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Clngénu et le mythe du bon sauvage En choisissant comme héros de son conte un Huron, Voltaire s'inscrit dans la...

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« Clngénu et le mythe du bon sauvage En choisissant comme héros de son conte un Huron, Voltaire s'inscrit dans la tradition littéraire et philosophique du « bon sau­ vage».

L'ingénu sert de porte-parole à la critique sociale, politique et religieuse du siècle de Louis XIV.

Voltaire ne souscrit cependant pas complètement au mythe du bon sauvage (voir p.

47), puisqu'il n'exalte pas la vie sauvage aux dépens de la civilisation.

II fait au contraire évoluer positivement son héros, lui conférant ainsi une sagesse et une humanité supérieures.

Le statut ambigu du héros par rapport au mythe est d'ailleurs symbolisé par les trois noms qui le désignent successivement : le Huron, l'ingénu et Hercule de Kerkabon 1 • LE PERSONNAGE DE L'INGÉNU 1 Portrait physique Le Huron garde certaines caractéristiques physiques du bon sauvage.

II est« très bien fait», vigoureux :« [II s'élance] d'un saut par-dessus la tête de ses compagnons» (chap.

Q et lutte contre la maréchaussée lors de son arrestation (chap.

IX), habile (il tue tren­ te pièces de gibier).

Sa nudité attire d'ailleurs les femmes à deux reprises, lors de sa première nuit au prieuré et lors de la cérémonie du baptême quand il attend nu dans la Rance : « M11• de Kerkabon 1.

Outra la tradition littéraire, on peut invoquer, pour ce récit, deux sources plus person­ nelles : le souvenir du chevalier de La Barra (âgé de 19 ans comme l'ingénu) et la capti­ vité de Voltaire à la Bastille après l'altercation avec le chevalier de Rohan. et son amie M11• de Saint-Yves [••.Jvirent qu'il avait étendu la couverture du lit sur le plancher; et qu'il reposait dans la plus belle attitude du monde » (chap.

1). Ce portrait physique s'accompagne de quelques rapides évocations exotiques : « Sa figure et son ajustement attirèrent les regards du frère et de la sœur.

Il était nu-tête et nu-jambes, les pieds chaussés de petites sandales, le chef orné de longs cheveux en tresses » (chap.

1).

Le Huron évoque quelques souvenirs indiens : il dresse un portrait de sa défunte maîtresse Abacaba à travers une série de comparaisons poétiques : « [ ••• J les joncs ne sont pas plus droits, l'hermine n'est pas plus blanche, les moutons sont moins doux, les aigles moins fiers, et les cerfs ne sont pas si légers que l'était Abacaba » (chap.

1).

Sa lutte avec !'Algonquin revêt la même saveur primitive : « un Algonquin mal élevé [..•J vint lui prendre son lièvre; je le sus, j'y courus, je terrassai !'Algonquin d'un coup de massue, je l'amenai aux pieds de ma maîtresse, pieds et poings liés » (chap.

1). Toutefois, même dans son apparence physique, Voltaire souligne que l'ingénu n'est pas un authentique sauvage.

Son physique est celui d'un Européen et même d'un « jeune premier».

« [lij a un teint de lis et de rose » (chap.

1).

Sa barbe révèle son origine européenne : « Le prieur, qui était homme de sens, remarqua que l'ingénu avait un peu de barbe; il savait très bien que les Hurons n'en ont point » (chap.

Il). Il a été élevé par des Hurons, mais il est breton : c'est « un Bas-Breton huron et anglais», lit-on à plusieurs reprises (chap.111 et IV). 1Les qualités morales Le sauvage est sain de corps et d'esprit.

Il est solide, robuste, mais inculte.

Il possède un grand nombre de qualités naturelles, que les mauvaises institutions n'ont pas gâtées, à la différence des _hommes prétendument civilisés, comme le souligne ce parallèle du Huron:« On les appelle sauvages; ce sont des gens de PROBLÉMATIQUES ESSENTIELLES 43 bien grossiers, et les hommes de ce pays-ci sont des coquins raffinés ,, (chap.

X}.

li observe une morale naturelle, respecte sa religion : « L'ingénu [11 assura que dans son pays on ne convertissait personne; que jamais un vrai Huron n'avait changé d'opinion, et que même il n'y avait point dans sa langue de terme qui signifiât mconstance ,, (chap.

1).

Il est tolérant comme il convient à un voyageur ayant séjourné en Angleterre, dénué de superstitions et de préjugés.

Il est naturellement noble.

Avant la scène de reconnaissance qui légitimera ses transports, il remercie M"• de Kerkabon avec une cordialité noble et fière et lui fait comprendre qu'il n'a besoin de rien (chap.

1).

La flatterie du courtisan lui est inconnue, avant comme après ses déboires à la Bastille. li est affable, aimable, doué d'une bonne éducation naturelle, qui le conduit par exemple à saluer M'10 de Kerkabon lorsqu'il débarque du navire anglais puis à offrir les deux portraits miniatures à ses hôtes pour les remercier de leur hospitalité.

Il est sensible : il est ému aux larmes de la misère des protestants, ce qui montre ses qualités de cœur, l'émotion étant, dans l'esprit du xvm• siècle, un témoignage irrécusable de bonté.

Sa simplicité ne l'empêche pas d'être noble et fier : il livre bataille aux Anglais après que l'amiral a repoussé avec insolence son entremise pacifique. Son évolution n'estompera pas ses qualités de cœur.

Pendant sa captivité, l'ingénu n'oublie ni Mil• de Saint-Yves, ni les Kerkabon.

Une fois délivré de prison, sa gratitude envers sa bienfaitrice est immense, mais son bonheur ne lui fait pas pour autant oublier l'amitié et Gordon.

Moins ignorant qu'auparavant des rouages de la société, il s'étonne du crédit obtenu par Mil• de Saint-Yves et perçoit à demi la vérité, sans la lui demander, car il est désormais respectueux des bienséances.

Il conserve néanmoins sa fierté et refuse violemment l'invitation du jésuite Vadbled à se rendre à la Cour. 44 PROBLÉMATIQUES ESSENTIELLES 1Les qualités intellectuelles Un sauvage déjà dégrossi Le Huron se caractérise par d'heureuses dispositions intellectuelles.

L'ingénu n'est pas un authentique sauvage.

Voltaire choisit un héros déjà dégrossi.

Son Huron ne pratique pas le cannibalisme, usage qui révolte Voltaire et qu'il condamne dans le chapitre des Oreillons de Candide : « On le louait beaucoup d'avoir empêché ses camarades de manger un Algonquin » (chap.

1) Avant d'arriver en France, le Huron a déjà tiré profit de la civilisation.

Aussi ne s'étonne-t-on point de sa sagesse à la fin de sa captivité.

Même avant son séjour à la Bastille, il n'est pas totalement inculte.

Il possède un solide bon sens qui lui fait imposer silence aux bavards à table, contester les modifications apportées aux Écritures et refuser de ratifier les manifestations religieuses qu'il ne comprend pas : pendan! la messe d'action de grâces, après la scène de reconnaissance, « [s'amuse] à boire dans la maison (chap.

Il). » le Huron, d'un air indifférent, Capable de raisonner, il oppose les lois naturelles aux lois imposées par la société.

Il réclame la liberté d'aimer.

Il a quelques rudiments de culture; il fait des vers quand il est amoureux de M11• de Saint-Yves et a lu quelques auteurs (Rabelais et Shakespeare) qu'il avoue avec franchise ne pas avoir intégralement compris : « Je vous avoue [...] que j'ai cru en deviner quelque chose, et que je n'ai pas entendu le reste » (chap.

(O. C'est un voyageur ouvert qui ne s'effarouche pas des nouveautés et goûte les expériences.

Voltaire justifie son surnom en définissant l'ingénuité comme le fait de dire naïvement ce que l'on pense et de faire tout ce que l'on veut (chap.

1).

Le Huron a « une mémoire excellente », sa conception est « vive et nette et « les choses entrent dans sa cervelle sans nuage son esprit est « juste » » », (chap.

Ill); (chap.

VI). PROBLÉMATIQUES ESSENTIELLES 45 Une évolution positive Ses aventures et la captivité à la Bastille achèvent de transfor- mer le Huron.

Cette évolution positive « de brute en homme » (chap.

XI) permet de voir en lui un idéal voltairien. À l'intelligence et au bon sens innés du jeune homme, non corrompus par les préjugés de l'éducation, s'ajoute désormais la culture.

Voltaire lui oppose le fils du bailli, abêti par le collège, « un grand nigaud de fils qui sortait du collège » (chap.

lQ.

Les réactions de l'ingénu, ses approbations et ses rejets établissent le portrait du sage.

Voltaire, à travers lui, s'intéresse à la littérature, aux mathématiques, à l'histoire.

Il se passionne pour l'astronomie.

Il critique les origines fabuleuses des mythologies, l'intolérance des hommes politiques et des religions et s'en prend aux vaines spéculations métaphysiques. La sagesse du jeune homme est telle que l'élève égale, puis surpasse son maître Gordon.

L'ingénu humanise le janséniste.

En effet, le véritable philosophe allie une culture raisonnée aux qualités humaines. L'évolution du héros, Huron devenu officier philosophe, témoigne de l'idéal humain voltairien.

L'artifice romanesque de l'emprisonnement, qui autorise cette utopie éducative (c'est-à-dire une expérience pédagogique plus symbolique que vraisemblable), prend sa pleine signification : le sage allie à une nature riche et déjà dégrossie les bienfaits de la civilisation.

Il conjugue bon sens et culture, bravoure et tact, sensibilité et respect des règles sociales. 1L'inaptitude à la vie sociale Ce héros sympathique est toutefois gauche et prête à rire, quand il doit être baptisé ou qu'il prétend forcer la porte de M0• de Saint-Yves: « L:lngénu n'entendait pas raillerie; il trouvait toutes ces façons-là extrêmement impertinentes » (chap.

VQ.

Le jugement ambigu des habitants de Saumur est révélateur : « Ces bonnes gens le prirent alors pour un grand seigneur qui voyageait incognito par le coche.

Quelques-uns le prirent pour le fou du roi » 46 PROBLÉMATIQUES ESSENTIELLES (chap.

VIII).

Il fait d'ailleurs son autocritique en déclarant à M 11• de Saint-Yves lors de leurs retrouvailles: " Enfin, comment vous êtesvous souvenue de moi? je ne le méritais pas, je n'étais alors qu'un sauvage » (chap.

XVIII).

li se caractérise donc par d'heureuses dispositions qui font de lui le parfait sujet d'une expérience éducative chère au siècle des Lumières.

Ce n'est qu'après le séjour à la Bastille qu'il peut incarner un idéal. Voltaire, contrairement aux primitMstes et aux partisans du bon sauvage, limite la supériorité du Huron sur l'individu civilisé, modifiant ainsi la tradition littéraire du bon sauvage. LE MYTHE DU BON SAUVAGE Le bon sauvage est un personnage fréquent dans la littérature des Lumières.

Il est même devenu un mythe littéraire,.... »

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