ÉPREUVE 11 Bordeaux, Caen, Clermont-Ferrand, Limoges, Nantes, Orléans-Tours, Poitiers, Rennes Juin 1990 TEXTE Automne À pas lents et suivis du...
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ÉPREUVE 11
Bordeaux, Caen, Clermont-Ferrand, Limoges,
Nantes, Orléans-Tours, Poitiers, Rennes
Juin 1990
TEXTE
Automne
À pas lents et suivis du chien de la maison,
Nous refaisons la route à présent trop connue.
Un pâle automne saigne au fond de l'avenue,
Et des femmes en deuil passent à l'horizon.
Comme dans un préau d'hospice ou de prison,
L'air est calme et d'une tristesse contenue ;
Et chaque feuille d'or tombe, l'heure venue,
Ainsi qu'un souvenir, lente, sur le gazon.
Le Silence entre nous marche...
Cœurs de mensonges,
Chacun, las du voyage, et mûr pour d'autres songes,
Rêve égoïstement de retourner au port.
Mais les bois ont, ce soir, tant de mélancolie
Que notre cœur s'émeut à son tour et s'oublie
À parler du passé, sous le ciel qui s'endort,
Doucement, à mi-voix, comme d'un enfant mort...
Albert Samain,
Au Jardin de l'infante, 1893
Vous ferez de ce poème un commentaire composé en vous gardant de
séparer l'étude du fond de celle de la forme.
Vous pourrez montrer,
par exemple, comment le poète renouvelle un thème bien connu.
■ Le libellé accompagnateur ne facilite pas la tâche du candidat.
Évidem
ment il avertit bien de surtout ne pas faire une étude de fond et une de forme.
Mais il n'indique qu'un thème, et très vaguement.
■ La problématique est donc à dégager clairement et en composant au
moins deux thèmes de fond.
Devoir rédigé
Comme le parnasse, le symbolisme est l'héritier, une des transforma
tions, du romantisme,,« la grande révolution littéraire moderne», d'après
le critique Thibaudet.
Evidemment ces deux écoles ont retiré du romantisme
des caractéristiques très différentes.
Celles du symbolisme : poésie sug
gestive, en demi-teinte, en tonalité mineure, fluide et douce sont visibles
dans les poèmes d'Albert Samain:
Ce dernier est un des plus discrets des poètes symbolistes et Automme,
de son premier recueil Au Jardin de l'lnfante, est rêveur, nostalgique, d'une
atmosphère très symboliste.
En revanche, la forme en est presque totale
ment régulière : des alexandrins, et l'on dirait un sonnet- deux quatrains,
deux tercets-, poème à forme fixe fort goûté des parnassiens ,s'il n'y avait
un quinzième vers détaché en une strophe d'un seul vers, après la facture
traditionnelle du sonnet.
Bien connus aussi sont les thèmes chantés dans
cette page.
Nous pourrons donc y étudier d'abord comment Samain traite un de ces
multiples chants d'automne qui fleurissènt dans notre littérature depuis le
pré-romantisme.
Puis nous en détacherons le commentaire de ce que cette
saison symbolise : l'automne de la vie, et plus précisément celui d'un couple.
« Salut, bois couronnés d'un reste de verdure,
Feuillages jaunissants sur les gazons épars ! »
Ainsi commence la pièce de vers L'Automne, de Lamartine.
Rousseau,
Senancour {Oberman), Chateaubriand avant lui, Hugo, Vigny, Musset...
jusqu'au bien connu Automne malade d'Apollinaire ont été séduits par
l'apport_:_ soit lyrique soit coloré, soit en communion avec les états d'âme
humains - que peut fournir l'automne au créateur.
Souvent il offre à la des
cription la riche palette des frondaisons qui roussissent et permet bien des
peintures en phrases harmonieuses et vocabulaire pittoresque.
Certes, Samain sacrifie aux traditionnelles couleurs automnales et il
évoque,/es « feuille[s] d'or».
Autre couleur aussi, par interprétation, le rouge
du verbe « saigne ».
Baudelaire, que Samain admire autant que V.
Hugo
- ce sont, disait-il, ses deux maîtres -, pour rendre le rouge d'un ciel cré
pusculaire, utilise cette même image suggestive.
« Le soleil s'est noyé dans
CONNAISSANCES LITTÉRAIRES
• Albert Samain (1858-1900), poète discret et modeste, expéditionnaire
à l'Hôtel de Ville de Paris, ne vivant que pour la Poésie.
Devient connu
en 189 3 avec son premier recueil lyrique : Au Jardin de l'infante.
Sui
vent d'autres recueils également appréciés : Aux flancs du vase (1898),
Le Chariot d'or (posthume -1901), délicats, nostalgiques et d'atmos
phère et facture élégantes.
Il est admirateur à la fois des pères spiri
tuels du symbolisme : Baudelaire, Verlaine, et d'une certaine rigueur
parnassienne.
Toutefois, son grand maître reste Hugo.
Sa mélancolie
langoureuse et sa distinction, si goûtées vers 1900, l'ont fait assez pas
ser de mode.
COMMENTAIRE COMPOSÉ
son sang qui se fige » écrit-il dans Harmonie du Soir.
Mais ce sont là les
seules notations colorées.
L'automne est plutôt présenté par le ton du paysage.
C'est « un pâle
automne » et « pâle » est moins la couleur blanche que l'état de fa saison,
saison finissante, ou malade, ou - comme l'écrirait Verlaine - dolente.
Atmosphère encore que la qualité de I'« air», qui est« calme».
C'est une
saison douce, sans accrocs, sans la véhémence de la richesse d'été ou
la dureté de l'hiver ou l'explosion printanière.
Le sentiment qu'il inspire est
« contenu », donc sans manifestations extériorisées, pudique.
D'ailleurs, ce paysage à état d'âme n'est jamais perçu auditivement,
si ce n'est par sa qualité de silence.
« Le Silence [ ...
] marche».
Sa présence est palpable, ce que l'allégorie marquée par la majuscule souligne.
Tout est comme ouaté.
Les mouvements aussi sont au ralenti.
Dès le premier vers le poète indique que tout évolue « à pas lents ».
Quant à la chute
des feuilles, elle est ralentie par un « air[ ...
] calme »qui apporte peu d'impulsion à leur descente.
Les coupes des deux alexandrins suggèrent bien, en
harmonie imitative, ce mouvement retenu : coupe marquée après
«tombe,/», c'est le début souvent le plus rapide de la chute; puis des éléments qui retiennent la chute: « [ ...
]/, l'heure venue,// Ainsi qu'un souvenir,/[ ...
]» ; et détachée entre ces deux coupes, comme une sorte d'arrêt
dans la descente : « [ ...
]/; lente,/ sur le gazon ».
« lente, » cette retombée,
avant d'aboutir en fin de phrase et de vers, à terre : « sur le gazon » - Les
sonorités sont sourdes à partir de« l'heure venue» et le choix de« gazon»
est gracieux plus que ne le serait « à terre » plus rude.
Enfin, l'automne est suggéré sentimentalement, sur un fond de tableau
qui fuit en perspective« au fond de l'avenue»,« à l'horizon », donc estompé
lui aussi.
Les correspondances sentimentales sont traduites par des images de maladie, de mort ou d'enfermement.
Dans le premier quatrain c'est
un cortège funèbre que l'alexandrin allongé par les e muets à prononcer
devant consonnes, les nasales et le doux sifflement de « passent »rend dans
sa triste démarche :
« Et des femmes en deuil passent à l'horizon».
L'image annonce celle
de la fin : « un enfant mort » qui nous donne la tonalité définitive de ce paysage, après cette autre double image de « tristesse contenue » : « Comme
dans un préau d'hospice ou de prison »scandé par l'allitération de la labiale p.
Enfin, la nature entière éprouve des sentiments- «L'air[ ...
] est d'une
tristesse contenue », « Le silence [ ...
] marche» et surtout « les bois » sont
émus, comme des êtres humains, comme les autres éléments naturels qui
réagissent comme des hommes.
« [ ...
] les bois ont, ce soir, tant de mélancolie[ ...
] ».
La nature, paisible
et langoureuse est un paysage d'âme, expression souvent accolée à la poé- ·
sie d'A.
Samain.
Elle n'est pas en accord avec l'homme par assimilation,
c'est elle qui l'entraîne, lui offrant la lenteur de son atmosphère, d'un « ciel
qui s'endort» et d'une rêverie élégiaque.
La poésie de Samain est en effet la parfaite traduction de cet état d'âme
automnal de la nature: « Je rêve de vers doux et d'intimes ramages, de
vers à frôler l'âme ainsi que des plumages».
C'est ainsi qu'il expliquait sa
poétique, trois ans avant la parution de Au Jardin de !'Infante.
La douceur
un peu molle du paysage est celle qui convient pour suggérer un autre
136
automne, celui des hommes :....
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