans L'Archipel du Goulag révèle la cruauté du système de répression communiste.
Souvent, l'écrivain veut témoigner d'un destin individuel hors du commun, ou bien
éclairer le public sur une carrière littéraire.
Ainsi Chateaubriand retrace sa riche
expérience d'homme politique et d'auteur dans ses Mémoires d'outre-tombe.
J.-P.
Sartre
dans Les Mots dévoile son enfance et ses premières lectures.
Le but de J.-J.
Rousseau,
dans ses Confessions, est de rétablir la vérité sur son caractère, « défiguré », dit-il dans
son Avertissement, par ses ennemis.
Plus modestement, Montaigne annonce au début
des Essais qu'il se peint pour que ses parents et amis le connaissent mieux et conservent
un souvenir de lui après sa mort.
Certains expriment, à travers leur malaise individuel,
celui de toute une génération : A.
de Musset dans La Confession d'un enfant du siècle
montre le désarroi des jeunes gens nés trop tard pour vivre la Révolution et l'épopée
napoléonienne.
L'introspection apporte aussi un témoignage sur la psychologie humaine.
Le dessein de
J.-J.
Rousseau dans les Confessions dépasse le simple souci de réhabilitation : « Je
forme, dit-il dans les premières lignes, une entreprise qui n'eut jamais d'exemple et dont
l'exécution n'aura point d'imitateur.
Je veux montrer à mes semblables un homme dans
toute la vérité de la nature ; et cet homme ce sera moi.
» L'introspection révèle ce qui
reste d'ordinaire caché dans la vie sociale, parce que trop intime.
Or nous nous
ressemblons tous, au-delà des différences d'époque ou de caractère.
C'est pourquoi
Voltaire s'exclame dans des Remarques sur les Pensées de M.
Pascal : «"Le charmant
projet que Montaigne a eu de se peindre comme il l'a fait, car il a peint la nature
humaine.
»
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Parler de soi n'est pas immoral, au contraire, car, ajoute Voltaire, un homme qui « peint
sous son nom nos faiblesses et nos folies, est un homme qui sera toujours aimé ».
Dans
la Préface des Contemplations, recueil de poèmes inspiré de son existence, V.
Hugo
explique ce phénomène : « Nul de nous n'a l'honneur d'avoir une vie qui soit à lui.
Ma vie
est la vôtre, votre vie est la mienne, vous vivez ce que je vis ; la destinée est une.
Prenez donc ce miroir, et regardez-vous-y.
On se plaint quelquefois des écrivains qui
disent « moi ».
Parlez-nous de nous, leur crie-t-on.
Hélas ! quand je vous parle de moi,
je vous parle de vous.
» Il cite un vers célèbre de l'auteur latin Terence : « Homo sum, et
humant nil a me alienum puto » (Je suis homme, et je pense que rien de ce qui est
humain ne m'est étranger).
C'est pourquoi nous émeuvent ceux qui expriment des
sentiments universels : l'amour dans les poèmes de Ronsard ou d'Aragon, adressés à
Cassandre ou Eisa ; les souffrances de l'exil dans les vers d'Ovide ou de Du Bellay ; la
nostalgie ou la résignation devant les ravages de la vieillesse et l'approche de la mort,
dans les Derniers vers de Ronsard.
Au début des Fleurs du Mal, C.
Baudelaire se défend
d'être le seul à souffrir du vice morbide de « L'Ennui » :
« Tu le connais, lecteur, ce monstre délicat, - Hypocrite lecteur, - mon semblable, - mon
frère ! » Dans Aurélia, G.
de Nerval, atteint par la folie, justifie l'évocation de ses «
visions insensées peut-être, ou vulgairement maladives » : « La mission d'un écrivain est
d'analyser sincèrement ce qu'il éprouve dans les graves circonstances de la vie.
» A sa
suite, les Surréalistes, en racontant leurs rêves ou en couchant sur le papier toutes les
idées qui leur passent par la tête, auront le sentiment d'être utiles par cette exploration
de l'inconscient.
L'omniprésence du « moi » n'est cependant pas indispensable et peut même être néfaste
en littérature.
Ainsi dans la fin des Confessions J.-J.
Rousseau
accumule....
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