ÉPREUVE 2 Créteil-Paris-Versailles Juin 1990 TEXTE LA VILLE, OBJET ARCHITECTURAL Question de légitimité : si l'architecte a des propositions à...
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ÉPREUVE 2
Créteil-Paris-Versailles
Juin 1990
TEXTE
LA VILLE, OBJET ARCHITECTURAL
Question de légitimité : si l'architecte a des propositions à
faire, c'est d'abord sur la ville, son domaine d'intervention
naturel, qu'il peut les formuler.
D'autant qu'en la matière,
l'étendue des dégâts est considérable.
La ville, symbole de
s malaises sociaux, de phénomènes d'exclusion.
Les mutations
économiques ont laissé partout des plaies ouvertes, des fri
ches désespérantes, tandis que les crises démographiques des
dernières décennies nous ont légué ces banlieues-dortoirs qui
matérialisent, sur les cartes, ce qui reste de la notion de classe
10 sociale.
C'est un comble : nous avons été les premiers à pouvoir cons
truire des villes - les ruines de Pompéi témoignent claire
ment de cette maîtrise - et ce savoir-faire nous a échappé.
Plusieurs facteurs se sont conjugués pour ruiner ainsi notre
15 patrimoine urbain : l'urgence des questions de logement, la
spéculation, le manque de politique globale, mais aussi la
haine que les architectes eux-mêmes ont vouée à la ville.
Celle
ci s'est manifestée au milieu de ce siècle par le refus d'intro
duire une continuité urbaine.
Les rues, les places, ont été
20 abandonnées au profit d'unités d'habitation juxtaposées les
unes aux autres.
On connaît le résultat : des barres de béton
séparées par des espaces verts vite transformés en parking
ou en terrains vagues.
Comme l'activité commerciale se
concentrait, dans le même temps, dans quelques centres
25 hypertrophiés, le bas de ces immeubles s'est trouvé déserté,
sans boutiques ni magasins.
La ville a cessé d'être un lieu de
rencontre pour devenir le simple tracé de voies de communi
cation.
Les autoroutes ne se sont plus arrêtées à l'entrée des
agglomérations, mais les ont traversées, déchirées.
30 Les architectes ayant renoncé à construire la ville, celle-ci s'est
trouvée aux mains des promoteurs, puis, après le lancement
...
- -·
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du programme de villes nouvelles, aux mains des urbanistes.
Ces derniers ont alors raisonné en ingénieurs ; ils ont étudié
les différentes fonctions de la ville (industries, logements, loisirs, commerce...
), puis l'ont quadrillée en secteurs.
Compte
œnu du relief, des infrastructures routières et autoroutières,
ils ont réparti les fonctions qu'ils avaient préalablement iso
lées.
Résultat : même lorsque l'on crée, à Cergy-Pontoise 1
par exemple, deux ou trois places, dont la sitution a été rationnellement décidée, les gens ne se promènent pas, ne retrou
vent pas de vie communautaire.
( ...
)
L'Europe est pourtant capable de mieux faire.
Il faut pour
le comprendre se reporter à la célèbre définition de la ville
donnée par Alberti 2, à la Renaissance.
Elle présente pour lui
45 les mêmes caractéristiques qu'une maison : une ou plusieurs
entrées, matérialisées par des portes, des arcs, ou simplement
des signes distinctifs ; des couloirs, qui permettent de se
déplacer d'une pièce à 1'autre et de distribuer les différents
espaces : ce sont les rues · des salles de séjour, enfin, qui cor50 respondent aux places publiques.
Au-delà de la métaphore, cette définition de la ville révèle
une conception fondamentale : il n'y a entre la maison et la
ville qu'une différence de degré, d'éléments à prendre en
compte.
Pour l'architecte, la démarche de création reste donc
55 la même.
Cela signifie que remplir un programme, répartir
des fonctions n'épuise pas son activité.
Tout comme ne
l'épuise pas, à l'échelle d'un seul édifice, la mise en place
d'escaliers et de ,.::ages d'ascenseurs.
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Il faut revenir à une discipline développée à la Renaissance
le dessin de ville.
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Elle permet en effet d'envisager la création d'un tissu urbain
selon des critères proprement architecturaux, c'est-à-dire
spatiaux.
On peut, sur le papier, dessiner des angles, des figu
res, des perspectives, tllonger des axes, ou au contraire les
infléchir.
On parviem ainsi à découvrir des systèmes d'organisation
autrement plus complexes que la rrame orthogonale de New
Y orle "Paris, ville dessinée tom au long de /histoire.
pem par
exemple se Iire comme un rissu réparti autour d'un axe
70 sinueux, qui est la Seine.
Perpendiculairement it cet axe.
des
esplanades lntroduisem une rvthmique .
la Concorde, le
Trocadéro, .les Invalides.
De ces esplanades partent à leur tour
des rues et des avenues qui forment un réseau très cohérent.
Rendre, donc, la ville aux architectes.
Ricardo Bofill, Espaces d'une vie, 1989
(1) Cergy-Pontoise : « ville nouvelle », proche de Paris, dont la créa
tion a été décidée en 1965.
(2) Alberti : humaniste italien (1404-1472), auteur de nombreux trai
tés dont les plus célèbres portent sur l'architecture.
Questions
1.
Résumé (8 points)
Vous résumerez le texte en 175 mots.
Une marge de 10% en plus ou
en moins sera admise.
Vous indiquerez, à la fin de votre résumé, le
nombre de mots employés.
2.
Vocabulaire (2 points)
Vous expliquerez le sens, dans le texte, des deux expressions soulignées :
- « continuité urbaine » (ligne 19),
- « introduisent une rythmique» Oigne 71).
3.
Discussion (10 points)
Estimez-vous, comme l'architecte Ricardo Bofill, que la ville« a cessé
d'être un lieu de rencontre pour devenir le simple tracé de voies de com
munication » ?
RAPPEL DE CONNAISSANCES
• Ricardo Bofill est né à Barcelone en 1939 ; son père était promoteur
et entrepreneur.
Après de vagues études d'architecture, il s'établit en
1960, sans diplôme, et se fait la main en construisant une maison fami
liale à Ibiza.
En 1963, il crée le Taller de arquitectura avec deux dessi
nateurs et une mathématicienne : atelier pluridisciplinaire.
Il acquiert une
audience internationale avec la construction du quartier de Reus près
de Tarragone, terminé en 1972.
Il vient en France et soumet un projet
pour le jardin des Halles rejeté avec horreur par J.
Chirac.
Plusieurs
insuccès ; puis réalisation de la pyramide du col du Perthus (1976).
Amé
nagement du centre de Montpellier : Antigone ; de Saint-Quentin-en
Yvelines ; de Marne-la-Vallée, ensemble d'une « belle théâtralité ».
1.
LE RÉSUMÉ (8 points)
Texte dont les paragraphes sont de dimensions assez déséquilibrées.
Faut-il
regrouper certains d'entre eux, beaucoup plus courts, ou non ? C'est la pre
mière question à se poser, après au moins deux lectures approfondies de
l'ensemble.
Il s'agit donc de bien délimiter les nuances de l'idée principale
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qui est d'ailleurs donnée par le titre.
Ricardo Bofill, grand architecte actuel,
traite, en effet, non seulement d'un problème d'actualité devenu presque
banal : celui des villes modernes, mais il plaide aussi pour son propre point
de vue : la nécessité de redonner toute sa place à une architecture digne
de ce nom dans les villes actuelles.
Ainsi se détachent :
- d'abord le premier paragraphe : les villes sont architecturalement massacrées;
- puis, si court soit-il, le deuxième paragraphe : la ville est pourtant œuvre
humaine;
- les troisième et quatrième paragraphes: raisons de l'éclatement des villes
et de la création des cités-dortoirs et villes nouvelles ;
- le cinquième paragraphe : quelle doit être la bonne conception de construction d'une ville ;
- les sixième, septième et huitième paragraphes : une ville humanisée,
vivante, est une ville dessinée dans l'espace, architecturalement ;
- les neuvième et dixième paragraphes : démonstration appuyée sur deux
exemples opposés de cette nécessité de l'architecture.
Résumé
La ville doit revenir normalement aux architectes, surtout après le gâchis
dû aux transformations économiques, sociales, topographiques récentes,
rejetant les citadins hors périphérie.
Pourtant l'homme fut bâtisseur de cités.
Mais maintenant nous les détruisons par besoin immédiat, esprit de
lucre, incurie, désintérêt architectural : plus d'ensembles harmonieux, mais
des éléments dissociés, bientôt privés des verdures et commerces initiaux,
déshumanisés - et une ville devenue simple lieu de passages routiers.
Ainsi, proies des bétonneurs puis des urbanistes, les villes nouvelles
ont été conçues si techniquement, agencées et composées si rationnellement, que les belles trouvailles sur papier ne veulent pas vraiment vivre.
Que ne conçoit-on donc la ville, comme les grands architectes d'autrefois, sur le schéma d'une demeure individuelle ?
Car ville et maison doivent être créées de façon similaire, être dessinées en nuançant les détails, en soignant coins et recoins, tandis qu'elles
prennent relief dans l'espace.
Il ne s'agit plus alors de géométrie mais de plan vivant, axé sur des
réalités géographiques ou humaines, où débouche une structure qui est
un aboutissement...
architecturé donc.
(Résumé en 178 mots.)
On remarquera que chaque paragraphe est relié au précédent par un mot
de liaison logique : «pourtant», « mais », « ainsi», « donc », « car",
«alors».
Il n'est pas forcément le premier mot, mais il est obligatoirement
dans la première phrase du nouveau paragraphe (dans ce résumé, c'est
le cas de« donc» et" alors»).
Les liaisons sont d'une importance capitale.
Il faut toujours y veiller.
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2.
LES QUESTIONS DE VOCABULAIRE
(2 points)
Les expressions à expliquer sont délicates, parce qu'elles comportent tou
tes deux, particulièrement la seconde, un glissement de sens, une corres
pondance en figuré par rapport au sens originel.
On se reportera donc
essentiellement au contexte.
1.
cc continuité urbaine 11
► Si nous nous rattachons au sens étymologique de continu et continuité,
nous voyons qu'ils viennent du latin tenere: « tenir» et cum : «avec».
La
continuité s'applique à des parties qui se tiennent entre elles, l'une avec
l'autre, qui ne sont pas séparées les unes des autres.
C'est donc une liai
son non interrompue, une cohésion de toutes les parties.
L'architecte Ricardo Bofill pense qu'une ville doit être un ensemble harmo
nieux où chaque élément : « rues ", « places», ajoutons: jardins publics,
groupes d'immeubles sur un modèle de même type, dépendent les uns des
autres pour constituer une composition urbaine (cet adjectif vient du latin
urbs, urbis = « ville») ; cette " continuité urbaine "lui paraît indispensa
ble pour apporter à la ville sa valeur humaine.
Il en donne exemple dans
/'avant-dernier paragraphe.
2.
« introduisent une rythmique "
► rythmique est ordinairement l'adjectif de même famille que rythme,
lui
même venu du grec rhuthmos: « mouvement réglé et cadencé " ; et deuxième
sens: «proportions régulières, ordonnance symétrique, juste mesure ».
Tandis que la mesure ne joue qu'un rôle régulateur (en musique par exem
ple), dépourvu d'idées, le rythme au contraire contient les éléments d'une
véritable pensée ou proposition musicale - et plus généralement artisti
que.
Le nom « une rythmique » désigne la science du rythme, donc de cette
pensée, de cette composition artistique.
Ricardo Bofill, partant de l'exemple de Paris, une ville qui s'est«tiss{ée]»
au cours des siècles, montre qu'à partir du point central: la vieille Lutèce
gauloise puis romaine, île de la Seine, « axe » géographique naturel, les ·
bâtisseurs ont composé selon des idées harmonieuses, artistiques.
Ainsi
les esplanades élargissent J'espace à partir des rives, puis avenues et rues
s'imbriquent et des proportions élaborées sont constituées selon une
« rythmique », donc une composition artistique.
Il faut veiller à ce ql!e la présentation du sens des expressions à expliquer
soit bien rédigée.
Eviter les platitudes si fréquemment trouvées dans les
devoirs.
3.
LA DISCUSSION (10 points)
Rappel du sujet : Estimez-vous, comme l'architecte Ricardo Bofill, que la
ville « a cessé d'être un lieu de rencontre pour devenir le simple tracé de
voies de communication » ?
Deux expressions sont à détacher dès la première lecture : "lieu de ren
contre " et " simple tracé de voies de communication ".
Elles sont en
exacte opposition
- l'une désigne un espace d'arrêt, de contact et de découverte d'autrui,
de convivialité ;
- l'autre, un monde de mouvement continu, de passage anonyme, d'indif
férence.
Dans la thèse de Bofill, nier le premier et affirmer....
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