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Champfleury - lettre à Mme Sand

Publié le 23/04/2023

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« « Lettre à Madame Sand » Jules Champfleury Texte publié dans L’Artiste du 2 septembre 1855 sous le titre « Du réalisme.

Lettre à Mme Sand », en réponse à une lettre du 18 janvier 1854 où la romancière manifestait une certaine méfiance envers le réalisme. Cette lettre est aujourd’hui considérée comme le texte manifeste du réalisme. A l'heure qu'il est, madame, on voit à deux pas de l'Exposition de peinture, dans l'avenue Montaigne, un écriteau portant en toutes lettres : DU RÉALISME.

G.

Courbet.

Exposition de quarante tableaux de son œuvre.

C'est une exhibition à la manière anglaise.

Un peintre, dont le nom a fait explosion depuis la Révolution de février, a choisi, dans son œuvre, les toiles les plus significatives, et il a fait bâtir un atelier. C'est une audace incroyable, c'est le renversement de toutes institutions par la voie du jury, c'est l'appel direct au public, c'est la liberté, disent les uns. C'est un scandale, c'est l'anarchie, c'est l'art traîné dans la boue, ce sont les tréteaux de la foire, disent les autres. J'avoue, madame, que je pense comme les premiers, comme tous ceux qui réclament la liberté la plus complète sous toutes ses manifestations.

Les jurys, les académies, les concours de toute espèce, ont démontré plus d'une fois leur impuissance à créer des hommes et des œuvres.

[…] Nous ne savons pas ce qu'il meurt de génies inconnus qui ne savent se plier aux exigences de la société, qui ne peuvent dompter leur sauvagerie et qui se suicident dans les cachots cellulaires de la convention.

M.

Courbet n'en est pas là : depuis 1848, il a exposé, sans interruption, aux divers Salons, des toiles importantes qui, toujours, ont eu le privilège de raviver les discussions.

Le gouvernement républicain lui acheta même une toile importante, l'Après-dînée à Ornans, que j'ai revue, au musée de Lille, à côté des vieux maîtres, et qui tient une place honorable au milieu d'œuvres consacrées. Champfleury, « Lettre à Madame Sand », 1855 Cette année, le jury s'est montré avare de place à l'exposition universelle pour les jeunes peintres : l'hospitalité était si grande vis-à-vis des hommes acceptés de la France et des nations étrangères, que la jeunesse en a un peu souffert.

J'ai peu de temps pour courir les ateliers, mais j'ai rencontré des toiles refusées qui, en d'autres temps, auraient obtenu certainement de légitimes succès.

M.

Courbet, fort de l'opinion publique, qui, depuis cinq ou six ans, joue autour de son nom, aura été blessé des refus du jury, qui tombaient sur ses œuvres les plus importantes, et il en a appelé directement au public.

Le raisonnement suivant s'est résumé dans son cerveau : on m'appelle réaliste, je veux démontrer, par une série de tableaux connus, comment je comprends le réalisme.

Non content de faire bâtir un atelier, d'y accrocher des toiles, le peintre a lancé un manifeste, et sur sa porte il a écrit : le réalisme. Si je vous adresse cette lettre, madame, c'est pour la vive curiosité pleine de bonne foi que vous avez montrée pour une doctrine qui prend corps de jour en jour et qui a ses représentants dans tous les arts.

Un musicien allemand, M.

Wagner, dont on ne connaît pas les œuvres à Paris, a été vivement maltraité, dans les gazettes musicales, par M.

Fétis, qui accuse le nouveau compositeur d'être entaché de réalisme.

Tous ceux qui apportent quelques aspirations nouvelles sont dits réalistes.

On verra certainement des médecins réalistes, des chimistes réalistes, des manufacturiers réalistes, des historiens réalistes.

M. Courbet est un réaliste, je suis un réaliste : puisque les critiques le disent, je les laisse dire. Mais, à ma grande honte, j'avoue n'avoir jamais étudié le code qui contient les lois à l'aide desquelles il est permis au premier venu de produire des œuvres réalistes. Le nom me fait horreur par sa terminaison pédantesque ; je crains les écoles comme le choléra, et ma plus grande joie est de rencontrer des individualités nettement tranchées. Voilà pourquoi M.

Courbet est, à mes yeux, un homme nouveau. Le peintre lui-même, dans son manifeste, a dit quelques mots excellents : "Le titre de réaliste m'a été imposé comme on a imposé aux hommes de 1830 le titre de romantiques. Les titres, en aucun temps, n'ont donné une idée juste des choses : s'il en était autrement, les œuvres seraient superflues." Mais vous savez mieux que personne, madame, quelle singulière ville est Paris en fait d'opinions et de discussions.

Le pays le plus intelligent de l'Europe renferme nécessairement le plus d'incapacités, de demi, de tiers et de quart d'intelligence ; doit-on même profaner ce beau nom pour en habiller ces pauvres bavards, ces niais raisonneurs, ces malheureux vivant des gazettes, ces curieux qui se glissent 2 Champfleury, « Lettre à Madame Sand », 1855 partout, ces impertinents qu'on tremble de voir parler, ces écrivassiers à tant la ligne qui se sont jetés dans les lettres par misère ou par paresse, enfin, cette tourbe de gens inutiles qui juge, raisonne, applaudit, contredit, loue, flatte, critique sans conviction, qui n'est pas la foule et qui se dit la foule. Avec dix personnes intelligentes on pourrait vider à fond la question du réalisme ; avec cette plèbe d'ignorants, de jaloux, d'impuissants, de critiques, il ne sort que des mots.

Je ne vous définirai pas, madame, le réalisme ; je ne sais d'où il vient, où il va, ce qu'il est ; Homère serait un réaliste, puisqu'il a observé et décrit avec exactitude les mœurs de son époque. Homère, on ne le sait pas assez, fut violemment insulté comme un réaliste dangereux.

"A la vérité, dit Cicéron en parlant d'Homère, toutes ces choses sont de pures inventions de ce poète, qui s'est plu à rabaisser les dieux jusqu'à la condition des hommes ; il eût été mieux d'élever les hommes jusqu'à celle des dieux." Que dit-on tous les jours dans les journaux ? S'il me fallait d'autres illustres exemples, je n'aurais qu'à ouvrir le premier volume venu de critique, car, aujourd'hui, il est de mode de réimprimer en volume les inutilités hebdomadaires qui se publient dans les journaux.

On y verrait, entre autres, que ce pauvre Gérard de Nerval a été conduit à une mort tragique par le réalisme.

C'est un gentilhomme amateur qui écrit de pareilles misères ; vos drames de campagne sont entachés de réalisme.

Ils renferment des paysans.

Là est le crime.

Dans ces derniers temps, Béranger a été accusé de réalisme.

Combien les mots peuvent entraîner les hommes ! M.

Courbet est un factieux pour avoir représenté de bonne foi des bourgeois, des paysans, des femmes de village de grandeur naturelle.

Ç'a été là le premier point.

On ne veut pas admettre qu'un casseur de pierre vaut un prince : la noblesse se gendarme de ce qu'il est accordé tant de mètres de toile à des gens du peuple ; seuls les souverains ont le droit d'être peints en pied, avec leurs décorations, leurs broderies et leurs physionomies officielles.

Comment ? Un homme d'Ornans, un paysan enfermé dans son cercueil, se permet de rassembler à son enterrement une foule considérable : des fermiers, des gens de bas étage, et on donne à cette représentation le développement que Largillière avait, lui, le droit de donner à des magistrats allant à la messe du Saint-Esprit.

Si Velasquez a fait grand, c'étaient des grands seigneurs d'Espagne, des infants, des infantes ; il y a là au 3 Champfleury, « Lettre à Madame Sand », 1855 moins de la soie, de l'or sur les habits, des décorations et des plumets.

Van der Helst a peint des bourgmestres dans toute leur taille, mais ces Flamands épais se sauvent par le costume. Il paraît que notre costume n'est pas un costume : j'ai honte, vraiment, madame, de m'arrêter à de telles raisons.

Le costume de chaque époque est régi par des lois inconnues, hygiéniques, qui se glissent dans la mode, sans que celle-ci s'en rende compte.

Tous les cinquante ans, les costumes sont bouleversés en France ; comme les physionomies, ils deviennent historiques et aussi curieux à étudier, aussi singuliers à regarder, que les vêtements d'une peuplade de sauvages.

Les portraits de Gérard, de 1800, qui ont pu sembler vulgaires dans le principe, prennent plus tard une tournure, une physionomie singulière.

Ce que les artistes appellent costume, c'est-à-dire, mille brimborions (des plumes, des mouches, des aigrettes, etc.), peut amuser un moment les esprits frivoles ; mais la représentation sérieuse de la personnalité actuelle, les chapeaux ronds, les habits noirs, les souliers vernis ou les sabots de paysans, est bien autrement intéressante. On m'accordera peut-être ceci, mais on dira : Votre peintre manque d'idéal.

Je répondrai à cela tout à l'heure, avec l'aide d'un homme qui a su tirer de l'œuvre de M.

Courbet des conclusions pleines d'un grand bon sens. Les quarante tableaux de l'avenue Montaigne contiennent des paysages, des portraits, des animaux, de grandes scènes domestiques et une œuvre que l'artiste intitule : Allégorie réelle.

D'un coup d'œil, il est.... »

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