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COURNOT ou L'ordre et le hasard par Florence Khodoss l'idée de l'ordre 11e peut nous être donnée que par l'ordre...

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« COURNOT ou L'ordre et le hasard par Florence Khodoss l'idée de l'ordre 11e peut nous être donnée que par l'ordre lui-même. Cournot, Essai sur le fondement de 110s connaissances, p.

130. Une philosophie liée à la science La pensée de Cournot peut être d'abord située comme une philosophie des sciences; c'est là sa part la plus neuve.

Mais cette philosophie des sciences s'insère dans une Philosophie (tout court), largement ouverte sur !'Histoire, le Droit et la morale.

Toutefois la science reste le point central sur lequel s'appuie toute la construction.

Non que cette philosophie soit un scientisme, si l'on entend par ce mot une prétention de résorber toute la philosophie dans la science.

L'objet propre de la philosophie est la rationalité et celle-ci est à l'œuvre dans les sciences.

Or, dans toute science il y a des parties positives et pour ainsi dire techniques, et puis il y a des idées directrices, la préférence pour un style de pensée, la façon de combiner les exigences d'unité et de diversité, parfois un goût de nature esthétique, et tout cela est objet de philosophie.

La science, en un sens étroit, ne comporte que des questions qui peuvent se trancher soit par la déduction rigoureuse, soit par l'observation et l'expérience.

Mais la science demeurerait bien pauvre si par exigence de rigueur elle se refusait aux aventures d'une raison, non pas triomphante, mais toujours en recherche, qui va au-delà de ce qu'elle maîtrise effectivement.

Cournot pensait que la philosophie et la science ne doivent être ni confondues ni séparées, mais que 138 Cournot la philosophie a besoin de la science comme elle a généralement besoin de ce qui n'est pas elle.

« Il faut reconnaître que l'élément philosophique et l'élément scientifique, quoique distincts l'un de l'autre, se combinent où s'associent dans le développement naturel et régulier de l'activité intellectuelle. La philosophie sans la science perd bientôt de vue nos rapports réels avec la création, pour s'égarer dans des espaces imaginaires ; la science sans la philosophie mériterait encore d'être cultivée pour les applications aux besoins de la vie; mais hors de là, on ne voit pas qu'elle offre à la raison un aliment digne d'elle, ni qu'elle puisse être prise pour le dernier but des travaux de l'esprit » (Essai sur le fondement de nos connaissances,§ 325).

C'est un point sur lequel il revient souvent, à savoir « l'union intime et pourtant la primitive indépendance de l'élément philosophique et de l'élément positif, ou proprement scientifique dans le système de la connaissance» (ibid.,§ 329).

Cournot a réagi contre la tendance universitaire qui dès cette époque avait mis la philosophie dans l'ordre des lettres.

Lier la philosophie aux sciences, sa culture personnelle l'y préparait, alors que son époque a vu s'aggraver le divorce entre la philosophie et les sciences, séparation totalement étrangère aux grandes philosophies des âges classiques. De l'ordre au hasard Le grand rationalisme du XVII" siècle, ce que l'on pourrait appeler le rationalisme triomphant, Cournot le connaît bien. En particulier l'œuvre de Leibniz est pour lui un centre de référence aussi bien en philosophie qu'en mathématiques. Mais au moment même où il vient de lui rendre hommage, il renvoie sa pensée au musée des systèmes caducs : « parce qu'il est interdit, même au plus puissant génie, de refaire I'œuvre de Dieu et de reconstruire le monde de toutes pièces, par la vertu d'un principe » (Essai sur le fondement de nos connaissances, p.

30). La raison humaine chez Cournot est en travail, elle est bien la faculté qui cherche et découvre la liaison entre les choses, leur raison d'être.

Mais il récuse une définition trop ambi- Cournot 139 tieuse, en usage de son temps, qui donnerait pour objets à la raison les vérités absolues et nécessaires, Dieu et l'infini.

Un enfant qui nous harcèle de« pourquoi ? » manifeste sa nature douée de raison, alors que ces mots d'absolu et d'infini n'ont pas de sens pour lui.

Chercher les liaisons, s'orienter dans la pensée et dans 1' expérience, tel le est la tâche de la raison, à tous les âges et dans toutes les cultures ; la raison, « faculté de saisir l'ordre suivant lequel les faits, les lois, les rapports, objets de notre connaissance, s'enchaînent » (ibid., § l 7). Volontiers, il adopterait les formules kantiennes selon lesquelles la raison, architectonique par excellence, est la faculté des principes.

Cela s'entend de la raison comme fonction de la pensée, tandis que la raison des choses est ce qui rend! 'univers cohérent.

Mais, à la différence du rationalisme triomphant, cette raison architectonique doit rester modeste pour être saine, car la cohérence de 1' univers n'est pas totale. En cela il s'oppose à quelques idées que son temps a héritées du xvmc siècle.

La pensée de cette époque est hantée par la tentation - ou 1'espoir - de réduire tous les phénomènes de l'univers à une seule formule.

L'on cite souvent une phrase de Laplace qui exprime cet idéal : « Une intelligence qui, pour un instant donné, connaîtrait toutes les forces dont la nature est animée et la situation respective des êtres qui la composent, si d'ailleurs elle était assez vaste pour soumettre ces données à l'analyse, embrasserait dans la même formule le mouvement des plus grands corps de l'univers et ceux du plus léger atome ; rien ne serait incertain pour elle et 1' avenir comme le passé serait présent à ses yeux.

» (Laplace, Essai philosophique sur les probabilités, 1814 ). Il est bien évident qu'un tel modèle de connaissance ne peut être qu'un rêve de mathématicien.

Auguste Comte, un moment tenté par ce rêve, le qualifie de « simple jeu philosophique » ( Cours de philosophie positive, 1rc leçon).

Mais ceux qui le récusent invoquent en général la faiblesse de 1'esprit humain.

Cournot va plus loin: la réduction à une formule unique n'est pas un idéal inaccessible, c'est un faux idéal. Car l'unité rationnelle du monde est partielle.

Elle laisse une place à des faits purs et simples, sans raison, qui seront dits aléatoires ou fortuits, c'est-à-dire dus au hasard.

Précisons d'emblée qu'il ne s'agit pas de quelque irruption de l'absurde 140 Cournot dans un monde bien ordonné, ni d'une démission de la raison devant ce qui la dépasserait.

Le hasard est rigoureusement défini et strictement cerné.

L'on peut dire à la fois que l'événement fortuit est sans raison et que le concept de hasard est fondé en raison.

Mais rendre compte du hasard, ce n'est pas le réduire au rationnel.

Il y a là d'abord une énigme, pour un rationalisme qui se veut raisonnable.

Or, ceci mérite quelques explications préliminaires. Cause et raison sont choses différentes Lq philosophie de l'âge classique identifiait volontiers la cause et la raison des choses - « causa sive ratio » 1 • Cour- not les distingue et ce point est essentiel à son analyse du hasard.

La distinction permettra de dire que l'événement aléatoire est sans raison mais non pas sans cause.

La causalité est un lien nécessaire entre des termes qui se succèdent ; elle relie les événements de proche en proche dans une série linéaire.

La raison est le principe d'intelligibilité.

Elle met la clarté dans l'enchevêtrement, elle est globalisante, son objet est le système, non la liaison ponctuelle, ou, pour employer un langage plus proche de celui de Cournot : la raison dans les choses, c'est l'ordre; la raison en la pensée humaine, c'est la connaissance de l'ordre et d'abord sa recherche.

Ajoutons que la raison a lieu aussi dans les objets de pure pensée où la cause n'a pas sa place: un théorème ne sera pas dit cause d'un autre, alors qu'il peut en être la raison.

En Histoire, la curiosité anecdotiques' attache à montrer la petitesse des causes et la grandeur des effets, ce qui est un caractère de l'événement aléatoire.

L'Histoire que Cournot appelle philosophique cherche les raisons, les conditions durables, les lois, « les conditions de structure et de forme qui prévalent à la longue et dans l'ensemble des événements sur les causes proprement dites» (Considérations ...

, Livre I, chap.

1).

« Le succès d'une conspiration, d'une émeute, d'un scrutin décidera d'une révolution dont il faut chercher la raison dans la cadu· 1.

Cf notamment Spinoza, Ethique 1, 11.

On pourra consulter le Vocabulaire de Lalande à l'article« Cause». Cournot 141 cité des vieilles institutions, dans le changement des mœurs et des croyances, ou à l'inverse dans les besoins de sortir du désordre et de rassurer des intérêts alarmés.

Voilà ce que l'historien philosophe sera chargé de faire ressortir» (Matérialisme, Vitalisme, Rationalisme, p.

220).

Mais Cournot ne pousse pas jusqu'à la sorte de Philosophie de l'Histoire qui poserait une loi unique éclairant tout le devenir humain. L'aléatoire demeure, parfois insignifiant, parfois décisif, sans quoi il n'y aurait plus d'Histoire.« Il n'y a pas d'Histoire proprement dite, là où tous les événements dérivent nécessairement et régulièrement les uns des autres, en vertu des lois constantes par lesquelles le système est régi» (Essai.

..

, § 3 I 3).

L'aléatoire, c'est la balle qui atteint ou épargne un chef de guerre, c'est l'attentat réussi ou manqué, c'est la tempête qui disperse I' Armada ou la pluie qui détrempe un champ de bataille.

Dans l'ordre physique on retrouve les deux idées, mais celle de raison des choses« (a) bien plus de généralité, (elle est) l'idée régulatrice au critère de laquelle doit être soumise l'idée même de cause, si l'on tient à en fixer la portée et à en apprécier la valeur» (Matérialisme ...

, p.

170).

Telles sont les théories sur la constitution de la matière, par exemple l'hypothèse atomique qui, à l'époque de Cournot, n'avait pas encore reçu la confirmation de l'expérience, mais avait déjà montré sa valeur explicative. Anciennes polémiques sur le hasard Avant de formuler plus complètement le concept de hasard selon Cournot, il convient de rappeler sommairement les formules traditionnelles qu'il récuse. Et d'abord il se garde de substantifier le hasard, encore plus de le personnifier.

Le hasard ne fait rien, bien que certains événements arrivent par hasard.

C'est pourquoi nous employons ici plus volontiers que« hasard» les mots« aléatoire » ou « fortuit » qui signifient la même chose mais ont l'avantage, étant des adjectifs, de nous inciter moins à faire du hasard une cause substantielle.

Mais Cournot élimine aussi l'idée selon laquelle le fortuit serait !'absolument spontané, le commencement absolu sans cause, autrement dit le 142 Cournot _contingent.

Bien plus, pour le définir, Cournot a besoin d'affirmer que rien ne se produit sans cause ; la notion de série causale linéaire est une pièce maîtresse de son système. « De même que toute chose doit avoir sa raison, ainsi tout ce que nous appelons événement doit avoir une cause.

Souvent la cause d'un événement nous échappe, ou nous prenons pour cause ce qui ne l'est pas ; mais, ni l'impuissance où nous nous trouvons d'appliquer le principe de causalité, ni les méprises où il nous arrive de tomber en voulant l'appliquer inconsidérément, n'ont pour résultat de nous ébranler dans notre adhésion à ce principe, conçu comme une règle absolue et nécessaire. Nous remontons d'un effet à sa cause immédiate ; cette cause, à son tour, est conçue comme effet, et ainsi de suite, sans que l'esprit conçoive, dans l'ordre des événements, et sans que l'observation puisse atteindre aucune limite à cette progression ascendante.

L'effet actuel devient ou peut devenir à son tour cause d'un effet subséquent, et ainsi à l'infini. Cette chaîne indéfinie de causes et d'effets qui se succèdent, chaîne dont l'événement actuel forme un anneau, constitue essentiellement une série linéaire.

» (Essai, § 29). Mais beaucoup de ceux qui, comme Cournot, nient toute contingence, nient aussi le hasard, ou plutôt le ramènent à notre ignorance des causes.

La théorie des probabilités, exposée par Laplace, reposait sur cette ignorance ou indécision du jugement.

Pour « l'intelligence supérieure» évoquée plus haut (cf p.

139), il n'y aurait pas de hasard. Enfin une définition courante de l'événement fortuit, c'·est l'absence de finalité là où l'on pourrait croire qu'une fin a été visée.

Ce genre d'événement est d'abord pensé comme chance ou malchance.

La réflexion critique réduit la chance (et la malchance) au hasard:« Le hasard, c'est l'accident qui est favorable ou défavorable à quelque fin sans que cette fin ait été pour quelque chose dans sa production » (Goblot, Remarque au Vocabulaire de Lalande).

La théorie de Cournot est assez proche de cette dernière formule, mais elle est à la fois plus large et plus précise.

Le projet qui vise une fin ne sera plus alors qu'un cas particulier d'organisation rationnelle. Cournot 143 La rencontre de séries causales indépendantes Pour achever de formuler le concept, il faut reprendre l'idée de série causale.... »

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