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Chateaubriand poète en prose dans René Au XVlll0 siècle, la prose était d'abord l'instrument de l'analyse philosophique et de la...

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« Chateaubriand poète en prose dans René Au XVlll0 siècle, la prose était d'abord l'instrument de l'analyse philosophique et de la narration.

Mais Rousseau, dans Les Confessions, La Nouvelle Héloïse, et plus encore Les Rêveries du promeneur solitaire, en fit un nouvel usage : au-delà de notre raison, la musique de son écriture sollicite nos sens, notre cœur et notre imagination.

La prose poétique était née. Grand admirateur de Rousseau, l'auteur de René emprunte à son tour cette voie nouvelle : à bien des égards, le roman de Chateaubriand se lit comme un poème. DES TABLEAUX ENCHANTEURS Sauf à viser la pure analyse psychologique, tout roman a ses décors.

Dans René, Chateaubriand traite les siens avec tout le raffinement d'un peintre.

Il brosse de vastes tableaux\ sans lesquels le récit ne se concevrait pas. Ces tableaux s'ordonnent généralement en une com­ position grandiose: «Vers l'orient, au fond de la pers­ pective, le soleil commençait à paraître entre les sommets brisés des Appalaches [...]; à l'occident, le Meschacebé roulait ses ondes dans un silence magnifique, et formait la bordure du tableau avec une inconcevable grandeur.

..

» (p.

142-143). 1.

C'est son propre terme (cf.

notre exemple ci-dessous.

et p.

151, 179). Le peintre possède aussi l'art de jouer avec les cou­ leurs, les lumières et les ombres.

L'or et l'azur du ciel et des montagnes éclaboussent de leur lumière les rives du Meschacebé où le héros raconte son histoire.

Et Paris au crépuscule est plongé, lui aussi, dans un «fluide d'or» (p.

156).

Ce glorieux éclairage alterne dans le roman avec les pâleurs irréelles de la lune et des tombeaux.

Il voisine avec le noir et le rouge des entrailles fantastiques de !'Etna.

Et avant le départ de René pour l'Amérique, vagues étincelantes et murs sombres du monastère offrent la prestigieuse poésie de leur contraste.

C'est elle que Cha­ teaubriand affectionne par-dessus tout, et qui lui inspire les superbes «nocturnes» de l'abbaye au clair de lune, de la chaumière sous l'orage, de la cellule d'Amélie 1 • Les «tableaux» de René parlent donc à nos sens : la cérémonie des vœux, avec ses flambeaux, ses fleurs et ses marbres, en est l'éloquent témoignage 2 • Mais l'auteur ne se contente pas de la beauté plastique, qui le séduit pourtant (et René avec lui).

C'est à notre imagination que profondément il s'adresse.

La poésie de ses décors ne tient pas seulement à leurs couleurs, à leur lumière.

Elle est dans le mystère des arrière-plans qui nous suggèrent d'autres étendues: forêts, grandes bruyères où l'on s'égare ...

Elle est dans le passage des oiseaux qui rejoi­ gnent d'autres espaces, l'élévation du regard vers le ciel, la profondeur des nuits et la mélancolie évocatrice des ruines.

Cette séduction du lointain, cette profondeur qui tend vers l'infini - confèrent aux tableaux du roman une sorte de magie : Chateaubriand nous y offre l'image de la réalité transfigurée par ses rêves.

C'est cette puis­ sance de suggestion qui lui a valu le surnom d' «en­ chanteur» - au sens le plus fort de ce terme. En proie aux enchantements des spectacles de la Nature 3, René sent naître en lui l'inspiration poétique: il murmure des vers, et pressent qu'il a le pouvoir d'en­ gendrer des mondes 4 • Cet envoûtement est sans doute révélateur de la poésie en ce qu'elle .a de plus profond: l'émotion s'y fait créatrice. 1.

Pages 147-148; p.

159-160; p.

166 et 176 ... 2.

Pages 172 et suivantes. 3.

Ou de la civilisation (p.

149 ou 156) - et souvent des deux ensemble (cf.

le monastère au bord de la mer, p.

176). 4.

Pages 144 et 160. UN ROMAN LYRIQUE Nous l'avons vu, dans ce récit, la musique est partout présente, des tempêtes au son de la cloche lointaine. Elle est présente aussi dans la musicalité du style, qui fait de René un roman lyrique, aux deux sens de ce mot : une effusion du "moi» s'y élève jusqu'au chf!nt 1• L'effusion du «moi» D'emblée, notre héros avertit ses amis: ce qu'il va leur conter, ce ne sont pas les aventures de sa vie, mais « les sentiments secrets de son âme».

Sa parole em­ prunte en effet toutes les tonalités, aiguës ou graves, du lyrisme: l'emphase, la nostalgie, le désir, le désespoir 2 • • • On notera d'ailleurs que, dans René, le discours narratif débouche la plupart du temps sur une envolée lyrique. Ainsi de la visite à « l'antique abbaye» (p.

148), qui s'achève en une plainte méditative: ô hommes, qui ayant vécu loin du monde, avez passé du silence de la vie au silence de la mort, de quel dégoQt de la terre vos tombeaux ne remplissaient-ils point mon cœur 3! Le lyrisme s'exclame, et il interroge: Quel labyrinthe de colonnes! Quelle succession d'arches et de voQtes!... ô illusions de l'enfance et de la patrie, ne perdez-vous jamais vos douceurs? ... C'est.... »

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