Commentaire de Cassation civile 2e, 12 décembre 1984 LA COUR, Sur le moyen unique. pris en ses deux branches :...
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Commentaire de Cassation
civile 2e, 12 décembre 1984
LA COUR,
Sur le moyen unique.
pris en ses deux branches :
Attendu, selon l'arrêt infirmatif attaqué, que Jean-Claude Sabatier,
âgé de 7 ans, qui jouait dans une cour d'école avec Nicolas
Desprats ayant le même âge, poussa celui-ci qui tomba en heurtant
un banc et fut blessé, que Mme Molina, agissant en qualité d'admi
nistrateur de la personne et des biens de son fils Nicolas Desprats, a
assigné en réparation du préjudice par lui subi M.
Sabatier en
qualité de civilement responsable et d'administrateur légal de la
personne et des biens de son fils Jean-Claude, et la Société
d'assurance moderne des agriculteurs;
Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt d'avoir déclaré Jean-Claude
Sabatier seul responsable du dommage caus� à Nicolas Desprats
alors, d'une part, qu'en affirmant que la faculté de discernement
de l'enfant âgé de 7 ans n'était pas discutée, il aurait dénaturé les
conclusions de M.
Sabatier précisant qu'il s'agissait d'enfants de
7 ans donc privés de discernement, alors, d'autre part, que la pous
sée nécessaire au jeu ne constituerait pas un geste brutal, que la
présence d'un banc dans une cour de récréation ne transformerait
pas le jeu de poursuite en un jeu dangereux, que la violence éven
tuelle de la poussée n'aurait pu se déduire de l'opération subie par
la victime, qu'en omettant de rechercher si Jean-Claude Sabatier
avait la capacité de discerner les conséquences de son geste et en
déduisant la faute des conséquences qu'elle aurait entraînées,
l'arrêt aurait violé l'article 1382 du Code civil;
Mais attendu que l'arrêt relève que le mineur Jean-Claude Sabatier
a poussé Nicolas Desprats sur un banc de la cour d'école avec une
violence telle qu'elle a entraîné un éclatement de la rate avec
hémorragie interne ;
Qu'en l'état de ces énonciations, la cour d'appel, qui n'était pas
tenue de vérifier si le mineur Jean-Claude Sabatier était capable de
discerner les conséquences de son acte, a caractérisé la faute
commise par lui;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé;
Par ces motifs :
- REJETTE le pourvoi formé contre l'arrêt rendu le 5 mars 1982 par
la cour d'appel de Toulouse.
------------------------ CORRIGÉ
La valeur n'attend pas le nombre des années.
La faute non plus.
Tel pourrait être le résumé lapidaire de la position actuelle de la Cour
de cassation relative à la responsabilité personnelle de l'enfant, dont
l'arrêt de la deuxième chambre du 12 décembre 1984 fournit une
illustration.
Au cours d'un jeu dans une cour de récréation, Jean-Claude, sept
ans, pousse un camarade du même âge, Nicolas.
Celui-ci tombe et,
heurtant un banc dans sa chute, est très grièvement blessé.
La mère de la victime assigne alors en réparation du préjudice
subi par son fils le père de Jeau-Claude, en sa double qualité de civi
lement responsable et d'administrateur légal de la personne et des
biens du mineur, ainsi que l'assureur de celui-ci.
À la différence des premiers juges, dont le détail de la décision
n'est pas rapporté, la cour d'appel retient, par un arrêt du 5 mars
1982, la responsabilité exclusive de l'enfant.
Relevant que la faculté
de discernement de l'intéressé n'est pas discutée, elle souligne la
violence du geste accompli par ce dernier en insistant sur ses consé
quences pour la victime.
Le pourvoi formé par l'assureur du père de l'enfant déclaré res
ponsable critique la décision sur ces deux points.
En statuant comme
elle l'a fait, la cour d'appel aurait violé l'article 1382 du Code civil.
D'une part, la faute ne peut être régulièrement caractérisée sans
rechercher la capacité du mineur à discerner les conséquences de ses
actes; c'est donc à tort que les juges se sont dispensés de cet examen.
En affirmant que cette question n'était pas discutée, ces derniers ont
dénaturé les conclusions du père de l'enfant développées à ce sujet.
D'autre part, l'élément matériel de la faute n'aurait pas non plus été
convenablement établi : la démonstration s'appuierait en effet seule
ment sur le constat des conséquences de l'acte pour la victime ; la
brutalité du geste en lui-même n'aurait pas été démontrée par la cour
au regard du contexte dans lequel il est intervenu, celui d'un jeu
entre enfants de sept ans, que la présence d'un banc sur les lieux où il
se déroulait ne suffisait pas à rendre dangereux.
La difficulté présentée par l'espèce apparaît ainsi clairement :
Comment doit être définie la faute d'un enfant, dont les facultés de
discernement peuvent paraître encore incertaines ? Cette considé
ration est-elle essentielle ou peut-elle être négligée ? Que restera-t-il
de la faute dans cette dernière hypothèse ? Posées à la deuxième
chambre civile de la Cour de cassation quelques mois après l'inter
vention de l'Assemblée plénière à ce sujet, ces questions ne manquent
évidemment pas d'intérêt.
Deux des décisions rendues par la forma
tion la plus solennelle de la Cour, le 9 mai 1984, se prononçant sur la
responsabilité pour faute de l'enfant, ont indiqué que les juges
n'étaient pas tenus dans ce cadre de vérifier si le mineur était ou non
doté d'une faculté suffisante de discernement.
Jusqu'à cette interven
tion, la deuxième chambre avait paru attachée à cette condition.
Sa
soumission à la position adoptée par l'Assemblée plénière pouvait
donc ne pas aller de soi.
Sa résistance éventuelle ne serait d'ailleurs
pas isolée : Les arguments théoriques comme les raisons pratiques
invoquées au soutien de cette évolution ont fait l'objet de contro
verses ; la négligence de l'élément moral de la faute est apparue criti
quable, entraînant une véritable dénaturation de la notion.
La Cour rejette le pourvoi formé contre l'arrêt de la cour d'appel
de Toulouse.
Citant les termes par lesquels les juges du fond ont
démontré la violence du geste commis par l'enfant, elle conclut
« qu'en l'état de ces énonciations, la cour d'appel, qui n'était pas tenu
de vérifier si le mineur était capable de discerner les conséquences de
son acte, a caractérisé la faute commise par lui ».
La deuxième chambre de la Cour de cassation s'aligne ainsi claire
ment sur la position de l'Assemblée plénière quant au rôle du discer
nement dans la caractérisation de la faute du mineur (I).
Réduisant
alors la faute à sa seule composante matérielle, elle permet aussi
d'appréhender plus précisément la définition et l'appréciation de
celle-ci (II).
1.
L'abandon de l'exigence de la faculté de discernement
De la formule employée, il résulte nettement que la faute de
l'enfant peut-être démontrée, nonobstant toute considération relative
à la faculté de discernement de l'intéressé (B).
Pour en comprendre la
portée, il faut préalablement examiner l'objet de la recherche dont les
juges se trouvent ainsi dispensés (A).
A.
Les juges ne sont pas tenus de vérifier la capacité
du mineur à discerner les conséquences de ses actes
Bien qu'incidente, cette proposition de la décision, reprenant la
tournure exacte employée par l'Assemblée plénière, apparaît essen
tielle.
Le sujet abordé est d'abord important.
La faculté de discerner
les conséquences de ses actes peut être définie comme la capacité
d'un individu à comprendre le sens de ses actions, à prendre cons
cience de la portée de ses gestes et décisions.
Cette aptitude justifie
classiquement la possibilité d'imputer les faits dommageables pour
autrui à celui qui les commet.
On ne peut reprocher à une personne
que les actes qu'elle était en mesure d'assumer au moment de leur
réalisation.
Tel est le principe dominant la définition de la faute
pénale.
La liberté, le libre arbitre, sont des conditions de la faute au
sens fort du terme.
La faute civile est aussi imprégnée de cette con
ception, quoique la portée exacte de l'exigence de discernement ait
été discutée.
Que l'on considère celle-ci comme une condition exté
rieure à la faute ou comme l'un de ses éléments constitutifs, la capa
cité de l'auteur du fait dommageable à comprendre ses actes paraît
traditionnellement indispensable à la mise en œuvre de sa respon
sabilité personnelle.
La décision n'envisage cependant pas la question de façon géné
rale.
Elle se préoccupe seulement de l'existence du discernement dans
le cas singulier du mineur.
La minorité renvoie à une condition juri
dique stable tout au long de la période qu'elle désigne.
Les raisons
justifiant la mise en place d'un régime de protection juridique et
celles expliquant les doutes que l'on peut avoir sur la réalité de la
faculté de discernement du mineur procèdent d'une même source : le
jeune âge, le manque d'expérience et de maturité.
Néanmoins l'âge de
la majorité est déterminé de manière abstraite et générale ; le discer
nement est affaire de cas d'espèce, requiert une appréciation indivi
duelle et subjective.
C'est moins pour le mineur en général que pour
le très jeune enfant en particulier que la difficulté se présente.
L'arrêt ne s'attarde pas à cette précision.
Viser le mineur sans dis
tinction, c'est peut-être déjà signifier que l'âge exact de l'intéressé n'a
aucune incidence sur la solution à retenir.
Pourtant la position adop
tée en l'espèce par la cour d'appel pouvait entretenir un doute à ce
sujet.
Celle-ci n'a pas expressément déclaré indifférente la question
du discernement de l'enfant.
Elle a plus sobrement retenu que cette
faculté n'était pas discutée.
Une telle attitude évite à coup sûr l'instau
ration d'un débat compliqué.
L'appréciation des aptitudes de l'enfant
suppose un examen attentif à la fois de la psychologie de ce dernier et
des caractéristiques de l'acte dommageable commis.
Il est vrai que la
jurisprudence tend quelquefois à faire jouer le nombre des années
comme une présomption.
Les capacités de l'enfant évoluent avec
l'âge ; plus le temps passe, moins la question doit se poser.
Le mineur
était en l'occurrence âgé de sept ans.
Une formule populaire veut que
ce soit l'âge de raison.
Est-ce en ce sens qu'il faut entendre la formule
de la cour estimant que les facultés de l'enfant n'étaient pas discu
tées ? Peut-être est-ce parce qu'elles n'étaient pas discutables à un tel
âge.
Les termes du pourvoi semblent cependant exclure une telle
interprétation : L'arrêt s'est plutôt fondé (et de manière erronée) sur
l'absence de débat sur ce point.
La position de la Cour de cassation
balaie radicalement la difficulté.
Tout cela n'a aucune importance.
Dans le cadre de la question posée, les juges n'avaient aucune obliga
tion quant à la vérification de la capacité de discernement du mineur.
L'indifférence de celle-ci dans la caractérisation de la faute du mineur
est ainsi nettement affirmée.
B.
La faute du mineur peut être caractérisée
indépendamment de sa faculté de discernement
La formule est sans ambiguïté de ce point de vue.
Dispenser les
juges de toute recherche du discernement, c'est clairement indiquer
que celle-ci n'est en rien utile à la caractérisation de la faute finale
ment retenue.
La solution n'est pas rédigée en termes de principe.
L'énoncé est cependant rigoureusement identique à celui des arrêts
Lemaire et Derguini, rendus quelques mois auparavant par l'Assem
blée plénière.
Une telle similitude peut-être interprétée comme un
acte d'allégeance de la part de la deuxième chambre.
Jusqu'alors,
celle-ci avait exigé avec fermeté que les faits dommageables soient
imputables à l'enfant pour retenir sa faute.
Sans doute était-il difficile
de ne pas s'incliner devant l'attitude adoptée par la formation la plus
solennelle de la Cour de cassation.
Pourtant la deuxième chambre
avait su jusque-là rester sourde aux voix de plus en plus nombreuses
qui s'élevaient en faveur d'une modification de la solution classique et
qui ont finalement eu raison de l'Assemblée plénière elle-même.
On a ainsi fait remarquer que la situation du mineur n'est pas la
seule dans laquelle !'imputabilité de la faute est douteuse.
La question
se pose également au sujet du dément.
Or le sort de ce dernier est
organisé d'une manière particulière par l'article 489-2 du Code civil,
depuis la loi du 3 janvier 1968.
Le trouble mental sous l'empire
duquel se trouve celui qui commet des actes dommageables pour
autrui ne le dispense pas de réparer les conséquences de ceux-ci.
La
solution ne devrait-elle pas être étendue aux mineurs ? Il existe pour
tant une différence entre les deux cas : l'insuffisance naturelle du dis
cernement de l'enfant ne se confond pas avec l'altération patho
logique de cette faculté chez le malade.
Si malgré tout l'assimilation
des deux situations semble opportune, c'est pour une raison exté
rieure à ces intéressés, en se plaçant non plus du point de vue des
auteurs de l'acte dommageable, mais dans la perspective des intérêts
de la victime.
Cette considération explique l'évolution de la jurispru
dence déjà observée au sujet d'autres difficultés.
La garde, condition
de responsabilité du fait des choses, a ainsi pu être caractérisée en
l'absence de tout discernement du gardien.
La position adoptée ici à
l'encontre du mineur peut donc représenter un alignement des solu
tions applicables par faveur pour la victime, afin de faciliter son
indemnisation.
De ce point de vue, la présente décision est plus con
vaincante que les interventions de l'Assemblée plénière.
La faute du
mineur retenue permet bien en effet à la victime d'obtenir réparation,
alors que les arrêts Lemaire et Derguini se prononçaient sur le fait de
l'enfant lui-même victime, source d'exonération pour le responsable à
titre principal.
Même dans cette hypothèse, on peut encore douter de l'efficacité
de la position consacrée.
L'indemnisation de la victime suppose en
effet que le fautif soit suffisamment solvable ou bénéficie d'une assu
rance satisfaisante.
Sur ce terrain pratique, des solutions plus utiles
auraient sans doute été imaginables.
Elles pourraient être également souhaitables au regard de la
rigueur du raisonnement juridique tenu en la matière.
Les situations
du mineur et du majeur apparaissent bien identiques, dans la mesure
où tous deux sont obligés à réparer les conséquences dommageables
de leurs actes.
Mais le dément ne l'est pas, si du moins on s'attache à
la lettre des textes, sur le fondement d'une faute qu'il aurait commise.
Son sort est donc réglé de manière originale, distincte de la mise en
œuvre pure et....
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