Chapitrev (Pierre et Jean, pages 140-141) 5 10 15 20 25 Il allait maintenant, frôlant les groupes, tournant autour, saisi...
Extrait du document
«
Chapitrev
(Pierre et Jean, pages 140-141)
5
10
15
20
25
Il allait maintenant, frôlant les groupes, tournant autour,
saisi par des pensées nouvelles.
Toutes ces toilettes multico
lores qui couvraient le sable comme un bouquet, ces étoffes
jolies, ces omb�elles voyantes, la grâce factice des tailles
emprisonnées, toutes ces inventions ingénieuses de la mode
depuis la chaussure mignonne jusqu'au chapeau extrava
gant, la séduction du geste, de la voix et du sourire/ la
coquetterie enfin étalée sur cette plage lui apparaissaient
soudain comme une immense floraison de la perversité
féminine.
Toutes ces femmes parées voulaient plaire, sédui
re, et tenter quelqu'un.
Elles s'étaient faites belles pour les
hommes, pour tous les hommes, excepté pour l'époux
qu'elles n'avaient plus besoin de conquérir.
Elles s'étaient
faites belles pour l'amant d'aujourd'hui et l'amant de
demain, pour l'inconnu rencontré, remarqué, attendu peut
être.
Et ces hommes, assis près d'elles, les yeux dans les yeux,
parlant la bouche près de la bouche, les appelaient et les
désiraient, les chassaient comme un gibier souple et fuyant,
bien qu'il semblât si proche et si facile.
Cette vaste plage
n'était donc qu'une halle d'amour où les unes se vendaient,
les autres se donnaient, celles-ci marchandaient leurs
caresses et celles-là se promettaient seulement.
Toutes ces
femmes ne pensaient qu'à la même chose, offrir et faire
désirer leur chair déjà donnée, déjà vendue, déjà promise à
d'autres hommes.
Et il songea que sur la terre entière c'était
toujours la même chose.
r
INTRODUCTION
1Situer le passage
Au chapitre v, Pierre, de plus en plus sûr de l'infidélité de sa mère,
fuit pendant quelques heures la maison familiale.
Il quitte Le Havre
pour aller passer la journée à Trouville.
Il s'y promène d'abord agréablement, admirant les promeneuses
dont les silhouettes transforment la plage en
«
un long jardin plein de
fleurs éclatantes» (p.
140).
Leurs toilettes et leurs ombrelles ressemblent en effet à
«
des bouquets énormes dans une prairie démesu-
rée » (ibid.).
Mais, soudain, la vision de Pierre se brouille et il éprouve une bouffée de haine à l'égard des passantes.
1Dégager des axes de lec"ture
Le narrateur présente de manière saisissante les obsessions de
Pierre et nous invite, par là, à comprendre la manière dont la folie
s'empare du personnage.
PREMIER AXE DE LECTURE
UNE PRÉSENTATION SAISISSANTE
Les procédés narratifs et stylistiques mis en œuvre ici sont destinés à nous faire partager les sensations éprouvées par le héros.
1Le point de vue interne
En utilisant le point de vue interne\ le narrateur nous fait pénétrer
progressivement dans le monologue intérieur de Pierre.
En effet :
- Les premières lignes du texte appartiennent au récit.
Elles concentrent l'attention du lecteur sur le héros : « Il allait maintenant, frôlant
les groupes [...]
»
Q.
1).
- Puis, deux indications, au début et à la fin du texte, signalent que
le narrateur adopte désormais le point de vue de Pierre :
«
Toutes
ces toilettes [•••] lui apparaissaient soudain comme une immense
1.
Pour la définition du point de vue, voir p.
58-60.
LECTURES MÉTHODIQUES 105
floraison
»
(1.
2-8),
cc
Et il songea que•••
»
Q.
26).
Ces deux notations,
situées l'une dans la deuxième phrase et l'autre dans la dernière,
encadrent le passage.
Elles introduisent et concluent le monologue
intérieur.
- Le reste du texte, c'est-à-dire l'ensemble du passage, représente
les pensées du personnage.
Le narrateur adopte le point de vue du
héros sans signaler chaque fois que c'est Pierre qui observe les
femmes, qui croit deviner leur infidélité.
Ses jugements ne sont ni mis
à distance ni relativisés (« Toutes ces femmes parées voulaient plaire,[.•.] ne pensaient qu'à la même chose», 1.
10-24).
Le lecteur est
contraint de partager sa vision du monde.
1Des images fortes
Des images très différentes s'imposent à Pierre.
Leur succession
est expressive et frappante :
- Au début du texte, les toilettes sont comparées à un cc bouquet
»
Q.
3).
Depuis Ronsarc:1 2, la comparaison de la femme à une fleur est
fréquente dans la poésie amoureuse.
Au terme de « bouquet
écho celui de « floraison
»
»
fait
(1.
9), plus savant, plus recherché.
- Au début du second paragraphe, apparaît l'image de la chasse
(« ces hommes{•.•] chassaient», 1.
17-19).
La femme devient un
«
gibier souple et fuyant " Q.
19).
L'adjectif« fuyant ,.
peut être pris au
sens propre (ce gibier s'enfu)t) ; il peut aussi être enteC1du au sens
figuré : être fuyant, c'est manquer de franchise, de loyauté.
L'adjectif « facile " Q.
20) possède lui aussi un double sens : il peut évoquer
une proie dont on s'empare aisément ou une femme de mœurs
légères.
- La fin du texte rassemble des termes qui évoquent le commerce :
cc
halle» (1.
21), « les unes se vendaient, celles-ci marchandaient leurs
caresses » (1.
21-23),
cc
leur chair [•••] vendue » (1.
25).
C'est l'idée de
prostitution qui s'impose ici, bien que le mot ne soit pas prononcé.
Le texte nous fait ainsi passer d'une image traditionnelle et galante de la femme à une vision prosaïque et grossière.
2.
Dans un célèbre poème, « Mignonne, allons voir si la rose•••
beauté de la femme à celle d"une rose.
106
LECTURES MÉTHODIQUES
»,
Ronsard compare la
1
t
1L'accumulation des verbes
À la lecture de ce texte, on observe un grand nombre de verbes.
Ce procédé, qui rend le style vif et nerveux,....
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓