DU MYTHE A LA PENSEE RATIONNELLE par François CHÂTELET La philosophie parle grec. On a eu raison de le redire...
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DU MYTHE A LA PENSEE RATIONNELLE
par François CHÂTELET
La philosophie parle grec.
On a eu raison de le redire après
Heidegger.
Encore s':agit-il de savoir quelle langue grecque.
Nous avons trop coutume de raisonner en fonction des
normes syntàxiques · et sémantiques aJ:hitrairement fixéea
.·à une épo que 'Telativement récente.
Il est évident que la
langue d'Héraclite n'est pas la même que celle des penseurs
de l'époque alexandrine; que la transcription opérée· par
Cicéron des termes et des constructions dont usaient l'Aca
démie et le Portique n'est pas correcte; que le latin des
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Romains n'est pas le même que celui des chrétiens; que le
code linguistique de ces derniers n'a pas gardé, de la patris
tiqué'1 latine à la disc;;ertation d'habilitation d'Emmanuel
Kant, dix-sept siècles après, le même ordre significatif.
Il ·faudrait une singulière cécité pour penser qu'existe une
sorte de référentiel absolu à partir de quoi il serait possible
de.traduire, de confronter, d'organiser, en filiations patentes
ou cachées, les textes de ceux qui sont désignés comme
« grands philosophes ».
A cet égard, les exercices des érudits
- qui, sans arrêt, découvrent de nouvelles parentés sont à mettre au même registre que les acTobaties desJ5nants
de l'histoire secrète, philologues et herméneutistes • celui
de mythologues qui construisent un passé en quoi, chacun,
-aujourd'hui, trouvera son intérêt et sa justification.
Aussi bien convient-il de commencer par un exemple,
qui est comme un apologue.
L'histoire moderne de la philo-
sophie de !'.Antiquité rétablit un ordre, intellectuellement
satisfaisant pour ceux qui l'élaborent.
Au début, il y a la
religion, le mythe, la poésie : d'Homère à Pindare (et, par
déviation, jusqu'aux auteurs classiques de la tragédie);
vient une transition : les « présocratiques .»; dans cette
grande « poche», on loge les « physiciens», Thalès; par exem
ple, les atomistes, les médecins, les historiens, Héraclite,
Parménide, Anax�gore, Empédocle� les_ sophistes; surgit
Socrate : tout change, i,nais d'une manière ·qui n'est pas
encore radicale.
Avec Platon, avec la fonda:tion de l'Aca
démie, en 387, s'institue enfin l'ordre de la rationalité;
précaire, maladroit, cet ordre qui sera sujet à de multiples
modifications, a déjà déterminé ses principes.
A la pen
sée obéissant à l'exigence, .légendaire;.
se substitue une
nouvelle logique réglant, grâce à .
une· stricte discipline du
discours, la question au droit à la parole vraie, c'est
à-dire efficace.
Une telle lecture est bonne.
Il est incontestable que la
concéption grecque de l'homme et du monde s'est progres
sivement.« sécularisée » ou « lalcisée » et que l'univers des
dieux s'est effacé peu à peu devant les actions des hommes.
Alors qu'aux siècles qu'il est convenu .d'appeler homériques,
le récit s'organise autour des personnages divins, les per
sonnages humains étant' réduits eux-mêmes à des essences
dans le statut de la quasi-dépendance; à l'époque classique
- ·au v8 siècle ·-, l'homme, comme citoyen-guerrier, qui
parle et qui se bat, apparaît comme partie prenante de son
destin; A cette époque, des genres culturels changent de
sens et de style : la tragédie, de fondamentalement reli
gi�use, devient cérémonie civique;· la comédie passe du jeu
bouffon à la critique politique; d'autres se renforcent, comme
l'histoire-géographie : aux descriptions légendaires · et aux
généalogies mythiques font place des paysages et des
mœurs précisément· analysés et décrits, des séquences évé- , •
nementièlles rapportées:scrupuleusement; d'autres naissent,
comme une médecine qui, désormais, fait appel plus à la
recherche des causes de la maladie qu'aux ressources ambiguës de la divination; comme la I physique», qui en vient,
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peu à peu, des spéculations magiques à l'étude des relations phénoménales; comme l'art de la parole, qui n'est plus
désormais l'apanage des familles nobles, mais qui devient
le moyen dont tout citoyen dispose, au moins en droit, pour
faire valoir ses opinions et ses intérêts; comme la « philosophie n, qui cesse d'être déclaration exaltante et mystérieuse, pour revendiquer, dans la maîtrise du jeu des ques·
tions et des réponses, son droit à définir, en tous domaines,
la juridiction suprême.·
Bref, pour parler comme Condorcet, le progrès va bien.
Lentement, les « lumières n s'installent.
Le lieu où s'opère
cette mutation, c'est la Cité.
Celle-ci se forme dans les villes
coloniales, singulièrement d'Asie mineure; elle gagne la
métropole et Athènes va être le lieu d'une évolution tenue,
par la suite, pour exemplaire.
Le schéma d'évolution, dès
lors, est satisfaisant : la conquête politique du statut civique
- de l'ordre de....
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