Chapitre 2, « Le fond » à pages 26 (Si c'est un homme, 5 10 15 20 25 so 27)...
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«
Chapitre 2, « Le fond »
à pages 26
(Si c'est un homme,
5
10
15
20
25
so
27)
Alors, pour la première fois, nous nous apercevons que
notre langue manque de mots pour exprimer cette insul
te : la démolition d'un homme.
En un instant, dans une
intuition prophétique, la réalité nous apparaît : nous avons
touché le fond.
Il est impossible d'aller plus bas : il nexis
te pas, il ri.est pas possible de concevoir condition humai
ne plus misérable que la nôtre.
Plus rien ne nous
appartient : ils nous ont pris nos vêtements, nos chaus
sures, et même nos cheveux ; si nous parlons, ils ne nous
écouterons pas, et même s'ils nous écoutaient, ils ne nous
comprendraient pas.
Ils nous enlèveront jusqu'à notre
nom : et si nous voulons le conserver, nous devrons trou
ver en nous la force nécessaire pour que, derrière ce nom,
quelque chose de nous, de ce que nous étions, subsiste.
Nous savons, en disant cela, que nous serons difficilement compris, et il est bon qu'il en soit ainsi.
Mais que
chacun considère en soi-même toute la valeur, toute la
signification qui s'attache à la plus anodine de nos habi
tudes quotidiennes, aux mille petites choses qui nous
appartiennent et que même le plus humble des mendiants
possède : un mouchoir, une vieille lettre, la photographie
d'un être cher.
Ces choses-là font partie de nous presque
autant que les membres de notre corps, et il nest pas
concevable en ce monde d'en être privé, qu'aussitôt nous
trouvions à les remplacer par d'autres objets, d'autres par
ties de nous-mêmes qui veillent sur nos souvenirs et les
font revivre.
Qy'on imagine maintenant un homme non seulement
privé des êtres qu'il aime, mais de sa maison, de ses habitudes, de ses vêtements, de tout enfin, littéralement de
tout ce qu'il possède : ce sera un homme vide, réduit à la
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souffrance et au besoin, dénué de tout discernement,
oublieux de toute dignité : car, il n'est pas rare, quand on
a tout perdu, de se perdre soi-même ; ce sera un homme
dont on pourra décider de la vie ou de la mort le cœur
léger, sans aucune considération d'ordre humain, si ce
n'est, tout au plus, le critère d'utilité.
On comprendra alors
le double sens du terme« camp d'extermination» et ce
que nous entendons par l'expression« toucher le fond».
INTRODUCTION
1Situer le passage
Ce texte, situé dans le chapitre intitulé
«
Le fond
»,
marque le
moment où les détenus réalisent la condition qui les attend.
Ils sont
arrivés à Auschwitz dans l'ignorance de leur sort, après un voyage
atroce.
Après avoir été dépouillés de toutes leurs affaires personnelles, ils ont dû se doucher, passer à la désinfection, mettre des
godillots à semelles de bois et revêtir des vêtements misérables.
En
voyant les autres, chacun constate ce qu'il est devenu.
Ce chapitre
est en outre une sorte d'introduction à ceux qui vont suivre.
1Dégager des axes de lecture
L'extrait expose au lecteur de façon précise et détaillée la manière
dont on peut déshumaniser un homme.
Mais l'auteur s'interroge
également sur la possibilité de faire comprendre au lecteur une réalité aussi étrangère, et tente de lui donner les moyens de le faire.
PREMIER AXE DE LECTURE
LA DÉMOLITION D'UN HOMME
1Démolir, exterminer un homme
L'auteur nous dit qu'il veut, dans ce passage, faire comprendre ce
qu'il entend par les termes
«
camp d'extermination
».
On distingue
généralement les camps de concentration, où les détenus étaient
LECTURES ANALYTIQUES
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soumis à un travail épuisant, et les camps d'extermination, où les
déportés étaient mis à mort dès leur arrivée.
Auschwitz était un camp
« mixte » : les arrivants considérés comme in~ptes au travail étaient
directement envoyés dans les chambres à gaz de Birkenau.
Ils y
étaient exterminés au moyen d'un gaz insecticide, le zyklon B : autrement dit, ils n'avaient pas plus d'importance que de la vermine.
Mais
ce n'est pas ce que le narrateur entend ici par« extermination»: il
fait partie de ceux qui ont été « sélectionnés » à l'arrivée et dont le
travail allait être exploité dans le camp avant une mort quasi certaine
O'espérance de vie moyenne ne dépassait pas quelques semaines).
Ce qu'il veut exprimer par le terme extermination, c'est qu'on peut
démolir un homme, détruire son humanité, sans le tuer.
Dans les
camps nazis, cette déshumanisation était essentielle, car elle permettait ensuite de décider de la vie ou de la mort des détenus sans
aucun état d'âme, puisqu'ils n'étaient plus vraiment des hommes.
ILe fond
L'expression
«
toucher le fond » qui apparaît à la ligne 39 et par
laquelle se termine l'extrait évoque l'image de la noyade, de l'engloutissement dans l'univers du Lager.
C'est une métaphore que
l'auteur reprend souvent : ainsi, dans le chapitre 9 où il utilise les
termes « naufragés » et « rescapés » , ou encore dans le chapitre 11,
lorsqu'il cite le dernier vers du poème de Dante (« [...] jusqu'à
temps que la mer fût sur nous refermée», p.
123).
Les détenus
entrevoient soudain, comme s'ils pouvaient lire l'avenir, le sort qui
les attend.
L'image du
«
fond » revient avec l'expression
impossible d'aller plus bas
»
0- 5).
«
il est
Ils sont déjà moins que le plus
misérable des mendiants et plus rien ne leur appartient 0- 6-7), pas
même leur corps O'image du crâne rasé en est le symbole).
Mais ils
pressentent que leur condition....
»
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