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ÉPREUVE 18 Besançon, Dijon, Grenoble, Lyon, Nancy-Metz, Reims, Strasbourg Juin 1990 TEXTE En 1792, l'armée royaliste à laquelle appartient Chateaubriand...

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« ÉPREUVE 18 Besançon, Dijon, Grenoble, Lyon, Nancy-Metz, Reims, Strasbourg Juin 1990 TEXTE En 1792, l'armée royaliste à laquelle appartient Chateaubriand assiège les troupes révolutionnaires à Thionville. L'attaque devint plus vive de notre côté.

C'était un beau spec­ tacle la nuit : des pots-à-feu (I) illuminaient les ouvrages de la place, couverts de soldats ; des lueurs subites frappaient les nuages ou le zénith bleu, lorsqu'on mettait le feu aux canons, et les bombes, se croisant en l'air, décrivaient une parabole de lumière.

Dans les intervalles des détonations, on entendait des roulements de tambour, des éclats de musique militaire, et la voix des factionnaires (2) sur les remparts de Thionville et à nos postes ; malheureusement, ils criaient en français dans les deux camps : « Sentinelles, prenez garde à vous ! » Si les combats avaient lieu à l'aube, il arrivait que l'hymne de l'alouette succédait au bruit de la mousqueterie (3 l tandis que les canons qui ne tiraient plus, nous regardaient bouche béante silencieusement par les embrasures.

Le chant de l'oiseau, en rappelant les souvenirs de la vie pastorale, sem­ blait faire un reproche aux hommes.

Il en était de même lors­ que je rencontrais quelques tués parmi des champs de luzerne en fleurs, ou au bord d'un courant d'eau qui baignait la che­ velure de ces morts.

Dans les bois, à quelques pas des vio­ lences de la guerre, je trouvais de petites statues des saints et de la Vierge.

Un chevrier, un pâtre, un mendiant portant besace, agenouillés devant ces pacificateurs, disaient leur cha­ pelet au bruit lointain du canon. François-René de Chateaubriand, Mémoires d'outre-tombe, 1re partie, livre IX, 12 (1) Pots-à-feu : récipients contenant des substances inflammables, destinés à l'éclairage. (2) factionnaires : sentinelles. (3) mousqueterie : décharge d'armes à feu. Vous ferez de ce texte un commentaire composé.

Sans dissocier l'analyse du fond de celle de la forme, vous pourriez par exemple étudier com­ ment le jeu des oppositions fait ressortir le jugement désabusé que porte Chateaubriand sur la guerre. ■ C'est une belle page colorée d'abord; plutôt lyrique ensuite.

Mais ce qui frappe, c'est que les deux paragraphes semblent très différents.

Cepen­ dant sous ces deux peintures opposées, un lien se tisse tantôt glissé par une remarque discrète, tantôt nettement appuyée, mais surtout apparais­ Sç.nt entre les lignes: le sentiment de la folie des hommes dans la guerre. Le terme le plus intéressant dans le libellé accompagnateur est« désabusé ». Ne pas oublier que les Mémoires d'outre-tombe sont écrits dans la deuxième partie de la vie de Chauteaubriand.

Il les commence à plus de cinquante ans et après une vie déjà fort mouvementée.

Il a ainsi cru en beau­ coup de valeurs et été bien souvent« désabusé ».

Le ton est donc à la fois apparemment objectif, réellement très subjectif, à la fois distancié et attristé, présent et lointain. ■ Introduction ■et Comme plusieurs hommes célèbres de son siècle, spécialement Fouché Talleyrand, Chateaubriand a eu le dangereux privilège de vivre sous de multiples régimes: monarchie absolue d'avant 1789, Révolution, émigra­ tion, Consulat, Empire, Restauration de Louis XVIII, monarchie ultra de Char­ les X, monarchie Louis-Philipparde, Révolution de 1848.

Il meurt en effet octogénaire en juillet 1848.

Que de chaos observés et supportés ! En 1792, à la nouvelle de l'arrestation de Louis XVI, il quitte l'Amérique où il voyageait et rejoint l'armée des émigrés.

C'est le siège de Thionville dont il parle ici, dans cette œuvre dont il voudrait que,« mémoires de sa vie», elle lui permette de gagner l'immortalité et qu'il finira par intituler les Mémoires d'outre-tombe.

Chateaubriand sera grièvement blessé à Thion­ ville et presque mourant, après avoir traversé difficilement la Belgique, il se réfugiera à Londres. A-t-il réellement considéré le champ de bataille, au moment où il s'y trou­ vait, comme il le voit plus de 30 ans plus tard, après une vie déjà lourde d'espoirs et de déceptions, de réussites et d'épreuves? Il sera intéressant en tout cas d'étudier la peinture complexe, contradic­ toire semble-t-il qu'il fait de l'attaque des émigrés contre Thionville et du « spectacle » des « combats ».

Puis on essaiera de dégager cette opinion et cette réflexion à la fois réservées et attristées qui ressortent peu à peu de la présentation des lieux et des faits. ■ ■ ■ Premier thème : " attaque » et " combats " ■ Deux tableaux constituent cet extrait, l'un plus précis dans ses détails techniques, semblant observé par un esthète admirant « un beau spec- tacle».

Admirant visuellement et auditivement, car ces deux sens sont en éveil et profitent des manifestations de « l'attaque».

L'autre touche égale­ ment vue et ouïe et fait un contraste marqué, par son « rappel [...] de la vie pastorale».

Le premier est d'abord tout en couleurs.

Sur fond de « nuit», la description fait ressortir les éléments lumineux qui, ou bien, mettent en valeur: ils « illuminaient les ouvrages », ou bien zèbrent soudain et rapide­ ment:« des lueurs subites frappaient», " les bombes, se croisant en l'air, décrivaient une parabole de lumière» sur le« zénith bleu», ce fond de ciel bleu nuit, sombre.

Aucune couleur par contre dans le tableau champêtre du second paragraphe. L'ouïe de son côté est également sollicitée dans les deux descriptions, mais de façon bien différente.

Dans la première tout est bruyant et violent ; c'est un ensemble de bruits continus, puisque à la base ce sont les « déto­ nations», et.dans leurs « intervalles», c'est une symphonie(!) - comme l'écrit Voltaire dans Candide - de « roulements de tambour», d'«éclats de musique militaire», de « voix des factionnaires».

Une fois arrêtée le « bruit de la mousqueterie », les sonorités du second paragraphe sont naturelles et plaisantes: « l'hymne de l'alouette» répété sous forme de : « le chant ■ de l'oiseau». ■ Pour Chateaubriand qui fut si sensible au « gazouillement d'une grive » dans le parc du château de Montboissier, que tous ses souvenirs de jeu­ nesse surgirent en lui et le décidèrent à entreprendre des« Mémoires», on sent combien est important ce chant d'oiseau:" hymne», car l'alouette s'élance au matin dans le ciel et semble ainsi chanter les louanges du créa­ teur de la nature. Aussi simple et douce est la présentation de la nature ambiante, de cette « vie pastorale » dont« les souvenirs » sont présents dans les « champs de luzerne en fleurs», tandis que la fraîcheur naturelle est toujours là, « au bord d'un courant d'eau» ou« dans les bois».

Tableau de nature paisible et gracieuse où le chant de l'oiseau se détache lorsque les canons ne sont plus que des masses « bouche béante» donc« sifencieuse[s...

].

» D'autre part ces tableaux ne sont pas seulement des peintures en noir et lumière ou un joli paysage rural.

Des hommes les peuplent et centrent la composition comme les" factionnaires » ennemis, les uns « sur les rem­ parts de Thionville » : ce sont les révolutionnaires assiégés ; les autres « à nos postes »: ce sont les royalistes dont fait partie Chateaubriand, ce qui explique qu'il les désigne seulement par« nos».

Certains autres dans ce premier tableau deviennent toiles de fond, « illuminés» en même temps que ■ ■ /es ouvrages de la place» qui sont« couverts de soldats».

On note en même temps la précision toute technique apportée à la présentation guer­ rière, avec l'utilisation des termes « pots-à-feu», «ouvrages» militaires, « fac­ tionnaires», « remparts », " sentinelles », " mousqueterie » et la position des « canons» qui pointent « par les embrasures». Plus détachés encore sont les quelques humains du second tableau:« un chevrier», « un pâtre », « un mendiant portant besace ».

Ils sont chacun très précis, caractérisé par son emploi, et le mendiant par son attribut : la «besace» c'est-à-dire un sac long ouvert par le milieu dont les extrémités forment poche et dont se servaient couramment les itinérants. « ■ Second thème : un jugement désabusé... ■ Ce regard désabusé, qui se voudrait détaché, ne peut s'empêcher de juger les hommes et leur folie dont la pire est certainement la guerre.

Pour­ tant le jeune vicomte de Chateaubriand avait d'abord assisté avec sympa­ thie aux débuts de la Révolution, lui qui s'enthousiasmait alors pour J.-J.

Rousseau.

Et il quitte un passionnant voyage en Amérique pour rejoin­ dre la France puis l'armée des émigrés, ne supportant pas le scandale de l'arrestation de Louis XVI.

Il a donc dû assister au siège de Thionville dans des dispositions beaucoup moins désillusionnées que lors de sa rédaction a posteriori. ■ Depuis, le jeune homme qui avait perdu la foi, non seulement l'a retrou­ vée, mais a écrit Le Génie du christianisme en 1802, apologie enthou­ siaste et enchantée de la religion.

C'est d'ailleurs dans Le Génie que nous trouvons un des termes« très Chateaubriand » .

On connaît son analyse du « vague des passions » , une des explications les plus percutantes du« mal du siècle » et cette phrase célèbre : " sans avoir usé de rien on est désa­ busé de tout » .

Est-il réellement désabusé? Certes sa présentation n'est ni ironique comme celle de Voltaire dans Candide.... »

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