Colette, Sido, 1930. [Ô géraniums, ô digitales (1)... Celles-ci fusant des bois-taillis, ceux-là en rampe allumés au long de la...
Extrait du document
«
Colette, Sido, 1930.
[Ô géraniums, ô digitales (1)...
Celles-ci fusant des bois-taillis, ceux-là en rampe allumés
au long de la terrasse, c'est de votre reflet que ma joue d'enfant reçut un don vermeil.
Car
« Sido » aimait au jardin le rouge, le rose, les sanguines filles du rosier, de la croix de
Malte (1), des hortensias, et des bâtons-de-Saint-Jacques, et même le coqueret-alkékenge
(1), encore qu'elle accusât sa fleur, veinée de rouge sur pulpe rose, de lui rappeler un mou
(2) de veau frais...
À contrecoeur elle faisait pacte avec l'Est : « Je m'arrange avec lui »,
disait-elle.
Mais elle demeurait pleine de suspicion et surveillait, entre tous les cardinaux
et collatéraux (3), ce point glacé, traître aux jeux meurtriers.
Elle lui confiait des bulbes de
muguet, quelques bégonias, et des crocus mauves, veilleuses des froids crépuscules.
Hors une corne de terre, hors un bosquet de lauriers-cerises dominés par un junko-biloba
(1) − je donnais ses feuilles, en forme de raie, à mes camarades d'école, qui les séchaient
entre les pages de l'atlas − tout le chaud jardin se nourrissait d'une lumière jaune, à
tremblements rouges et violets, mais je ne pourrais dire si ce rouge, ce violet, dépendaient,
dépendent encore d'un sentimental bonheur ou d'un éblouissement optique.
Étés
réverbérés par le gravier jaune et chaud, étés traversant le jonc tressé de mes grands
chapeaux, étés presque sans nuits..].
Colette, Sido, 1930.
[Ô géraniums, ô digitales (1)...
Celles-ci fusant des bois-taillis, ceux-là en rampe allumés
au long de la terrasse, c'est de votre reflet que ma joue d'enfant reçut un don vermeil.
Car
« Sido » aimait au jardin le rouge, le rose, les sanguines filles du rosier, de la croix de
Malte (1), des hortensias, et des bâtons-de-Saint-Jacques, et même le coqueret-alkékenge
(1), encore qu'elle accusât sa fleur, veinée de rouge sur pulpe rose, de lui rappeler un mou
(2) de veau frais...
À contrecoeur elle faisait pacte avec l'Est : « Je m'arrange avec lui »,
disait-elle.
Mais elle demeurait pleine de suspicion et surveillait, entre tous les cardinaux
et collatéraux (3), ce point glacé, traître aux jeux meurtriers.
Elle lui confiait des bulbes de
muguet, quelques bégonias, et des crocus mauves, veilleuses des froids crépuscules.
Hors une corne de terre, hors un bosquet de lauriers-cerises dominés par un junko-biloba
(1) − je donnais ses feuilles, en forme de raie, à mes camarades d'école, qui les séchaient
entre les pages de l'atlas − tout le chaud jardin se nourrissait d'une lumière jaune, à
tremblements rouges et violets, mais je ne pourrais dire si ce rouge, ce violet, dépendaient,
dépendent encore d'un sentimental bonheur ou d'un éblouissement optique.
Étés
réverbérés par le gravier jaune et chaud, étés traversant le jonc tressé de mes grands
chapeaux, étés presque sans nuits..].
1.
nom de plantes
2.
mou : viande pour l'alimentation des chats.
3.
cardinaux et collatéraux : les points cardinaux sont les quatre points de l'horizon (nord,
sud, est, ouest), les points collatéraux sont situés entre deux points cardinaux et à égale
distance de ces derniers.
=> Pendant tout ce passage, hommage rendu à la nature.
Nombreux noms de fleurs cités.
Connaissance en botanique (noms précis…).
Lyrisme.
Amour de Sido pour son jardin, pour
les fleurs.
Véritable tendresse, amitié pour les fleurs aussi bien chez la mère que chez la
fille.
Extrait commenté :
« Car j'aimais tant l'aube, déjà, que ma mère me l'accordait en récompense.
J'obtenais
qu'elle m'éveillât à trois heures et demie, et je m'en allais, un panier vide à chaque bras,
vers des terres maraîchères qui se réfugiaient dans le pli étroit de la rivière, vers les fraises,
les cassis et les groseilles barbues.
À trois heures et demie, tout dormait dans un bleu originel, humide et confus, et quand
je descendais le chemin de sable, le brouillard retenu par son poids baignait d'abord mes
jambes, puis mon petit torse bien fait, atteignait mes lèvres, mes oreilles et mes narines
plus sensibles que tout le reste de mon corps...
J'allais seule, ce pays mal pensant était
sans dangers.
C'est sur ce chemin, c'est à cette heure que je prenais conscience de mon
prix, d'un état de grâce indicible et de ma connivence avec le premier souffle accouru, le
premier oiseau, le soleil encore ovale, déformé par son éclosion...
Ma mère me laissait partir, après m'avoir nommée « Beauté, Joyau-tout-en-or » ; elle
regardait courir et décroître sur la pente son oeuvre, − « chef-d'oeuvre », disait-elle.
J'étais
peut-être jolie; ma mère et mes portraits de ce temps-là ne sont pas toujours d'accord...
Je l'étais à cause de mon âge et du lever du jour, à cause des yeux bleus assombris par la
verdure, des cheveux blonds qui ne seraient lissés qu'à mon retour, et de ma supériorité
d'enfant éveillée sur les autres enfants endormis.
Je revenais à la cloche de la première messe.
Mais pas avant d'avoir mangé mon saoul,
pas avant d'avoir, dans les bois, décrit un grand circuit de chien qui chasse seul, et goûté
l'eau de deux sources perdues, que je révérais.
L'une se haussait hors de la terre par une
convulsion cristalline, une sorte de sanglot, et traçait elle-même son lit sableux.
Elle se
décourageait aussitôt née et replongeait sous la terre.
L'autre source, presque invisible,
froissait l'herbe comme un serpent, s'étalait secrète au centre d'un pré où des narcisses,
fleuris en ronde, attestaient seuls sa présence.
La première avait goût de feuille de chêne,
la seconde de fer et de tige de jacinthe...
Rien qu'à parler d'elles je souhaite que leur
saveur m'emplisse la bouche au moment de tout finir, et que j'emporte, avec moi, cette
gorgée imaginaire...
»
Sidonie Gabrielle Colette (1873-1954), dite Colette, est une romancière française,
élue membre de l’Académie Goncourt en 1945.
Elle passe une enfance heureuse à la campagne, adorée par sa mère comme un « joyau
tout en or » au sein d’une nature fraternelle.
Adolescente, elle rencontre adolescente Henry
Gauthier-Villars, surnommé « Willy », avec qui elle se marie en 1893.
Willy est auteur de
romans populaires, c’est un viveur parisien qui n’a pas grand talent.
Il introduit Colette
dans les cercles littéraires et musicaux de la capitale.
Très vite, il remarque les dons
d’écriture de sa jeune épouse et la pousse à rédiger ses souvenirs d’enfance.
Colette écrit
donc Claudine à l'école, puis toute la série des Claudine (La Maison de Claudine, Claudine
à Paris, Claudine en ménage, etc.).
Mais tous ses romans seront publiés sous le nom du
seul Willy… Colette et Willy divorcent.
La jeune femme continue à écrire (ex : Le Blé en
herbe), mène une vie originale et devient même actrice de mime.
Toute sa vie, Colette
rappelle l’amour qu’elle a de la nature, de la campagne…
Malgré sa réputation sulfureuse et le refus, par l’Église catholique, des obsèques
religieuses, Colette est la seule femme à avoir eu droit à des funérailles nationales.
Elle est
enterrée au cimetière du Père-Lachaise à Paris.
Sido, publié en 1930 sous le titre complet Sido ou les Points cardinaux, est un récit qui
rend hommage, qui célèbre la mère de Colette, Sidonie Landoy (1835-1912), dite Sido.
Bien que ce livre soit centré sur sa maman, il évoque également l’enfance de l’auteur (812 ans).
Il s'agit d'une collection de souvenirs, Colette y présente la genèse de sa
personnalité, y raconte des épisodes d'une étape clé, présentée comme le temps des
origines, une sorte d'âge d'or.
Dans cet extrait, la narratrice enfant raconte les promenades qu’elle faisait très tôt
le matin dans la nature, campagne présentée comme une sorte de paradis, de lieu de
bonheur...
I- Un texte poétique
A- Un texte lyrique et poétique
• Montrez que le lyrisme est très présent dans cet extrait.
Évocation lyrique de ses
escapades dans la campagne.
• Cf.
le sentiment de vénération qui se dégage à travers les hyperboles.
Ex : « j'aimais
tant l'aube », « je révérais »… Cf.
l’énumérations de fruits > richesse de la nature
bienfaisante…
• Cf.
l’assonance en [è] lorsqu’elle évoque le brouillard.
Ex : « descendais ; dormait ;
atteignait ; bien fait ; J'allais… » Assonance qui renforce le sentiment de paix, cette
atmosphère paisible créée par le brouillard.....
»
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