Émile Zola (L.:Assommoir, Chapitre VI) 5 10 15 20 25 C'était le tour de la Gueule-d'Or. Avant de commencer, il...
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Émile Zola
(L.:Assommoir, Chapitre VI)
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C'était le tour de la Gueule-d'Or.
Avant de commencer,
il jeta à la blanchisseuse un regard plein d'une tendresse
confiante.
Puis, il ne se pressa pas, il prit sa distance, lança
le marteau de haut, à grandes volées régulières.
Il avait le
jeu classique, correct, balancé et souple.
Fifine* dans ses
deux mains, ne dansait pas un chahut de bastringue, les
guibolles emportées par-dessus les jupes ; elle s'enlevait,
retombait en cadence, comme une dame noble, l'air
sérieux, conduisant quelque menuet ancien.
Les talons de
Fifine tapaient la mesure, gravement; et ils s'enfonçaient
dans le fer rouge, sur la tête du boulon, avec une science
réfléchie, d'abord écrasant le métal au milieu, puis le
modelant par une série de coups d'une précision rythmée.
Bien sûr, ce n'était pas de l'eau-de-vie que la Gueule-d'Or
avait dans les veines, c'était du sang, du sang pur qui bat
tait puissamment jusque dans son marteau, et qui réglait
la besogne.
Un homme magnifique au travail, ce gaillard
là ! Il recevait en plein la grande flamme de la forge.
Ses
cheveux courts, frisant sur son front bas, sa belle barbe
jaune, aux anneaux tombants, s'allumaient, lui éclairaient
toute la figure de leurs fils d'or, une vraie figure d'or, sans
mentir.
Avec ça, un cou pareil à une colonne, blanc
comme un cou d'enfant; une poitrine vaste, large à y cou
cher en travers; des épaules et des bras sculptés qui paraissaient copiés sur ceux d'un géant, dans un musée.
Qy.and
il prenait son élan, on voyait ses muscles se gonfler, des
montagnes de chair roulant et durcissant sous sa peau; ses
épaules, sa poitrine, son cou enflaient ; il faisait de la
* Fifine est une masse de dix kilos, ainsi prénommée par les ouvriers de l'atelier.
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clarté autour de lm, il devenait beau, tout-puissant, comme
un Bon Dieu.
Vingt fois déjà, il avait abattu Fifine, les yeux
sur le fer, respirant à chaque coup, ayant seulement à ses
tempes deux grosses gouttes de sueur qui coulaient.
Il
comptait : vingt et un, vingt-deux, vingt-trois.
Fifine
continuait tranquillement ses révérences de grande dame.
« Qgel poseur ! » murmura en ricanant Bec-Salé, dit
Boit-sans-Soif.
Et Gervaise en face de la Gueule-d'Or, regardait avec
un sourire attendri.
Mon Dieu ! que les hommes étaient
donc bêtes ! Est-ce que ces deux-là ne tapaient pas sur
leurs boulons pour lui faire la cour ! Oh ! elle comprenait
bien, ils se la disputaient à coups de marteau ; ils étaient
comme deux grands coqs rouges qui font les gaillards
devant une petite poule blanche.
Faut-il avoir des inventions, ri est-ce pas ? Le cœur a tout de même, parfois, des
façons drôles de se déclarer.
Oui, c'était pour elle, cette
forge en branle, flambante d'un incendie, emplie d'un
pétillement d'étincelles vives.
Ils lui forgeaient là un
amour, ils se la disputaient, à qui forgerait le mieux.
f
1.
l
INTRODUCTION
1Situer le passage
t.:Assommoir est le septième roman d'Émile Zola.
Il porte sur les
milieux ouvriers de la capitale.
Zola y dépeint le destin de Gervaise
une blanchisseuse à la lourde hérédité alcoolique, qui, malgré ses
efforts et son courage, sombre dans la déchéance et l'éthylisme.
Une
polémique suit la parution de l'ouvrage, à cause du langage vert et
argotique employé par Zola pour rendre compte de la parole
ouvrière.
Le roman apparaît aux détracteurs du naturalisme comme
l'exemple même des abus du mouvement.
On caricature Zola en
égoutier, en vidangeur.
LECTURES
ANALYTIQUES
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Au chapitre VI, Gervaise est mariée et tient une petite blanchisserie dans le quartier de la Goutte-d'Or.
Elle semble en pleine ascension sociale.
Elle est secrètement et platoniquement aimée du forgeron Goujet, dit la Gueule-d'Or.
Un jour, Gervaise s'aventure dans la
forge de Goujet.
Celui-ci met au défi un autre forgeron, Bec-Salé,
d'enfoncer« proprement » un boulon avec une masse de dix kilos.
1Dégager des axes de lecture
Notre projet de lecture sera de montrer que la vision naturaliste est
doublée par une mythification de l'ouvrier au travail et transfigurée
par une perspective érotique.
Un premier axe de lecture montrera que Goujet présente une sorte
de mythification de l'ouvrier au travail et un deuxième axe de lecture
prouvera que Zola présente ici une réécriture érotisée de la tradition
médiévale du duel pour la dame.
PREMIER AXE DE LECTURE
LA MYTHIFICATION DE L'OUVRIER AU TRAVAIL
Nous nous intéresserons d'abord à l'éloge naturaliste du bon
ouvrier, avant d'insister sur la sacralisation et la mythification de
Goujet.
1Un éloge naturaliste du bon ouvrier
Ce texte décrit d'abord un ouvrier au travail.
Dans une perspective
naturaliste, Zola s'attache à décrire toutes les classes de la société
et notamment le peuple.
Il est passionné par le travail des corps et
des machines.
Il aime la précision des descriptions et il s'arrête sur
ce mouvement répétitif de l'ouvrier qui enfonce un boulon (1.
2, 3).
En
bon naturaliste, il utilise les termes techniques (boulon, marteau, fer) ;
il donne surtout le mode d'emploi pour forger un boulon (« avec une
science réfléchie », « d'abord écrasant le métal au milieu, puis le
modelant par une série de coups d'une précision rythmée»).
L'éloge
passe par l'énumération de termes très laudatifs (« correct, balancé
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LECTURES ANALYTIQUES
et souple»), par des comparaisons (« comme une dame noble»), par
l'utilisation d'hyperboles* (« un homme magnifique au travail, ce
gaillard-là ! ») encore renforcée par la modalité exclamative.
Il fait donc un éloge du travail comme noblesse de l'ouvrier et il
insiste sur la pureté du sang non dilué dans l'alcool :
«
Bien sûr, ce
n'était pas de l'eau-de-vie que la Gueule-d'Or avait dans les veines
[...].
» Goujet présente le....
»
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