ÉPREUVE 22 Bordeaux, Caen, Clermont-Ferrand, Limoges, Nantes, Orléans-Tours, Poitiers, Rennes Juin 1991 1t; : «Je me suis battu contre les...
Extrait du document
«
ÉPREUVE 22
Bordeaux, Caen, Clermont-Ferrand,
Limoges, Nantes, Orléans-Tours,
Poitiers, Rennes
Juin 1991
1t; :
«Je me suis battu contre les intellectuels latino-américains qui
�ti..
..
disaient : "À quoi bon jouer du Be,lfthoven quan d des gens ont
t:1 .
faim?" et je leur répondais : Mais quan d i 1s écoutent
a@ Beethoven, leur vie ch ange.
" »
Ces propos du pianiste Miguel-Angel ESTRELLA (Le Monde diplo
matique, Juin 1989) pourraient s'appliquer à toute autre forme d'art, y
compris l'art littéraire.
Dans quelle mesure vous paraissent-ils légitimes?
COMPRÉHENSION DU SUJET
Quelques connaissances sur le pianiste argentin Miguel Angel Estrella ne
sont pas inutiles.
Après des années d'action militante et politique dans le
cadre du péronisme, il a connu les geôles du pouvoir et, libéré après deux
années de prison, il a eu l'occasion de dire tout ce que son art lui avait
apporté et de jouer, face aux masses exploitées (rhétorique marxiste)
d'Amérique Latine, le rôle très noble d'artiste engagé.
Il n'est pas indifférent non plus qu'il cite Beethoven, génie universel, sur
lequel il serait bon d'avoir quelques lueurs.
DÉVELOPPEMENT RÉDIGÉ
Introduction
Toutes les activités artistiques peuvent être sommées à un moment ou à
un autre d'expliquer en quoi elles peuvent soulager le malheur des hom
mes.
Ce débat prend une forme renouvelée dans une époque où les peu
ples ont à souffrir plus que jamais de régimes totalitaires ou du sous
développement.
Face à ces souffrances, que vaut par exemple un concert de piano,
l'écoute d'un grand musicien ? Miguel Angel Estrella, qui peut-être plus
que tout autre a lutté contre l'exploitation des hommes, ce qui lui valut
d'être emprisonné, se place dans le camp de ceux qui continuent à croire
envers et contre tout aux pouvoirs de la musique.
C'est ainsi qu'il déclare :
«.je me suis battu contre les intellectuels latino- américains qui disaient :
•� quoi bon jouer du Beethoven quand des gens ont faim?" et je leur
répondais : "Mais quand ils écoutent Beethoven, leur vie change."»
Cette déclaration mérite qu'on l'examine de plus près : dépassant le stade
des apparences, il faudra se demander en quoi la vie des pauvres peut
changer au contact des grandes œuvres et quelle sorte de «changement»
on peut espérer.
Première partie : on peut être tenté de partager le scepticisme
des intellectuels latino-américains ...
Tous les artistes confrontés aux misères du monde ont eu l'impression
terrible qu'ils étaient impuissants et en ont conçu du désespoir ou se sont
lançés eux-mêmes dans l'arène politique pour aider concrètement aux
changement qu'ils souhaitaient, comme Lamartine, Hugo ou
Chateaubriand ; ou encore, ils ont tenté de donner à leurs œuvres une
portée militante avec des fortunes diverses.
C'est vrai qu'une œuvre d'art semble peser bien peu à côté d'un enfant qui
souffre, d'un homme qui meurt de faim.
C'est tout le problème que posait
Sartre dans Situations Ill, préférant pour cela un art directement «en
gagé».
On pourrait donc comprendre les réticences des intellectuels latino-améri
cains, surtout s'agissant de musique, donc d'un art qui ne passe pas par
les mots, dont l'effet est passager et qui n'a nul rapport avec la condition
de vie des paysans argentins.
D'autant que se pose le problème du choix
de l'œuvre : Beethoven peut sembler davantage reservé à une élite euro
péenne cultivée, et il peut paraître incongru de le faire écouter à des
hommes dont la culture musicale est si différente...
Surtout, il serait facile, il serait cruel de réaffirmer que les hommes ont tout
d'abord besoin de pain, et que c'est mettre la charrue avant les boeufs
que de se préoccuper de leur culture artistique avant d'agir sur leurs
conditions économiques.
«La voix de l'honneur et de la vertu est bien
faible quand les boyaux crient», fait dire crûment Diderot à son héros dans
Le Neveu de Rameau.
Que d'intellectuels, partis avec de généreuses illu
sions vers les pays malheureux du tiers-monde, sont revenus persuadés
que tout passait d'abord par la réorganisation des circuits de production et
de distribution, par des mesures élémentaires dans l'habitat, l'hygiène,
l'alimentation, l'éducation.
Il est tentant de considérer alors l'art sous toutes ses formes comme une
sorte de luxe, surtout si c'est un art d'«importation».
D'autre part, les changements souhaités n'incombent pas uniquement aux
peuples qui subissent la misère.
La dénonciation de La Bruyère : «De
simples bourgeois, simplement à cause qu'ils étaient riches, ont eu
l'audace d'avaler en un seul morceau la nourriture de cent familles» reste,
hélas ! toujours d'actualité dans certains pays, et l'on voit mal comment la
vie des masses populaires exploitées peut changer, si certaines évolutions
sociales ne sont pas permises par les classes dirigeantes.
Voilà qui peut expliquer le scepticisme des intellectuels latino-américains
dont M.
A.
Estrella fait état.
Deuxième partie : ...mais des éléments de réponse positifs ont
déjà été fournis dans le passé
Mais la réponse à cette question de fond a déjà été souvent fournie.
Il est indéniable d'abord que le contact avec l'art dans ses formes les plus
accomplies réveille en l'homme, quel qu'il soit, un rêve de beauté et des
émotions profondes qui peuvent lui donner l'envie de changer sa condition
et l'énergie nécessaire pour l'entreprendre.
Pour se cantonner au domaine spécifique de la littérature, Les Misérables
de Hugo, Germinal de Zola ont insufflé à des milliers d'ouvriers, de jeunes
gens de condition modeste, la volonté de combattre les injustices et de
militer pour des «lendemains qui chantent».
Peut-on dire que la Révolution
française aurait donné les mêmes effets si elle n'avait été précédée et
rendue en quelque sorte possible par l'œuvre acharnée des «philoso
phes» dont les écrits nous concernent encore aujourd'hui et qui ont servi
de modèles à tant de révolutionnaires et de démocrates de par le monde ?
Même si de telles conséquences ne sont pas mesurables immédiatement,
on comprend qu'on puisse avoir dans l'art en général cette foi qui anime
M.
A.
Estrella.
Les œuvres artistiques, surtout susceptibles d'être transmises à un vaste
public, constituent un puissant levier pour galvaniser les hommes et ré
veiller par exemple le sens de la solidarité, le désir de justice et le goût du
sacrifice.
Si les démocraties dites «populaires» ont favorisé un art «militant»,
«progressiste», s'adressant directement aux masses, si elles ont versé
dans un «réalisme socialiste» souvent ridicule dans ses excès et
critiquable dans ses buts, elles rendaient par là hommage à cette puis
sance de l'art au service d'une manipulation collective - dans les fres
ques monumentales, les statues colossales, les hymnes révolutionnaires
et toutes les productions encouragées par le régime.
Déjà Mussolini, avec
sa récupération de !'Antiquité, ou Hitler, avec son détournement de la
musique de Wagner, avaient donné l'exemple de pratiques analogues.
En effet, si les conditions économiques, matérielles sont incontournables
et ne peuvent être modifiées directement par une œuvre, aussi inspirée
soit-elle, la....
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓