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EPICTETE ou Le pouvoir du maître par Léon-Louis Grateloup Pour moi, j'ai tout examiné et personne n'a de pouvoir sur...

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« EPICTETE ou Le pouvoir du maître par Léon-Louis Grateloup Pour moi, j'ai tout examiné et personne n'a de pouvoir sur moi. Epictète, Entretiens, IV, VI." Si vous passez un jour par Prévéza, .. Si vous passez un jour par Prévéza, ayez une pensée pour Epictète, car c'est là que vécut et enseigna, pendant plùs de trente ans, au premier siècle de notre ère, l'un de ces authentiques professeurs de philosophie à qui nous sommes heureusement redevables de la confusion populaire de la philosophie avec un certain art de vivre. Né esclave Né à Hiérapolis en Phrygie, Epictète était un esclave, de langue grecque et de nom grec (épiktétos signifie en grec : « acquis récemment »).

A Rome, il eut pour maître Epaphrodite, affranchi et secrétaire de Néron, qui suivit l'empereur dans sa fuite et l'aida à se suicider, ce qui lui valut d'être mis à mort par l'empereur Domitien.

On rapporte qu'Epaphrodite frappait souvent Epictète et qu'un jour, lui ayant cassé là jambe, il s'attira cette tranquille remarque de son esclave: « Je te l'avais bien dit.» Affranchi à son tour, Epictète put suivre les leçons du philosophe stoïcien Musonius Rufus, qui décidèrent de sa vocation.

Il vécut à Rome jusqu'à l'expulsion des philosophes par l'empereur Domitien en l'an 94 et alla s'établir en Epire, à 128 Epictète Nicopolis,.

c'est-à-dire la Ville de la Victoire, fondée 30 ans avant J.-C par l'empereur Auguste pour commémorer la victoire d' Actium.

Il ouvrit à Nicopolis (actuellement : Prévéza) une école dans laquelle il dispensa jusqu'à sa mort (vers 130) un enseignement qui eut la plus large audience. En 124 ou 125, lors de son passage à Nicopolis, l'empereur Hadrien ne manqua pas de rendre visite au philosophe. Epictète vivait très simplement, dans une maison dont le mobilier se composait essentiellement d'une table et d'un lit, s'occupant de faire sa cuisine et son ménage - et d'enseigner la philosophie.

Certains historiens ajoutent que, sur le tard, il prit avec lui une femme pour élever un enfant abandonné qu'il avait recueilli.

On dit aussi qu'il possédait une lampe de fer, qu'un voleur lui déroba : il se procura alors une lampe de terre, très modeste, en disant : « Mon voleur sera bien attrapé, s'il revient! » Mais, à la mort d'Epictète, cette lampe fut payée trois mille drachmes par un amateur, qui croyait en recevoir la même lumière qui avait éclairé le philosophe ! Les Entretiens et le Manuel Maître de riches jeunes gens qui se destinaient aux plus hautes charges,.

Epictète eut parmi ses élèves Arrien (Flavianus Arrianus), qui entra dans l'armée, fit carrière dans l'administration romaine, devint légat de Cappadoce etfut l'historien d'Alexandre le Grand : on a de lui, notamment, un Périple du Pont-Euxin, une Expédition d'Alexandre et un Ecrit sur l'Inde.

Epictète, comparable en cela à Socrate pour qui il avait la plus grande admiration, .n'a rien écrit. Mais Arrien avait tachygraphié, selon une technique déjà en usage (on dirait aujourd'hui : sténographié) les propos de son maître, en respectant fidèl.ement son franc-parler.

Il en avait composé huit Diatribai (Diatribes ou Entretiens) - il nous en reste quatre - et une sorte de petit caté.

chisme : l'Encheiridion (ou Manuel).

Arrien n'avait pas l'intention de publier ses notes, mais, les ayant prêtées à des amis, ceux-ci en firent bientôt circuler des copies.

Arrien se résolut alors à écrire une sorte de préface pQur une édition Epictète 129 officielle, sous la forme d'une lettre « A Lucius Gellus », qui est désormais placée en tête des Entretiens. L'authenticité des Entretiens est en quelque sorte attestée par la différence de style entre d'une part, les notes prises par le disciple et dans lesquelles on trouve des formes dialectales, des expressions populaires, ·des phrases inachevées, bref, toutes les marques d'un propos saisi sur le vif; et, d'autre part, les œuvres personnelles d' Arrien, écrites dans le meilleur style attique. L'unique manuscrit que nous possédons des textes d' Arrien date de la fin du xf ou du début du XIf siècle : il se trouve actuellement à Oxford, à la Bodleian Library.

C'est de ce document inestimable que procèdent les innombrables traductions qui ont fait connaître dans toutes les langues l'enseignement d'Epictète. Ainsi, avec Sénèque (mort en 65) et Marc Aurèle (121180), Epictète est l'un des trois grands stoïciens de l'époque impériale dont nous possédons l'essentiel de l'œuvre, tandis que nous ne connaissons le « stoïcisme » des pères fondateurs de la doctrine qu'à travers des fragments ou des résumés. Epictète et là philosophie du Portique Qu'est-ce donc qu'un «stoïcien» et que signifie ce mot? C'est vers l'an 300 avant J.-C.

que Zénon de Cittium (ou Kition), venu de son île natale, l'actuelle Chypre, s'établit à Athènes après avoir fait naufrage au large du Pirée et fonda une école philosophique, dont il établit le siège sous le Portique (en grec : Stoa), connu aussi sous le nom de Pécile.

Ce Portique était en effet une célèbre Galerie ornée de peintures (Poïkilè Stoa).

La plupart de ces peintures étaient l'œuvre du peintre Polygnote de Thasos (environ 400 avant J.-C.) et représentaient les Amazones, la destruction de Troie et la victoire de Marathon.

Zénon enseigna donc en ce lieu, sous le regard des héros légendaires du Portique, et ses disciples, d'abord appelés zénoniens, prirent ensuite le nom de stoïciens. 130 Epictète S'il y a malgré les divergences qui expliquent la diversité des jugements portés sur la philosophie du Portique, une intuition majeure sur laquelle s'accordent tous les stoïciens, de Zénon à Chrysippe et à Epictète, c'est bien l'idée selon laquelle l'homme n'est pas en face de la nature, ni au-dessus de la nature, ni au-dessous de la nature, mais au sein de la nature, et qu'il s'agit donc pour lui de « vivre conformément à la nature» (homologouménôs tè phusei dzèn). Mais cette intuition centrale de la doctrine stoïcienne trouve une expression originale et particulièrement forte dans la philosophie d'Epictète. Comment lire Epictète·? Pour connaître cette philosophie, pour retrouver l 'essentiel de l'enseignement d'Epictète, comme si nous avions nous-mêmes suivi ses leçons, ne suffit-il pas de relire les notes prises par Arrien? N'est-ce pas ainsi qu'ont procédé Montaigne, Descartes, Pascal, Vigny et tant d'autres qui ont tour à tour médité les textes des Stoïciens, _pour y surprendre le secret de la sagesse ? Deux remarques préalables s'imposent toutefois : tout d'abord, nous disposons de deux textes, dont les styles différents justifient bien les deux titres distincts : le Manuel, dans la.

rigoureuse succession de ses 53 courts chapitres, dresse pour ainsi dire devant nous la statue de marbre ou d'airain du sage idéal ; les Entretiens, dans l'ample développement de leurs quatre Livres au style si direct et si varié, nous mettent en présence d'un homme.· Ici, nous avons un cahier de notes, là un cahier de cours.

Mais partout est requis le même projet fondamental, sans lequel il n'est pas de philosophie possible.

Ce projet (que Sénèque appelait propositum et qu'Epictète appelle épibolê) est à la fois, et d'un même mouvement, philosophique et pédagogi~ que; et il concerne à la fois le maître et l'élève : pour l'élève, il s 1agit d'entrer à l'école du philosophe avec la volonté de « vivre content sous le gouvernement divin » et de « devenir libre» (Entretiens, I, XII) ; pour le maître, il faut qu'il ait le« dessein d'affranchir» ses élèves« de tout Epictète 131 obstacle, de toute contràinte, de toute entrave », de faire d'eux des « hommes libres, heureux, prospères, élevant vers Dieu leur regard dans tous les événements de la vie, grands ou petits» (Entretiens, II, XIX).

La seconde remarque est immédiatement suggérée par ces brèves citations : il faut prendre garde aux mots, comme nous en avertit-Epictète lui-même, car, dit-il, > (Entretiens, III, XXIII).

Nous sommes ici au cœur de la question de la philosophie.

Le fait même que la question soit possible indique la possibilité d'un choix primordial, d'un jugement ou d'un ensemble de jugements par lesquels nous saisissons la réalité.

Ici, Epictète utilise un mot significatif : prohairésis, sur lequel les commentateurs se sont répandus jusqu'à nos jours en analyses subtiles.

Il faut sim- 132 Epictète plement noter, pour l'instant, que chez les auteurs classiques (Isocrate, Eschine) la prohairésis signifie le choix d'une profession.

C'est donc le même acte par lequel l'individu choisit consciemment tel ou tel genre de vie, aussi · bien que tel ou tel métier : « Dis-toi d'abord qui tu veux être, puis fais en conséquence ce que tu dois faire ...

».

Ces paroles souveraines sonnent sans doute étrangement dans une époque qui a désappris presque totalement le pouvoir souverain de la liberté de vouloir. Tout l'enseignement d'Epictète approfondit sans défaillance, au contraire, cette idée fondamentale de la souveraineté de la prohairésis, sans laquelle il ne saurait y avoir d' « amour de la sagesse ».

Il faut à la fois vouloir savoir et savoir vouloir : celui qui ne remplit pas cette double condition n'est pas et ne peut pas être philosophe.

La philosophie d'Epictète est inséparablement théorique et pratique, dès son premier principe : en effet, le premier de tous les choix, le choix décisif, celui par lequel s'ouvrent les Entretiens aussi bien que le Mànuel, c'est celui qui fait la distinction entre les choses qui dépendent de nous (ta éph'hèmin) et celles qui ne dépendent pas de nous (ta ouk' éph'hèmin). « Les choses qui dépendent de nous » C'est à la faveur de cette distinction capitale que le vouloir va s'exercer dans Je domaine qui lui est propre, parce qu'il est« son œuvre » (Manuel, I) : à savoir, Je jugement, la tendance, Je désir et l'aversion.

Ici, nouveau sujet d'étonnement pour les philosophes modernes et post-modernes : quoi ! Je désirserait l'œuvre de mon choix, au même titre que le jugement, déjà discrédité d'ailleurs par la critique sensualiste de l'intellectualisme? Laissons, pour l'instant, tous ces mots en -isme et relisons Epictète, tout en rèmarquant qu'il y a peut-être, fondamentalement, deux sortes de «choix» concernant l'homme et deux manières d'apprécier sa condition dans le monde : soit en mettant l'accent sur son impuissance, soit en portant toute notre attention sur son pouvoir. C'est précisément du côté du pouvoir dont chacun dis- Epictète 133 pose au sein de la nature que se porte l'enseignement d'Epictète, qui met sans cesse en évidence la primauté du jugement (ou assentiment).

Ainsi : « Qui t'a fait désirer d'être élu patron dès habitants de Cnossos ? Ton jugement. Qu'est-ce qui te pousse à partir à présent pour Rome? Ton jugement.

Et cela en plein hiver, à tes risques et à grands frais? - C'est qu'il le faut.

- Et qui te le dit? Ton jugement.» (Entretiens, m, IX). Tous les grands politiques savent qu'il ne dépend pas · d'eux de changer la réalité, mais bien le discours sur la réalité; et èelui qui se flatte - ou qui feint -'-- d'être le maître, et de détenir le pouvoir de gouverner, est en réalité gouverné par sa passion du pouvoir.

Il ne s'agit pas, pour lui, de « changer le monde», mais de maintenir l'illusion que « les choses qui dépendent de nous » ne sont pas en notre pouvoir, en prévenant le libre exercice du jugement de chacun.

Les artifices du pouvoir politique, son langage spécial, son évocation de « réalités incontournables » et de tout l'arsenal de la« nécessité» n'ont-ils pas pour objet de dissiper le vouloir vers « ce qui ne dépend pas de nous » en le détournant de s'appliquer à« ce qui est en notre pouvoir», c'est-à-dire d'empêcher le bon usage des représentations? Or, c'est précisément la possibilité d'un usage droit (chrèsis orthè) de nos représentations (phantasiôn) qui nous appartient en propre et qui constitue, en chacun de nous, ce qu'il y a de meilleur et de plus haut.

C'est cette conviction qui anime l'existence de celui qui veut vivre vraiment libre et heureux; mieux encore, et plus radicalement, c'est elle qui le fait réellement libre et heureux.

Sans cette conviction fondamentale que nous sommes les maîtres de ce qui est en notre pouvoir, nous restons voués aux diverses formes possibles de l'esclavage (Manuel, VI; Entretiens, I, 1 ; l, vm; IV, IV.

cf Grateloup, Anthologie philosophique, p.

43, n° 1). Praechter, cité par Copleston, parle du directeur d'un sanatorium suisse qui avait l'habitude de prêter à ses patients neurasthéniques et psychasthéniques un exemplaire du Manuel d'Epictète dans une traduction allemande et trouvait qu'il constituait une aide efficace pour la cure. Epictète aurait certainement apprécié cet usage roboratif de 134 Epictète son œuvre, lui qui se plaisait à comparer l'école du philosophe à une maison de santé (Entretiens, III, XXIII, 30). « Une conduite conforme à la nature » Il y a, en effet, les gens sains et les gens malades, c'està-dire les sages et les insensés.

Et le monde est une « foire aux bestiaux » où les insensés se pressent « avec le seul souci du fourrage» (Entretiens, II, XIV, 21-24).

Il leur manque la vertu, c'est-à-dire, la force, parce qu'ils ignorent que le dieu qui les a appelés à l'existence les a dotés de la liberté du jugement et du pouvoir de la volonté.

Cela, ils l'ignorent, ou plutôt ils veulent l'ignorer.

C'est pourquoi ils ont besoin de reprendre des forces, en remontant aux principes, ce qui s'appelle : philosopher. Or, tous les hommes sont capables de vertu, et c'est en cela qu'ils se distinguent des bêtes, car, en introduisant ! 'homme dans Je monde, parmi les animaux, la nature y a introduit la conscience réfléchie des représentations et le pouvoir de les discerner: « Aussi est-ce une honte pour un homme de commencer .et de finir comme les bêtes ; ou plutôt, il commence comme les bêtes, mais il va jusqu'au point où s'achève en nous la nature; et la nature a en nous son terme dans la contemplation, la réflexion et la conduite conforme à la nature» (Entretiens, I, VI, 20). Un langage exact, une logique rigoureuse et une volonté inébranlable, tels sont les caractères de cette « conduite conforme à la nature», qu'illustrent d'une manière exemplaire les réponses adressées par le sénateur romain Helvidius Priscus à l'empereur Vespasien qui lui ordonnait de ne pas assister à une séance du Sénat : « Il dépend de toi, ditil, de ne pas me compter parmi les sénateurs, mais, tant que je le suis, je dois siéger. - Eh bien ! siège, mais ne parle pas. Ne m'interroge pas et je me tairai. Mais je dois t'interroger. Et moi, je dois répondre ce qui me paraît juste. Si tu réponds, je te ferai mettre à mort. - Quand donc t'ai-je dit que j'étais immortel ? » Epictète 135 Epictète commente : « Sans doute, un autre qu'Helvidius Priscus, si César en de pareilles circonstances lui eût demandé de s'abstenir de paraître aù Sénat, aurait répondu: "Je te remercie de m'épargner." Mais un tel homme, César ne l'empêcherait même pas de siéger, car il saurait bien ou qu'il demeurerait aussi inerte qu'une cruche, ou que, s'il parlait, il le ferait exactement suivant ce qu'il saurait être le désir de César et renchérirait encore » (Entretiens, I, Il). L'exercice du pouvoir Cependant; si cette force que la plupart ignorent est donnée universellement à tous les hommes sans distinction, pour leur permettre de s'élever jusqu'au plein épanouissement de leur nature d'homme, en revanche l'instruction et l'éducation sont nécessaires, pour apprendre à distinguer parfaitement « les choses qui sont en notre pouvoir » et « celles qui ne dépendent pas de nous » et à appliquer aux circonstances particulières, conformément à « la nature », les « prénotions » ou notions communes à tous les hommes, qui admettent tous, naturellement, la distinction du bien et du mal, du juste et de l'injuste, mais qui l'appliquent différemment (Entretiens, I, XXII, 1-9). S'instruire, philosophiquement, c'est « apprendre à appliquer les notions naturelles aux réalités particulières en se conformant à la nature», c'est-à-dire, essentiellement, apprendre à reconnaître que le domaine du bien et du mal, du juste et de l'injuste, ou, en d'autres termes, la sphère des « valeurs » - coïncide avec le domaine des « choses qui dépendent de nous », - domaine en dehors duquel tout doit nous être naturellement indifférent et nous rester constamment indifférent.

La constance.... »

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