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ÉPREUVE 19 Aix-Marseille, Montpellier, Nice-Corse, Toulouse TEXTE Juin 1990 (Après le coup d'État du 2 décembre 1851, un soulèvement a...

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« ÉPREUVE 19 Aix-Marseille, Montpellier, Nice-Corse, Toulouse TEXTE Juin 1990 (Après le coup d'État du 2 décembre 1851, un soulèvement a lieu en Provence.

Pendant la nuit, deux jeunes gens ont rejoint, par la longue route qui descend de Flassans, un pont sur la Viorne, au fond de la vallée, et, sur l'autre versant, ils vont apercevoir trois mille insurgés républicains qui descendent la route de Nice et auxquels le jeune homme devait se joindre.) La bande descendait avec un élan superbe, irrésistible.

Rien de plus terriblement grandiose que l'irruption de ces quel­ ques milliers d'hommes dans la paix morte et glacée de l'hori­ zon.

La route, devenue torrent, roulait des flots vivants qui semblaient ne pas devoir s'épuiser ; toujours, au coude du chemin, se montraient de nouvelles masses noires, dont les chants enflaient de plus en plus la grande voix de cette tem­ pête humaine.

Quand les derniers bataillons apparurent, il y eut un éclat assourdissant.

La Marseillaise emplit le ciel, comme soufflée par des bouches géantes dans de mons­ trueuses trompettes qui la jetaient, vibrante, avec des séche­ resses de cuivre, à tous les coins de la vallée.

Et la campagne endormie s'éveilla en sursaut ; elle frissonna tout entière, ainsi qu'un tambour que frappent les baguettes ; elle retentit jusqu'aux entrailles, répétant par tous ses échos les notes ardentes du chant national.

Alors ce ne fut plus seulement la bande qui chanta ; des bouts de l'horizon, des rochers loin­ tains, des pièces de terre labourées, des prairies, des bouquets d'arbres, des moindres broussailles, semblèrent sortir des voix humaines ; le large amphithéâtre qui monte de la rivière à Plassans, la cascade gigantesque sur laquelle coulaient les bleuâtres clartés de la lune, était comme couvert par un peu­ ple invisible et innombrable acclamant les insurgés ; et, au fond des creux de la Viorne , le long des eaux rayées de mystérieux reflets d'étain fondu, il n'y avait pas un trou de ténèbres où des hommes cachés ne parussent reprendre cha­ que refrain avec une colère plus haute.

La campagne, dans l'ébranlement de l'air et du sol, criait vengeance et liberté. Émile Zola, La Fortune des Rougon, 1871 (!) La cascade gigantesque : la lumière de la lune, en tombant sur le terrain en gradins qui forment « l'amphithéâtre », fait penser à une cascade. (2) La Viorne : cours d'eau de la région. Vous présenterez de ce texte un commentaire composé.

Vous pourriez y analyser, par exemple, les procédés par lesquels l'auteur associe la nature à la colère des hommes pour former une vaste symphonie. Mais ces indications ne sont pas contraignantes, et vous avez toute lati­ tude pour organiser votre travail à votre gré, en évitant toutefois toute étude linéaire et toute séparation artificielle du fond et de la forme. ■ Ce texte est avant tout un vaste mouvement de phrase, de foule, de sono­ rités.

C'est pourquoi il faut penser à bien dégager et justifier le terme si important du libellé : « symphonie ».

On doit y ajouter les termes « épo­ pée » et « vision », car d'un mouvement de foule réel à I'« élan[.

..] gran­ diose », on passe à une véritable transfiguration visuelle et auditive. La difficulté sera donc de dissocier la « colère des hommes » de la per­ sonnification fantastique des éléments naturels, alors que le texte jus­ tement les associe de plus en plus intimement.

Il faut deux thèmes bien délimités et, comme le libellé le précise bien, il ne faut pas croire pouvoir éviter la difficulté en constituant un thème purement formel ; ce qu'il ne faut jamais faire, car c'est un non-sens dans le commentaire qui doit montrer au contraire que l'art, le style et ses procédés, !'écrivain les façonne pour mettre en valeur pensée, sentiment, description, portrait, etc. ■ Introduction ■ La Fortune des Rougon est le premier volume - et le premier paru de la grande somme romanesque conçue par Zola sous le nom desRougon­ Macquart.

Grand admirateur de La Comédie humaine de Balzac, il veut construire un ensemble de romans s'interférant à travers les multiples bran­ ches et les fortunes diverses d'une double famille du Midi ; il la situe dans un bourg qu'il nomme Plassans, près de la rivière la Viorne.

Il s'inspire cer­ tainement de son enfance passée à Aix pour localiser son histoire aux ori­ gines.

L'ensemble constituera I'« histoire naturelle et sociale d'une famille sous le Second Empire », sous-titre donné par lui aux nombreux (20) volu­ mes de ce monument. «Second Empire » est fort important.

Quand il conçoit le projet de ce premier volume en 1868, ses intentions sont politiques; il veut saper le Second Empire, montrer que, comme la branche Rougon qui fait sa for­ tune dans l'écrasement de la révolte républicaine du Var, le Second Empire s'est fondé dans le sang.

Mais quand paraîtra le roman en 1871, le Second Empire vient de tomber et le roman commencera l'histoire de la famille, perdant un peu pour le public de son intérêt politique.

Cependant, cet extrait s'y rattache directement. On pourra donc d'abord montrer la révolte des hommes qui s'accomplit dans l'enthousiasme et une grande ferveur dont le jeune héros Silvère est le pur emblème.

C'est lui, avec sa chère amie d'enfance Miette qu'il aime d'un chaste amour partagé, qui regarde « descendre » la foule avant de la rejoindre. Mais il faudra aussi dégager la puissance épique, la construction symphonique et fantastique auxquelles la description première va s'éle­ ver et qui devient une évocation presque mythique. ■ ■ ■ Premier thème : la foule insurgée ■ Le premier terme du passage situe tout de suite cette foule: c'est une « bande », c'est-à-dire un groupe d'hommes associés pour un même des­ sein.

Nous savons par le roman que ce sont des républicains et que la subs­ tance historique est exacte.

Zola s'est soigneusement documenté et respecte les faits : la levée républicaine du Var sans exactions notables et son écrasement dans le sang.

li les double de sa propre histoire imaginaire : l'épopée sanglante en vase clos d'une reconquête réactionnaire, et assied le destin du bourgeois Rougon et du démagogue Macquart sur un atroce guet-apens tendu aux républicains confiants et qui vont être foudroyés, anéantis... La colonne insurgée est caractérisée par un grand mouvement en avant: elle « descendait», elle fait « irruption ».

C'est donc un mouvement brus­ que, une arrivée en force et en masse dans le calme, la« paix » de la cam­ pagne où se trouvent Silvère et Miette, les deux amoureux.

Bien entendu quand Zola utilise le terme« bande » pour désigner cette masse qui débou­ che ses intentions ne sont pas péjoratives.

Mais le mot en comporte la con­ notation.

Une « bande » c'est non seulement un groupe d'hommes qui combattent ensemble, mais l'opinion y adjoint fréquemment « bande de rebelles », puis de malfaiteurs.

Pour les bourgeois qui vont la voir parvenir dans leurs bourgs c'est une force terrifiante et ce double sens du mot venu de deux sentiments différents, de deux mondes, deux classes opposées éclaire tout le passage. Le premier sens implique le qualificatif "superbe » ; en latin superbus signifie: « orgueilleux».

La foule républicaine flamboie d'un orgueil juste, celui d'idées généreuses, d'une révolte justifiée.

Le second sens, l'effroi qu'elle inspire aux autres apparaît dans le second adjectif accolé: « irré­ sistible ».

D'une part son mouvement et sa masse constituent un « élan » de force contre lequel les autres ne peuvent que se terrer ou user de traî­ trise.

D'autre part c'est parce qu'ils voient qu'ils ne peuvent résister en face qu'ils vont ourdir leurs basses manœuvres.

Même alliance de termes en oxymore dans « terriblement grandiose ».

La grandeur de la bande est morale, lourde de tout le poids des épopées de 89 ; mais elle est aussi numé­ rique: « quelques milliers d'hommes.

» Ce nombre croît sans cesse, de plus en plus impressionnant ; on passe de l'expression: « des flots vivants », où le mouvement est toujours aussi irrépressible, à son explication complémentaire : « qui semblaient ne pas devoir s'épuiser».

Accumulation, gradation, mais pas du tout redondance, car la phrase de Zola, elle aussi, avance graduellement.

Les détails topo­ graphiques justifient les nouveaux termes utilisés pour qualifier cette vague déferlante: « au coude du chemin » est l'un de ces détails, car cette forme de la« route» cache, un temps, les« nouvelles masses noires » qui surgis­ sent donc comme de continuels additifs.

Elles deviennent « une tempête humaine » parce qu'elles avancent en« masses» et qu'elles ont la couleur « noire » des nuages accompagnateurs.

L'indication de lieu du début« des­ cendait » explique aussi la vitesse, facilitée par le site. ■ ■ ■ ■ Une autre comparaison, militaire celle-là, sera bonne pour effrayer les bourgeois, celle de« bataillons » qui est une nouvelle indication numérique, mais sous-entend aussi une organisation comme une véritable armée, une armée révolutionnaire comme celle qui couvrit l'Europe entière en 1790 au chant de La Marseillaise. À l'armée portant en avant son idéologie et à la métaphore de la tem­ pête, « la bande » emprunte aussi le souffle, en effet.

Là encore la grada­ tion de la phrase est progressive.

C'est d'abord « les chants», mais immédiatement le verbe« enflaient» y est joint qui traduit l'ampleur vocale. Puis c'est la comparaison avec un ouragan : « la grande voix de la tempête humaine ».

Ensuite cette « bande qui chanta » emplit les nues de sa voix convaincue.

Ce n'est plus seulement une troupe de« bataillons » qui chante, ce sont les porteurs de la foi révolutionnaire.

Pour Silvère, le pur, le pas­ sionné républicain qui regarde arriver les insurgés, c'est la joie de voir se réaliser tout ce à quoi croit sa générosité juvénile. Car si I'« éclat» est« assourdissant», c'est parce que« La Marseillaise emplit le ciel ».

C'est tin ensemble de gens croyant avec une ardeur admi­ rable qu'il faut empêcher à tout prix un retour en arrière.

Et c'est ce que Zola veut que le lecteur comprenne.

Ceux qui gagneront à la fin du roman, sur les cadavres des insurgés et des deux jeunes héros qui se sont joints à eux, sont des réactionnaires, sans morale ni regret : « /es bourgeois de Plassans...

s'embrassaient sur le cadavre à peine refroidi de la République ». Voilà le message que veut transmettre Zola et sa conviction est aussi forte, aussi pure que celle des insurgés dont il fait retentir« les bouches géan­ tes ».

On pense au bas-relief de Rude sur I'Arc de Triomphe : Le Départ .

des volontaires, connu sous le nom La Marseillaise et à la force expres­ sive de la figure centrale. Tous les hommes même« cachés »dans« un trou de ténèbres » « par[ais­ sent] reprendre chaque refrain ».

Le chant symbole de « liberté » est « comme soufflé[ ...) dans de monstrueuses trompettes».

L'ensemble d'hom­ mes à la foi« vibrante » devient une véritable entité.

« Vibrante » en est bien le qualificatif approprié, s'appliquant autant à leurs cœurs assoiffés de jus­ tice qu'à leurs voix.

Elles la réclament avec tant d'éclat qu'elles en ont« des sécheresses de cuivre».

En même temps, car ils sont insurgés, c'est aussi la« colère » devoir, avec l'Empire, disparaître la république qui devient« plus haute » au fur et à mesure du chant.

Leur piétinement de troupe et la vigueur de leur voix« ébran/e[nt] »" l'air et [le) sol », par la violence de leur marche et de leur croyance,« cria[nt] » « vengeance et liberté».

La dernière phrase du passage, bien que brève, est une synthèse d'une double mystique, celle des insurgés et celle de Zola. ■ ■ ■ Second thème : une vision et une symphonie fantastiques ■ Cette menace et cette révolte ne sont vraiment sensibles qu'à l'extrême fin du passage..... »

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