Brésil 1981-1982 La "libéralisation" en question L'année 1981 a mis en relief une série de mutations sociales et politiques qui...
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Brésil 1981-1982
La "libéralisation" en question
L'année 1981 a mis en relief une série de mutations sociales et politiques qui
accentuent le clivage entre la société et le cadre institutionnel imposé par le
régime militaire en 1964.
Tout au long de l'année, le gouvernement a multiplié
les manœuvres juridiques et les intimidations pour diviser l'opposition
démocratique et populaire, dans la perspective des élections de novembre 1982.
Quels qu'en soient les résultats, ces élections marqueront un tournant dans
l'histoire du Brésil contemporain.
Pour la première fois depuis 1965, les
gouverneurs des États seront élus au suffrage direct, comme les conseillers
municipaux, les maires, les députés des États, les députés fédéraux et les
sénateurs.
Jamais depuis 1964 un seul scrutin n'avait concentré autant d'enjeux.
C'est donc un champ politique entièrement nouveau qui s'ouvrira au pays après
ces élections.
Une des singularités du régime brésilien, trop souvent ignorée, reste la
coexistence d'un ordre "institutionnel" de fait, qu'impliquent les pleins
pouvoirs détenus par la hiérarchie militaire, et d'un ordre constitutionnel, qui
s'appuie sur des textes et des pratiques traditionnelles conduisant
régulièrement à la tenue d'élections dans le pays.
Ainsi, l'exercice du pouvoir
dictatorial n'a jamais totalement exclu les combinaisons politiques
conservatrices qui fondent le pacte oligarchique instauré par les républicains
fédéralistes au début du siècle.
Certes, l'acte institutionnel n° 2 d'octobre
1965 abolissait les partis traditionnels et les élections directes pour les
postes de président de la République, de gouverneur d'État et de maire des
principales villes du pays.
Les élections directes pour les conseils municipaux
(instrument séculaire d'exercice du pouvoir local), les mairies de la plupart
des villes, les assemblées législatives des États, la Chambre des députés et le
Sénat, étaient cependant maintenues.
A quelques rares exceptions près, ces
élections se sont toujours déroulées aux dates prévues.
Depuis l'avènement du régime militaire, le pays a ainsi connu des scrutins
électoraux tous les deux ans.
Compte tenu de la forte décentralisation politique
et administrative - dont le fédéralisme est à la fois cause et effet -, une
multitude de mandats électifs concernant les 4 000 municipalités et les 23 États
de la Fédération ont été régulièrement redistribués: quarante mille postes de
conseillers municipaux, trois mille postes de maire, un millier de députés élus
aux assemblées législatives des États, ainsi que cinq cents sièges de sénateurs
et de députés fédéraux, choisis au suffrage direct comme tous les autres élus
populaires.
Le brassage régulier des oligarchies locales - qui restent l'alpha et l'omega du
pouvoir réel dans la plupart des régions - s'est donc poursuivi au sein d'une
société marquée par d'importantes mutations démographiques et économiques.
C'est
la raison pour laquelle la politique brésilienne ménage des espaces de liberté contrairement aux autres dictatures du Cône sud -, même si le pouvoir central
demeure aux mains d'autocrates.
La crise de la "politique politicienne"
La "politique politicienne", continuellement réactivée, est donc bien plus qu'un
rituel incantatoire destiné à mystifier les masses.
La représentation politique
au niveau régional est la raison d'être de toute une couche de politiciens
professionnels et d'intermédiaires divers, spécialisés dans le trafic
d'influences, la distribution de prébendes accordées par le pouvoir central, et
dont le rôle essentiel est d'assurer la fidélité politique des populations
rurales aux classes dominantes.
Paradoxalement, une des caractéristiques les plus inquiétantes des évolutions en
cours est justement l'effritement de l'influence de ces politiciens
traditionnels, au moment où de fortes tensions sociales laissent face à face un
mouvement populaire inorganisé et un régime doté d'une redoutable force
répressive.
Les incidents qui ponctuèrent l'année 1981 sont à ce titre
particulièrement significatifs.
A la veille du 1er mai, une bombe explosait à
l'intérieur d'une voiture à Rio de Janeiro, tuant et blessant des agents du
service secret de l'armée qui s'apprêtaient vraisemblablement à perpétrer un
attentat dans une salle de fêtes où se déroulait un concert de musique populaire
destiné à recueillir des fonds pour l'opposition.
La presse a pu ensuite
démontrer la responsabilité des agents du service secret dans cette opération,
mais aucun des coupables n'a été puni.
Cet incident empoisonna le climat
politique et provoqua la démission du général Golbery do Couto e Silva, éminence
grise du régime et principal artisan de la "libéralisation sous contrôle".
Le
départ de ce militaire assez proche des politiciens traditionnels a fait monter
d'un cran les enchères politiques.
Ses successeurs ont vite fait la preuve qu'ils n'avaient pas l'envergure
suffisante pour mener à bien les combinaisons qui assureraient au gouvernement
la marge de manœuvre nécessaire à la poursuite de la "libéralisation".
Au mois
de novembre, un "paquet" (pacote) de mesures altérait ainsi pour la énième fois
les règles électorales et le système des partis.
L'objectif était clair:
consolider les clivages de l'opposition et assurer le succès des candidats
officiels aux postes de gouverneur des États.
Les partis devront avoir des
candidats à chacun des postes électoraux, les alliances entre les partis sont
interdites et l'électeur doit voter pour les candidats d'un seul parti, sous
peine de voir son bulletin annulé.
Comme il s'agit d'élections à un seul tour,
ces règles conduisent à éparpiller les suffrages de l'opposition, divisée en
quatre partis, et à favoriser le gouvernement dont les candidats sont rassemblés
à l'intérieur d'un parti unique, le PDS.
A la surprise du gouvernement, l'une des principales forces de l'opposition, le
Parti populaire (PP), a toutefois décidé de fusionner avec le PMDB, héritier de
l'ancien Mouvement démocratique brésilien, ainsi devenu à nouveau un vaste front
d'opposition.
Le pacote de novembre pourra donc permettre la victoire du
gouvernement dans un nombre plus important d'États, mais il réduira aussi les
forces centrifuges qui menaçaient la survie de l'opposition.
La politique brésilienne reste toutefois profondément élitaire: à l'exception du
Parti des travailleurs (PT), organisé par des intellectuels et par des
dirigeants de syndicats ouvriers et paysans, les partis de l'opposition sont aux
mains de politiciens traditionnels, englués dans la bataille procédurière
déclenchée par le régime autour de la législation électorale.
L'érosion du
prestige de ces politiciens est devenue manifeste à Sáo Paulo et à Rio de
Janeiro, où des....
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