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ÉPREUVE 22 Aix-Marseille, Montpellier, Nice-Corse, Toulouse Juin 1990 « Il paraît qu'il est immoral de parler de soi. Moi, je...

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« ÉPREUVE 22 Aix-Marseille, Montpellier, Nice-Corse, Toulouse Juin 1990 « Il paraît qu'il est immoral de parler de soi.

Moi, je ne sais guère que parler de moi.

» (1902) « Le "moi" pas du tout haïssable, bien au contraire.

» (1907) Extraits du Journal de Paul Léautaud Vous examinerez et discuterez l'opinion de Paul Léautaud en vous réfé­ rant à des exemples littéraires précis (poésies d'inspiration personnelle, écrits intimes, mémoires, romans autobiographiques, etc.). ■ La lecture du sujet regroupe sans grande difficulté les termes.

D'abord, le problème soulevé, fort fréquent, est celui du Moi.

Est-il bon ou non de « parler de soi " ? - Une position à ce propos est de juger le fait immoral et haïssable, comme le fit Pascal, auteur de la formule : « Le moi est haïssable » (Pensées, Br.

455), à laquelle répond très directement la seconde citation de Léautaud. - La position inverse est celle de Léautaud : « Moi, je ne sais guère que parler de moi» et « Le "Moi" [n'est] pas du tout haïssable, bien au contraire "· Peut-être le plus sage, devant un libellé contenant toute sa problémati­ que, est-il de suivre le schéma classique de la dissertation : - Thèse de Léautaud. _:_ Antithèse, c'est-à-dire prise de position impersonnelle de certains auteurs et écoles littéraires. - Synthèse, conception médiane,.

traitée en troisième partie complète si l'on possède assez d'arguments, conservée pour la conclusion, sinon. ■ Introduction ■ Notre époque semble goûter particulièrement que l'on parle de soi.

Les autobiographies affluent dans les librairies ; stars, hommes de théâtre ou de cinéma, personnalités publiques et politiques écrivent - ou font écrire par quelque « nègre» - tous, quels qu'ils soient, leurs mémoires, souve­ nirs..., révèlent leurs écrits intimes.

Les éditeurs sont à l'affût des « jour­ naux» ou bribes de notes personnelles trouvés dans les papiers des hommes célèbres qui nous ont quittés. Déjà dans les« années 1900 », Léautaud, un critique original et frondeur, se vantait de ne savoir« guère parler que de [lui]».

Un peu après la Seconde ·■ Guerre mondiale, il semble qu'on en soit au même point puisque Jules Romains se plaignait en 1949:« le moindre gribouilleur estime que ses maux d'estomac doivent être fidèlement transmis à la postérité». ■ La présence voulue du Moi de !'écrivain dans son œuvre ou comme but même d'œuvre, véritable théorie d'écoles, à certaines époques, ne mérite­ t-elle pas attention, n'est-elle pas élément de création tout à fait valable? Faut-il au contraire considérer comme immoral de parler de son Moi et comme certains mouvements littéraires proscrire l'intrusion des sentiments personnels de !'écrivain dans l'œuvre? N'existe-t-il pas un moyen terme? car séparer œuvre et vie, n'est-ce pas artificiel? ■ Première partie : "Le "moi" pas du tout haïssable» ■ Il est à peu près sûr que l'opinion de Léautaud fait abstraction de ces «vies» plus ou moins romancées, bien rarement de la vraie littérature.

C'est narcissisme, égocentrisme, besoin de publicité qui poussent les auteurs de ces biographies ou de ces éloges croustillants à les écrire ou les faire écrire.

Quant à leurs lecteurs, bien souvent une curiosité malsaine les pousse à chercher dans l'ouvrage tel détail biographique scandaleux; désir d'une distraction aussi discutable que celle qui entraîne à parcourir les journaux à sensation.

Cependant l'esprit caustique et pour tout dire assez méchant de Léautaud dut jouir de la lecture corrosive d'Anatole France en pan­ toufles, livre qui ridiculisait les travers de cet écrivain et qui parut juste à sa mort.

Léautaud lui-même dans ses" Papiers " et ce" Journal littéraire " qu'il écrivit plus tard pendant une décennie ne reculait pas devant les révé­ lations mordantes sur tel écrivain qui n'était pas de son goût et ne rejetait aucune« clé» d'œuvres célèbres comme À la recherche du temps perdu. Peut-être est-ce la raison du terme « immoral»? Cependant, c'est le« Moi», sujet privilégié de l'écriture et de la subjecti­ vité en littérature, qu'il s'agit surtout de cerner.

Un écrivain qui parle de lui dans son œuvre se laisse souvent aller à un véritable épanchement. Celui-ci peut être consolation, comme Lamartine:« Ce n'était pas un art, c'était le soulagement de mon cœur » ; il peut être extériorisation: la timi­ dité inquiète, tourmentée de Laforgue trouve quelque allégement quand le poète se plaint dans ses vers ; de même Du Bellay prend sa poésie pour confidente et juge« ses vers, ses meilleurs secrétaires»; il peut aussi être confession, et l'exemple le plus net s'appelle justement Les Confessions, écrites par J.-J.

Rousseau. De toute manière, l'homme qui parle ainsi de lui dans ses écrits, en éprouve un véritable bonheur.

Quand Rousseau revit, 50 ans plus tard, en les transposant, les transformant le plus sincèrement du monde d'ailleurs, des épisodes passés de son existence, il les revit avec bonheur.

De plus, vieilli et malade, ces souvenirs l'attendrissent, le consolent, même quand ils n'étaient pas tendres: ainsi l'épisode de la pomme qu'il tenta de chiper quand il était petit apprenti de 10 ans chez le graveur suisse Ducommun. Le souvenir retrouvé, revécu plus totalement qu'en son présent est fixé et façonné par l'écriture. ■ ■ ■ Le Moi retransmis ainsi n'est plus exactement une relation autobiogra­ phique.

Que ce soient les Mémoires d'outre-tombe de Chateaubriand, Oberman de Senancour, Les Nuits de Musset, Les Contemplations de Hugo, ces« mémoires d'un âne » ou la Chanson du Mal-Aimé d'Apollinaire, en mettant délibérément de sa propre vie dans sa création chacun de ces artistes transpose la confidence.

Si sincère soit-elle, l'art élégiaque la mar­ que de pathétique, elle est devenue source lyrique. C'est pourquoi toute une école littéraire comme le romantisme privilégie le Moi parmi ses sources d'inspiration.

L'individualisme est recherché comme matière créatrice : « Le poète doit révéler son paysage intérieur » affirme Lamartine.

D'ailleurs s'il ne s'agit pas directement du Moi de Mémoires ou Journaux intimes, ces derniers très fréquents alors, beaucoup de grands écrivains romantiques le peignent par personnage interposé.

Ils créent leur héros à leur image volontairement.

Déjà Rousseau est en grande partie Saint-Preux dans La Nouvelle Héloïse et il est clair que René est Chateaubriand et Fortunio (Le Chandelier) est Musset. Ainsi la tendance générale est à la libération de la personnalité de cha­ cun sous forme de confidences à caractère intime tantôt à propos d'une liaison amoureuse (Nuit d'octobre, Musset), tantôt de la naissance et famille (Feuilles d'automne, Hugo), tantôt des premières années ou adolescence (Les Rayons et les Ombres, Hugo) ...

Les courants littéraires prônant le Moi comme thème essentiel d'inspiration profonde provoquent alors des modes qui tombent dans des excès : la subjectivité devient égoïsme ou éta­ lage.

Romantisme et existentialisme fourmillent d'exemples à ce propos ; un journal intime du temps de Lamartine se veut d'une« sensibilité incen­ diaire» et une« famille de Renés-poètes et de Renés-prosateurs » ne« bour­ donn [ant) plus que des phrases lamentables et décousues» surgit à la suite de René, se plaint Chateaubriand lui-même. ■ ■ Deuxième partie : la réaction, celle de l'impersonnalité ■ On voit alors d'autres créateurs et écoles s'insurger contre toute intru­ sion de la vie personnelle et repousser violemment le Moi comme inspira­ tion créatrice.

Ronsard, Du Bellay, la Pléiade« se plai[gnaient] à [leurs] vers s ['ils avaient) quelque regret"··· « Enfin Malherbe vint», s'exclame Boi­ leau, et le xvue siècle classique affirme avec Pascal que « le Moi est haïs­ sable», ce à quoi répond très directement ici Léautaud.

Malherbe régente, tonne contre tout épanchement, prône le lyrisme impersonnel.

Dans sa Consolation à M.

Du Périer, pour calmer la douleur d'un père ayant perdu sa très jeune fille, il traite le lieu commun de la mort qui n'épargne personne « Et la garde qui veille aux barrières du Louvre n'en défend point nos rois.» Il en est de même après le romantisme, mais de façon d'autant plus viru­ lente que le Moi a été plus envahissant.

Les parnassiens font de l'imper­ sonnalité une des règles principales de leur mouvement littéraire.« Il y a ■ dans l'aveu public des angoisses du cœur, une vanité et une profanation gratuites» signale Leconte de Lisle, le grand maître du parnasse.

li le répète à satiété : « Je ne te vendrai pas mon ivresse et mon mal, Je ne livrerai pas ma vie à tes huées»... ■ Quant à l'école réaliste, elle proclame par la plume de son maître Flau­ bert:« L'artiste doit s'arranger de façon à faire croire à la postérité qu'il n'a pas vécu»; pour elle le romancier ne peut être vrai que s'il observe l'âme humaine« avec l'impartialité qu'on met dans les sciences physiques». Ainsi se placera-t-il en observateur des milieux qu'il peint, étudiant Emma Bovary ou M.

Harnais avec le microscope de l'entomologiste.

Il en était déjà de même pour Balzac, qui veut « faire concurrence à l'état civil» et pour Stendhal, qui affirme« promener un miroir le long des chemins» ; de même Zola se penche sur l'organisation sociale en général et non sur un Moi par­ ticulier, en écrivant L 'Assommoir ou Germinal. Après les débordements surréalistes, Valéry recommande.... »

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