Chronologie et rythme narratif La chronologie du Chevalier de la charrette est floue. Chrétien de Troyes ne se livre pas...
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Chronologie
et rythme narratif
La chronologie du Chevalier de la charrette est floue.
Chrétien de Troyes ne se livre pas à un calcul mathématique
des années, des jours et des heures; il ne se soucie pas non
plus de la vraisemblance du calendrier.
Pourtant, dans ce roman centré sur l'errance et la quête,
le temps joue un rôle essentiel : de lui dépendent la réussite
d'une mission placée sous le signe de l'urgence (la libéra
tion de Guenièvre) et l'initiation du héros à des valeurs supé
rieures (l'amour et la chevalerie).
Pour évoquer le passage
du temps, indispensable à la cohérence de l'intrigue, le roman
cier utilise trois procédés : il recourt à différents systèmes
de datation, indique la durée de certains épisodes, et règle
habilement le rythme du récit.
LES SYSTÈMES
DE DATATION
L'absence de dates chiffrées
L'histoire du Chevalier de la charrette se déroule dans un
temps mythique.
Le règne du roi Arthur remonte à un passé
légendaire; ses limites se sont perdues dans les brumes du
rêve et de l'imagination.
La mention d'Arthur au début du
récit (v.
31) ne renvoie pas à une époque historique: l'auteur
recourt à ce procédé pour inscrire son œuvre dans un genre
littéraire : le roman breton, dont Arthur est le personnage
emblématique.
Si Chrétien de Troyes n'utilise pas de dates précises pour
situer les épisodes de son roman, c'est aussi parce qu'une
telle approche était étrangère aux hommes du Xll8 siècle.
Faute
de connaître la précision mécanique des horloges, ils se servaient de repères qui faisaient partie de leur vie quotidienne.
Une fête liturgique : I'Ascension
La France du x11e siècle appartient à une civilisation chrétienne : la vie quotidienne est rythmée par les cloches des
églises, et le calendrier annuel s'organise autour des grandes
fêtes religieuses.
Le Chevalier de la charrette s'ouvre sur
l'évocation de la cour d'Arthur, réunie « un jour de
!'Ascension» (v.
30).
Cette fête, qui commémore l'élévation
miraculeuse de Jésus-Christ dans le ciel, après sa résurrection, contribue à inscrire la scène dans une chronologie symbolique.
Les chevaliers arthuriens sont réunis dans une
atmosphère d'harmonie et de paix, que viendra troubler
l'ennemi, Méléagant.
Ce jour de !'Ascension apparaît dans d'autres romans de
Chrétien de Troyes, toujours au moment où le roi Arthur tient
séance plénière.
Il ne s'agit pas seulement d'un automatisme littéraire, destiné à grandir l'image du monde arthurien en l'associant à une date prestigieuse.
C'est aussi un
effet de réel, une manière d'ancrer le récit dans la réalité
concrète.: avec le retour de la belle saison (!'Ascension se
situe toujours au mois de mai), la vie sociale, interrompue
par les intempéries de l'hiver, peut reprendre.
Les saisons
La succession des saisons ne détermine pas seulement
la vie des laboureurs : par-delà son influence sur les récoltes,
elle revêt une signification symbolique et affective.
Si l'hiver
est la mauvaise saison, liée à la vieillesse et à la mort, le
retour des beaux jours est associé à la joie et à la jeunesse.
Dans leurs chansons, les troubadours associaient traditionnellement l'évocation du printemps à celle des plaisirs de
l'amour: le motif du renouveau, appelé «reverdie» en ancien
français, chante à l'unisson le réveil de la nature et l'éveil
des sens et des sentiments.
Chrétien de Troyes s'en inspire dans Le Chevalier de la
charrette : la scène des jeux, où un jeune chevalier dispute
à Lancelot la possession d'une jeune fille, se déroule pen-
dant « la belle saison », et le temps est assez chaud pour
que l'on puisse rester « en chemise» (v.
1656).
L'épisode
n'est pas daté, mais il est dit que les prés ont été fauchés
(v.
1835); d'ailleurs, les jeunes gens qui ont quitté le château pour s'amuser (v.
1639-1643) n'auraient pu le faire dans
l'herbe haute.
L'action se situe donc au mois de juin, période
des fenaisons 1 .
Les heures canoniales
La journée se répartit, au Moyen Age, entre les différentes
heures canoniales, qui correspondent aux différents moments
où les chanoines lisaient leur bréviaire.
Même les laïcs recouraient à ce découpage.
On ne sera donc pas surpris d'en voir
des traces dans Le Chevalier de la charrette, où le héros doit
gérer au mieux son temps pour accomplir sa longue et difficile quête.
Les chevauchées de Lancelot commencent très tôt le
matin : il a déjà fait un grand bout de chemin lorsqu'arrive
« la première heure du jour», qui correspond, dans le calendrier médiéval, à six heures.
La neuvième heure, appelée
none (v.
735), se situe au milieu de l'après-midi, et équivaut
aujourd'hui à quinze heures.
La prière des vêpres sert souvent de repère pour indiquer la fin de la journée.
Lancelot
n'en tient pas compte, puisqu'il continue à chevaucher
jusqu'à l'heure des complies, qui désigne la dernière partie
de l'office du soir, vers vingt heures (v.
2014), avant la tombée de la nuit (v.
2025).
L'opposition du jour et de la nuit
!.'.opposition du jour et de la nuit impose son rythme à la civilisation du Moyen Age, plus proche de la nature que la nôtre.
Le chevalier errant doit régler sa marche sur celle du soleil
et faire étape lorsque l'obscurité l'empêche de trouver son
chemin : un vavasseur le rappelle à Lancelot, en lui offrant
l'hospitalité pour la nuit (v.
2022-2027).
Ses avertissements
1.
Nous reprenons la démonstration de Philippe Ménard, dans son
article intitulé « Note sur la date du Chevalier de la charrette»,
Romania, n°92, 1971, p.
118-126.
ne sont pas seulement dictés par des considérations pratiques, mais aussi par la peur: l'approche de la nuit, au Moyen
Age, entraîne l'angoisse, tandis que le lever du jour est vécu
comme un soulagement.
Car les ténèbres symbolisent le
retour du chaos primitif; elles cachent un monde dangereux,
voué aux puissances du mal.
Au fur et à mesure que s'avance la soirée, les épreuves
affrontées par Lancelot deviennent plus redoutables.
C'est
après none qu'il se heurte au gardien du gué périlleux
(v.
735).
est enfermé dans le château aux portes retombantes
(v.
2256) et franchit le Pont de !'Épée (v.
3006).
C'est après
les vêpres qu'il doit résister aux avances d'une demoiselle
entreprenante (v.
932).
Enfin, c'est à minuit qu'il manque
d'être transpercé par la lance enflammée, alors qu'il repose
dans le lit défendu (v.
514).
Dans le domaine sentimental, l'opposition du jour et de la
nuit revêt une signification symbolique.
Le jour est réservé
aux exploits chevaleresques, publics, comme le tournoi de
Noauz, qui dure « tout le jour jusqu'au soir» (v.
5704).
En
revanche, la nuit est le temps où s'accomplit le mystère de
l'amour, qui doit rester caché aux profanes.
Ce partage du
temps est nettement souligné dans l'épisode du rendez-vous
de Lancelot et Guenièvre :
Que de joie et que de plaisir
eut Lancelot toute la nuit!
Mais vient le jour, et sa tristesse,
quand il doit se lever d'auprès de son amie
(v.
4685-4688).
La nuit ne se réduit donc pas à un temps vide, consacré au
repos.
El!e offre au héros de nouvelles expériences.
C'est bien
~ souvent une période de relance de l'action romanesque.
Ainsi,
lors d'une étape chez un vavasseur, Lancelot passe une partie de la soirée à discuter avec ses hôtes, qui le renseignent
sur leur captivité et l'encouragent dans sa mission libératrice;
la conversation s'achève sur la détermination de Lancelot à
suivre leurs conseils (v.
2952-2980).
Le chevalier hébergé pour
une nuit ne se laisse donc pas aller à la passivité : il se ressource, en vue de ses prochains combats.
La nuit renferme donc une triple fonction dans le roman.
Elle véhicule l'image d'un monde maléfique, contre lequel
doit lutter le chevalier, et qui prend fin avec la messe du
matin (v.
537), rappelant la victoire de l'ordre chrétien sur le
mal.
La complicité de la nuit favorise aussi l'initiation du héros
à l'amour mystique.
Enfin, elle oriente la destinée du héros,
et le prépare à de nouvelles aventures.
Tous ces systèmes de datation permettent de déterminer
la chronologie du roman selon des critères autonomes,
stables.
Mais le temps romanesque se définit aussi à l'aide
de critères relatifs.
LA DURÉE DES ÉPISODES
Chrétien de Troyes se borne souvent à situer un épisode
par rapport à celui qui précède.
L'objectivité des dates cède
la place à la durée vécue, dont l'unité de mesure dépend de
celui qui la perçoit.
L'étirement du temps
Les captifs emmenés par Méléagant ont quitté le royaume
de Logres depuis« longtemps» (v.....
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