Comment reste.r un homme? Même s'il ne le dit pas explicitement, l'auteur nous suggère, à tra vers différents épisodes et...
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«
Comment reste.r
un homme?
Même s'il ne le dit pas explicitement, l'auteur nous suggère, à tra
vers différents épisodes et surtout grâce au portrait de quelques indi
vidus exceptionnels, qu'il existe une « troisième voie » qui permet de
ne sombrer ni dans la déchéance du « musulman » ni dans l'inhu
manité du « privilégié».
Pourtant, il ne faut pas en faire un mérite per
sonnel car, dans un tel univers, la chance joue un rôle essentiel,
comme l'ont reconnu tous les survivants.
QUELQUES MOMENTS D'HUMANITÉ
Dans cet univers où personne n'a envie de parler aux autres ni de
les écouter, se manifestent parfois une lueur d'humanité, un peu de
solidarité.
IUn ex -sergent de l'armée austro-hongroise
C'est, par exemple, la
«
leçon » que Steinlauf, qui a été sergent
dans l'armée austro-hongroise pendant la guerre de 14-18, donne au
narrateur dans le chapitre « Initiation ».
Cet « homme de bonne
volonté», un peu ridicule, met son point d'honneur à se laver tous les
jours alors même qu'il n'a pas de savon, et il s'adresse au narrateur
comme il devait le faire dans l'armée à une jeune recrue.
Son dis
cours exprime une morale rigide et un sens de la discipline que le
narrateur ne partage pas : lui n'a pas de système, et cette morale
militaire ne convient pas aux Italiens.
Pourtant il retiendra l'essentiel
de la leçon de Steinlauf : le meilleur moyen de résister est de refuser
de devenir des bêtes.
Pour cela, il faut se laver, prendre soin de son
corps et surtout, dit Steinlauf,
témoigner» (p.
42).
«
vouloir survivre, pour raconter, pour
IKraus
Un petit employé stupide
Dans le chapitre 14, c'est le narrateur qui est I'« ancien» face au
nouveau qu'est Kraus.
Il s'agit d'un Juif hongrois, récemment arrivé,
qui ne parvient pas à s'adapter.
Il applique dans le camp les règles
qu'il suivait dans la vie normale : par exemple, il faut bien faire son
travail, car plus on travaille, plus on mange.
Le début du chapitre est
dominé par le cynisme habituel chez les
«
anciens » : Kraus n'est
qu'un petit employé stupide (p.
141), si bête qu'il va jusqu'à faire
des excuses (p.
143).
Il « peut bien se tuer au travail si ça lui chante »
(p.
142).
Le narrateur va même jusqu'à dire que« les Hongrois sont
de drôles de gens
»,
lui qui a été victime des préjugés des Juifs
d'Europe centrale à l'égard des Italiens.
Le « regard de l'homme Kraus »
Tout à coup, le narrateur croise« le regard de l'homme Kraus
».
Il
ne nous.
dit rien de ses sentiments, mais tout est dans le terme
d'homme : le regard est la manifestation la plus évidente de notre
humanité, il est aussi un appel à la reconnaissance de l'autre et éventuellement à sa pitié.
En répondant à ce regard par des paroles, l'auteur montre que lui aussi est encore un homme.
C'est, nous dit-il,
«
un fait important dont il est significatif que je le raconte maintenant,
comme il est significatif, et pour les mêmes raisons sans doute, qu'il
se soit produit à ce moment-là» (p.
143).
Au lecteur d'en devinér la
signification.
L'auteur vient de nous décrire la sélection d'octobre 1944, concurrence sans pitié pour la survie, à laquelle il a survécu sans doute par chance.
Il aurait pu, comme un
«
musulman »,
être envoyé à la chambre à gaz ; il va, dans le chapitre suivant, devenir un privilégié à l'abri et au chaud dans le Laboratoire.
N'y a-t-il pas
ici une ébauche de ce que pourrait être la troisième voie ?
Un rêve
Ce n'est pas une leçon que le narrateur donne à Kraus.
Il n'est pas
un militaire épris de discipline, mais un rêveur, et aussi un parleur, un
conteur.
li lui offre donc le récit d'un rêve, un rêve qu'il n'a pas fait et
qu'il invente spécialement pour cet homme dont il vient de rencontrer
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le regard (pp.
143-144), un rêve qui est à bien des égards l'antithèse
du cauchemar raconté au chapitre 5.
Il est rentré chez lui, en Italie, au
sein de sa famille, et Kraus arrive « propre, gras, avec des cheveux et
des vêtements d'homme libre ».
Dans ce récit se trouve tout ce qui
manque cruellement aux détenus : la famille, une
de choses à manger » et même
encore chaude
»,
«
«
énorme quantité
une miche de pain de deux kilos,
l'été, la chaleur, un bon lit, et surtout l'hospitalité.
Le retour dans le camp
Cette trêve, cependant, ne dure qu'un court moment.
À la fin du
chapitre, nous retombons dans l'univers cynique du Lager: Kraus est
un « bon garçon », mais surtout un« pauvre naif » qui ne survivra pas
longtemps.
L'espace d'un instant, il a existé en tant qu'homme pour
le narrateur, mais il n'est plus rien, et la seule réalité est le présent :
la faim, le froid et la pluie.
QUELQUES HOMMES D'EXCEPTION
Trois des personnages du livre apparaissent comme des êtres à
part, qui échappent miraculeusement à la corruption ambiante.
IAiberto
C'est le meilleur ami du narrateur, et c'est surtout l'un de ces
hommes rares, capables de s'adapter au Lager sans se perdre euxmêmes.
Il est fort parce que, pour lui, la vie en général est un combat, et qu'il est capable d'utiliser à la fois son intelligence et son instinct pour survivre.
Il est doux car il n'en profite pas pour écraser les
autres, et il reste l'ami de tous.
Dans la lutte impitoyable pour la survie, il n'envie pas les privilèges des autres : par exemple, lorsque
l'auteur est admis au Laboratoire, Alberto se réjouit à la fois pour luimême (il pourra tirer profit de la situation) et pour son ami.
Mais, surtout, Alberto est un « indompté », contrairement à tous ces hommes
« domptés, éteints, dignes désormais de la mort qui les attend
»
(p.
160).
Il reste un homme libre, malgré la vie du camp, et contrairement à Steinlauf, il n'est pas emprisonné dans un « système » : il fait
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PROBLÉMATIQUES ESSENTIELLES
face à« l'imprévu, l'improvisé, le nouveau » (p.
148).
Alberto est mort
par malchance : il n'a pas fait partie des malades qui, comme le narrateur, sont restés dans le camp et ont survécu.
li a disparu pendant
la marche forcée qui a suivi l'évacuation d'Auschwitz, alors qu'il
aurait dû survivre car il était joyeux, confiant et astucieux (pp.
166167).
L'émotion perce lorsque l'auteur évoque son souvenir
«
si
proche et si cher » (p.
61).
IJean, le « Pikolo »
Le personnage de Jean apparârt dans le chapitre 11, « Le chant
d'Ulysse ».
Le terme de « Pikolo
piccolo, le
«
»
est une germanisation de l'italien
petit ».
Celui qui occupait ce poste dans le camp était
en général très jeune (Jean est une exception puisqu'il a vingt-quatre
ans) et jouissait de nombreux privilèges : il n'était pas astreint à un
travail manuel, mais chargé de toutes sortes de petites tâches telles
que l'entretien de la baraque ou le lavage des gamelles, qui lui permettaient de manger à sa faim
et de passer ses journées au chaud
(pp.
116-117).
Jean....
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