Deux ans après les lois instituant l'enseignement public, laïque, gratuit et obligataire, Jules Ferry adresse cette lettre aux instituteurs (17...
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Deux ans après les lois instituant l'enseignement public, laïque, gratuit et
obligataire, Jules Ferry adresse cette lettre aux instituteurs (17 novembre
1883).
Il est impossible que vous voyiez chaque jour tous ces enfants qui se
pressent autour de vous, écoutant vos leçons, observant votre cond�ite,
s'inspirant de vos exemples, à l'âge où l'esprit s'éveille, où le cœur s'ouvre,
où la mémoire s'enrichit sans que l'idée vous vienne aussitôt de profiter de
cette docilité, de cette confiance, pour leur transmettre, avec les connais
sances scolaires proprement dites, les principes mêmes de la morale,
j'entends simplement cette bonne et antique morale que nous avons reçue
de nos pères et mères et que nous nous honorons tous de suivre dans les
relations de la vie, sans nous mettre en peine d'en discuter les bases philo
sophiques.
Vous êtes l'auxiliaire et, à certains égards, le suppléant du père
de famille: parlez donc à son enfant comme vous voudriez que l'on parlât
au vôtre: avec force et autorité, toutes les fois qu'il s'agit d'une vérité
incontestée, d'un précepte de la morale commune; avec la plus grande
réserve, dès que vous risquez d'effleurer un sentiment religieux dont vous
n'êtes pas juge.
Si parfois vous étiez embarrassé pour savoir jusqu'où il vous est permis
d'aller dans votre enseignement moral, voici une règle pratique à laquelle
vous pourrez vous tenir.
Au moment de proposer aux élèves un précepte,
une maxime quelconque, demandez-vous s'il se trouve à votre connais
sance un seul honnête homme qui puisse être froissé de ce que vous allez
dire.
Demandez-vous si un père de famille, je dis un seul, présent à votre
classe et vous écoutant pourrait de bonne foi refuser son assentiment à ce
qu'il vous entendrait dire.
Si oui, abstenez-vous de le dire; sinon, parlez
hardiment : car ce que vous allez communiquer à l'enfant, ce n'est pas
votre propre sagesse, c'est la sagesse du genre humain, c'est une de ces
idées d'ordre universel que plusieurs siècles de civilisation ont fait entrer
dans le patrimoine de l'humanité.
Si étroit que vous semble peut-être un
cercle d'action ainsi tracé, faites-vous un devoir d'honneur de n'en jamais
sortir, de rester en deçà de cette limite plutôt que vous exposer à la fran
chir; vous ne toucherez jamais avec trop de scrupule à cette chose délicate
et sacrée qu'est la conscience de l'enfant.
Mais, une fois que vous êtes
ainsi loyalement enfermé dans l'humble et sûre région de la morale usuelle,
que vous demande-t-on? des discours? des dissertations savantes? de
brillants exposés, un docte enseignement? Non I La famillle et la société
vous demandent de les aider à bien élever leurs enfants, à en faire des hon
nêtes gens.
C'est-à-dire qu'elles attendent de vous non· des paroles, mais
des actes, non pas un enseignement de plus à inscrire au programme, mais
un service tout pratique, que vous pouvez rendre au pays plutôt encore
comme homme que comme professeur.
Il ne s'agit plus là d'une série de vérités à démJntrer mais, ce qui est tout
autrement laborieux, d'une longue suite d'influences morales à exercer sur
ces jeunes êtres, à force de patience, de fermeté, de douceur, d'élévation
dans le caractère et de puissance persùasive.
On a compté sur vous pour
leur apprendre à bien vivre par la manière même dont vous vivrez avec eux
et devant eux.
On a osé prétendre pour vous que, d'ici à quelques généra
tions, les habitudes et les idées des populations au milieu desquelles vous
aurez exercé attestent les bons effets de vos leçons de morale.
Ce sera
dans l'histoire un honneur particulier pour notre corps enseignant d'avoir
mérité d'inspirer aux Chambres Françaises cette opinion qu'il y a dans cha
que instituteur, dans chaque institutrice, un auxiliaire naturel du progrès
moral et social, une personne dont l'influence ne peut manquer, en quel
que sorte, d'élever autour d'elle le niveau des mœurs.
Ce rôle est assez
beau pour que vous n'éprouviez nul besoin de l'agrandir.
D'autres se char
geront plus tard d'achever l'œuvre que vous ébauchez dans l'enfant et
d'ajouter à l'enseignement primaire de la morale un complément de culture
philosophique ou religieuse.
Pour vous, bornez-vous à l'office que la
société vous assigne et qui a aussi sa noblesse; posez dans l'âme des
enfants les premiers et solides fondements de la simple moralité.
Dans une telle œuvre, vous le savez, Monsieur, ce n'est pas avec des dif
ficultés de théorie et de haute spéculation que vous avez à vous mesurer;
c'est avec des défauts, des vices, des préjugés grossiers.
Ces défauts, il ne
s'agit pas de les condamner - tout le monde ne les condamne-t-il pas?
mais de les faire disparaître par une succession de petites victoires, obscu
rément remportées.
Il ne suffit pas que vos élèves aient compris et....
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