Epitaphe Il a vécu tantôt gai comme un sansonnet, Tour à tour amoureux insoucieux et tendre, Tantôt sombre et rêveur...
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Epitaphe
Il a vécu tantôt gai comme un sansonnet,
Tour à tour amoureux insoucieux et tendre,
Tantôt sombre et rêveur comme un triste Clitandre.
Un jour il entendit qu'à sa porte on sonnait.
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C'était la Mort! Alors il la pria d'attendre
Qu 'il eût posé le point à son dernier sonnet;
Et puis sans s'émouvoir, il s'en alla s'étendre
Au fond du coffre froid où son corps frissonnait.
Il était paresseux, à ce que dit l'histoire,
10 Il laissait trop sécher l'encre dans l'écritoire.
Il voulait tout savoir mais il n'a rien connu.
Et quand vint le moment où, las de cette vie,
Un soir d'hiver, enfin l'âme lui fut ravie,
Il s'en alla disant : ''Pourquoi suis-je venu ?"
in Poésies diverses.
_ _ _ _ _ _ QU~STIONS - - - - - 1 - Cette épitaphe est-elle un éloge funèbre ? Justifiez votre réponse.
Si l'on se réfère aux éloges funèbres classiques qui consistent à
louer le défunt de façon hyperbolique, nous sommes loin ici de ce genre :
nous avons plutôt le sentiment que nous est présenté un personnage
instable ("Tout à tour amoureux insoucieux ...
" "Tantôt gai...
tantôt
sombre") et même "paresseux" et lunaire.
2 - En quoi peut-on dire que ce sonnet raconte deux fois la même
histoire ? Quel effet est ainsi produit ?
L'architecture du sonnet est exploitée de telle façon que les tercets
reprennent l'argument des quatrains.
En effet dans le premier tercet
comme dans le premier quatrain un portrait psychologique du poète
est présenté, la strophe suivante, dans les deux cas, évoquant sa mort.
Cette reprise prolonge l'impression de tristesse en produisant un effet
de ressassement.
- - - - COMMENTAIRE COMPOSÉ - - - Introduction
- Présentation
du texte
-Annonce du
plan
L'épitaphe est un genre hérité de l'antiquité grecque
et romaine et qui consiste, en sa forme la plus élémentaire, en un bref rappel des mérites du mort, éloge
funèbre chargé d'émouvoir les passants, ou dernier
message du disparu à l'humanité, la brièveté étant la
règle générale pour des raisons de place et de commodité de lecture.
Or, nous avons affaire ici à une épitaphe relativement longue puisqu'elle emprunte la forme d'un sonnet ; cet élément n'est pas négligeable puisque notre
texte est manifestement promis à la sépulture d'un
poète dont on peut raisonnablement penser qu'il s'agit
de G.
de Nerval lui-même.
Il sera intéressant d'examiner d'abord le texte par
rapport à sa fonction classique d'éloge funèbre en en
soulignant le caractère original et déconcertant.
On le
regardera ensuite comme le poème d'un artiste jetant
ses derniers feux et soucieux d'émouvoir en teintant de
mélancolie voire de pathétique son ultime adresse aux
vivants.
1-Unéloge
funèbre
déconcertant
On peut noter tout d'abord que le portrait ici constitué déroge quelque peu à la tradition de la louange des
défunts.
Ainsi, le personnage qui apparaît dans la première strophe semble être parfaitement lunatique : les
deux "tantôt", placés à l'hémistiche du vers 1 et au début
1- Portrait
du vers 3 qui introduisent respectivement "gai" et
d'un lunatique "sombre" nous installent dans le mode de l'alternance
sans nuance ; cette impression est renforcée~ par la
démultiplication du premier "tantôt" en une nouvelle
alternative : "tour à tour amoureux insoucieux et tendre".
2 - Une aimable
A ces effets, qui donnent au poète disparu la mobidérision
lité d'une girouette, s'ajoute le choix d'un ton empreint
d'une aimable dérision dont on peut par exemple flairer la présence dans l'expression "sombre et rêveur
comme un triste Clitandre" où le disparu semble saisi
dans une attitude non dépourvue de pose.
Une im- un peu de pose pression voisine naît de l'emploi du terme "sansonnet",
autre nom de l'étourneau, oiseau nettement moins
valorisant, on en conviendra, que le cygne, et dont la
présence ici a le mérite supplémentaire de suggérer un
jeu de mots transparents : ce que nous lisons en effet
est le sonnet d'un "sansonnet"...
Cet innocent calembour peut d'ailleurs être mis en
rapport avec la paresse du défunt, (vertu peu couram- beaucoup
ment vantée sur les stèles !) et sur laquelle insistent les
de paresse
vers 9 et 10 où le témoignage de "l'histoire" laisse plaisamment entendre que la paresse du poète disparu a
mérité d'entrer dans les annales: "il laissait trop sécher
l'encre dans l'écritoire".
Ce lunatique paresseux nous apparaît aussi comme
un original, pour ne pas dire un véritable inadapté :
3 - Un comporte c'est ainsi qu'on peut interpréter en effet l'absurde
ment original politesse doublée d'une conscience professionnelle
inattendue qu'il manifeste dans le deuxième quatrain :
"il la pria d'attendre/ qu'il eût posé le point à son dernier sonnet".
Ce poète qui n'est jamais à l'heure, même quand il
- quelques
s'agit de la "dernière", semble enfin prendre quelques
libertés
libertés par rapport aux règles de son art : en effet,
4- Un bilan
d'échec
Transition
outre la _composition bizarre du sonnet où le premier
tercet reprend le thème du premier quatrain et le
second tercet celui du deuxième quatrain, comme si le
poème recommençait au vers 8, on peut noter que les
rimes de la seconde strophe sont croisées au lieu
d'être embrassées comme le veut la tradition.
Cette épitaphe nous paraît donc, après cette première approche, s'écarter nettement du modèle courant, ne
serait-ce que dans la mesure où le défunt ne semble pas
y bénéficier du traitement de faveur que l'usage réserve
aux trépassés ; beaucoup d'indications en effet en font
un étrange oiseau - sans grand rapport avec le "rossignol" qu'on aurait pu attendre, et dont la vie ne nous
est pas présentée comme un chef-d'œuvre mais presque comme un échec complet si l'on en croit le bilan
du vers 11 : "il voulait tout savoir mais il n'a rien connu".
Il nous faut cependant aller plus loin dans l'examen
de ce texte pour y découvrir, derrière le ton léger et le
parfum d'autodérision, la présence d'un artiste délicat
expert en harmonie et capable, sans grands effets, de
nous émouvoir.
II - L'affirmaPour qui sait entendre, il est évident....
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