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Ce mélancolique et vaporeux poème est une des pièces des Fêtes galantes. Le « saturnien'" » VERLAINE — ainsi se...

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« Ce mélancolique et vaporeux poème est une des pièces des Fêtes galantes.

Le « saturnien'" » VERLAINE — ainsi se qualifiait-il —, qui a toujours, pense-t-il, dans sa vie : « bonne part de malheur et bonne part de bile », a d'abord fréquenté le Parnasse, et son premier recueil Poèmes saturniens en porte en partie la marque.

Mais bientôt il se sent emporté « de çà de là », et bien loin de la facture sculpturale d'un LECONTE DE LISLE, c'est vers la musicalité t que son inspiration glisse « brumeusement ».

Les Fêtes galantes ont déjà l'art subtil du monde musical berçant des « propos fades » comme ceux des personnages de la comédia dell'arte peints par WATTEAU, ces « masques et bergamasques » (Clair de lune) qui se montrent à travers les frissons des arbres, en silhouettes fantomales.

Ainsi sont les deux protagonistes de ce Colloque sentimental, rencontre nostalgique : ils se sont aimés, perdus, ils se rencontrent mais ne se retrouvent pas.

Et c'est sur fond d'un univers fantastique où le surnaturel devient réalité, que flotte un climat spectral d'étrangeté.

N'en ressort que mieux, sous l'apparente fadeur, un intangible regret du temps du bonheur, exprimé dans un dialogue dramatique, car sans échange. Parce que né sous le signe de Saturne.

Il est toujours possible île préciser ainsi l'annonce de chaque thème. Tout le texte est baigné dans la mélodie secrète d'un monde mystérieux, où un lien étroit mais imperceptible s'est tissé entre réalité et surnaturel, vie cl mon...

Une impression de flottement, d'insaisissable s'en dégage, l'as de frontière nette entre la vie et la mon.

peu à peu un climat surprenant investit ce qui aurait pu être un élément de description : le « parc », mais les adjectifs qui lui sont accolés seraient aussi bien appliqués aux humains : « vieux » « glacé » ; or ce dernier paralyse en réalité toute véritable manifestation d'humanité.

Il semble transformer ce « parc », terme qui évoque ordinairement un espace agréable, en une barrière qui tient à distance.

Le passage du premier au second adjectif suggère d'ailleurs celui de la vieillesse à la mort.

Le seul témoin de cette atmosphère dissonante, du moins celui qui est nommé précisément, est la nuit : « la nuit seule entendit...

».

témoin exceptionnel, puisque unique, et combien bizarre, elle qui est l'heure où se cachent, se dissimulent la vitalité, l'ardeur de ce qui aurait dû être une rencontre amoureuse.

Or la rencontre elle-même n'est plus qu'un reflet vague de ce qui a été, elle passe ou plutôt elle a déjà « passé » avant même, presque, d'avoir eu lieu.

La répétition de « passé » est à ce sujet significative.

Elle a passé comme « ont...

passé » les « deux formes » qui semblent flotter dans ce décor sans âme.

Ce dernier, bien que répété, — deux fois revient le vers « Dans le vieux parc solitaire et glacé » —, décor d'absence et d'indifférence (« solitaire »), est comme englouti par la nuit qui devient donc normalement « seule » présente, à part les « deux spectres ».

L'emploi du verbe « entendit » dont « la nuit » est sujet, verbe réservé généralement à un être vivant comme l'homme, renforce l'idée de personnification ; ou de semi-allégorie car la lettre n initiale n'est pas une majuscule ; elle permet de penser que la nuit se fond dans l'ensemble, comme « parc » et « formes » se fondent dans la nuit.

Cependant celle-ci devient symbole de cette rencontre de sentiments morts, de ce couple qui se révèle, en mollesse et demi-teinte, définitivement éteint.

L'allure de chanson, de refrain du poème, de répétition douce, « mélancolise » — terme créé plus tard par APOLLINAIRE — une romance qui devient sans paroles, malgré ses apparences de dialogue : souvenirs, donc quelque chose qui revient à l'esprit plus ou moins déformé.

Ce qui complète l'étrangeté c'est la texture des êtres qui se meuvent comme dans le lointain, aux « yeux morts », aux « lèvres molles », à la limite entre des êtres sans volonté, vidés de substance morale, ou de véritables ombres : on ne sait ; et tout en devient singulier.

Leurs mouvements aussi appartiennent-ils au présent ou à un monde chimérique ? Le passé composé : « ont ...

passé », « ont évoqué » et surtout la locution temporelle « tout à l'heure » gomme immédiatement le présent pourtant utilisé entre les deux passés composés (« leurs yeux sont...

leurs lèvres sont...

») et le rejette dans un passé proche sans doute mais qui devient actuel.

Cette temporalité continuellement équivoque était déjà visible dans la présentation du parc dont le qualificatif « vieux » sous-entend qu'à un moment il était beau, luxuriant, symbole d'une vie qui comme le parc devient « glacé[e] ».

Tout s'englue dans le doute, l'imprécis, comme ce premier témoin « on », indéfini : « Et l'on entend...

» C'est la présence de la mort : « leurs lèvres sont molles », qui fait prévoir l'absence de langage, et pourtant — contradiction — ils parlent et le témoin les comprend, bien qu'il les entende « à peine ».

Quant à ce témoin il va peu à peu s'identifier à la nuit.

Langage mort cependant et de mort, car il ne s'agit que de disparition, d'absence, de la néantisation du couple, d'un amour mort, noir comme la couleur du ciel, noir dans la nuit. Ainsi, avec des spectateurs impalpables : « on entend ».

« la nuit entendit ».

une représentation dont on ne sait si elle est présente ou déjà passée (« entendre » est d'abord au présent puis à la fin du bref poème au passé simple), un décor seulement ébauché, des acteurs que « l'on entend à peine » et qui eux-mêmes ne se rejoignent pas.

c'est un bien curieux spectacle auquel nous convie Verlaine.

Et pourtant ce sont bien les éléments du théâtre que nous avons là.

un théâtre d'ombres sans doute mais qui n'en est que plus pathétique, car il touche de pitié et de malaise.... »

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