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ÉPREUVE 23 Créteil-Paris-Versailles Juin 1990 SUJET Le comique n'a-t-il dans une œuvre qu'une fonction de diver­ tissement? Vous fonderez votre...

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« ÉPREUVE 23 Créteil-Paris-Versailles Juin 1990 SUJET Le comique n'a-t-il dans une œuvre qu'une fonction de diver­ tissement? Vous fonderez votre réflexion sur l'analyse d'exemples précis, sans vous limiter nécessairement au domaine de la littérature. ■ Chaque fois qu'un sujet de Composition française où Dissertation est présenté sous forme d'une question unique, l'élève doit lui-même consti­ tuer la problématique du devoir.

Du moins a-t-il en main une première par­ tie : le comique a une fonction de divertissement dans une œuvre. Ce sera à lui de trouver la contre-partie, c'est-à-dire tout ce qui est autre fonction du comique à part le divertissement. Il sera intéressant, dans la mesure du possible, de suivre la suggestion du libellé, et de ne pas se " limiter{.

..] au domaine de la littérature ».

Le cinéma est une mine. ■ ■ Devoir rédigé On assiste actuellement à une forte tendance du public à réclamer qu'on le fasse rire.

Les courriers des petits journaux sont envahis de réclama­ tions à ce propos.

Le théâtre vraiment suivi est celui de boulevard et les performances des amuseurs, même les plus lourdes, font salles pleines à Paris et en tournées provinciales.

De jeunes acteurs d'un atelier-théâtre réclament de « jouer du comique » parce qu'ils y auront eux-mêmes plein plaisir et parce qu'ils pensent séduire mieux leur futur public.

Il est donc demandé de divertir et d'être diverti. Mais le comique dans une œuvre n'a-t-il qu'une fonction de divertissement, de bon rire ? Sous les scènes cocasses, les plaisanteries plus ou moins rabelaisiennes, la fonction du comique ne va-t-elle pas beaucoup plus loin, la plupart des artistes - écrivains, metteurs en scène, scénaristes, acteurs...

- faisant du rire un moyen, non un but, moyen d'atteindre l'homme, ses travers, ses contradictions, les compromissions de la société, de faire réfléchir sur la vie et la condition humaines ? Ainsi, seul animal à savoir rire, l'homme a toujours exprimé par ce rire un besoin d'extériorisation.

Il y a en lui un instinct de jeu, comme le possè­ dent toutes les espèces animales ; le rire de type plus évolué, autant du ÉPREUVE 23 domaine de la tête que du corps est chez l'homme le complément de cette nécessité du jeu que tout petit un animal manifeste par ses courses, ses culbutes, ses petits cris.

Dans un traité philosophique : Le Rire, qui fait autorité sur la question, Bergson démontre qu'il n'y a pas de comique en dehors de ce qui est « proprement humain », mais que - comme pour le jeu presque toujours en groupe des animaux - le rire« a besoin d'un écho» donc que l'on s'attend à une« complicité avec d'autres rieurs».

- Ainsi les hommes ont besoin du rire parce qu'il détend et« relie ».

C'est donc bien d'abord fonction de divertissement que celle du comique dans une œuvre et l'on serait tenté de dire que l'affirmer est un pléonasme. Car« divertissement» à notre époque se rattache simplement au sens de distraction.

Ce préfixe dis- qui indique l'éparpillement, la dispersion correspond.d'ailleurs à une certaine tendance de la société moderne.

La vie moderne est pesante, aliénante, contraignante.

Rire dans cette société sérieuse où le travail reste toujours placé très haut, où les golden-boys et chefs d'entreprise songent avant tout à une rentabilité toujours accrue, devient un besoin de défoulement.

Participer à une œuvre comique est alors soulagement physique et mental et devient une véritable thérapeutique ; la « dis-traction » comme son étymologie l'indique entraine ailleurs.

Le comique rejoint ainsi le problème du loisir, et au même titre que voyages, réunions ...

il détend.

Si l'œuvre est vue ou entendue, non pas seulement lue, il unit dans le divertissement, car le comique est contagieux et crée une forme de communion.

On la perçoit très bien dans les tableaux de Breughel et des peintres flamands du xw siècle et, au même siècle, dans les œuvres de Rabelais.

Après la dispute avec les fouaciers de Lerné, les bergers de Grandgousier se remettent de cette alerte en « se rigol[ant] au son de belle bousins [...

] ensemble ». Rabelais est d'ailleurs un auteur qui offre les multiples facettes du rire distrayant.

C'est par exemple la gaieté débridée, franche, sans la moindre arrière-pensée de ses bons géants, Gargantua surtout, et de son commensal Frère Jean des Entommeures.

Leurs « franches lippées » sont la joie au naturel.

Le comique chez Rabelais est une saine manifestation de la nature.

Naturel aussi est le jeu de mots, si fréquent chez lui.

Comme l'instrument spécifique de l'homme est le langage, il est parfaitement normal qu'il joue avec.

Un texte célèbre de Rabelais est constitué d'une longue énumération où le divertissement est dans : la place des sonorités, les rebondissements de termes, les contrepèteries, les jeux sur mot et partie de mot (« service divin - service de vin»); c'est Frère Jean qui en est le héros défendant le clos des moines contre les soldats de Pichrochole et plaisantant tout au cours de la bataille. Divertissants sont les méprises, quiproquos, équivoques, gaietés moqueuses, malices sans méchanceté de bien des fabliaux et des farces simples du Moyen Age, comme La Farce de la Tarte et du Pâté ou le fabliau des Trois Aveugles de Compiègne.

C'est alors un retour aux sources vitales, le comique prend racine dans la pure joie de vivre et dans les bonheurs terrestres de l'homme.

Citons encore Rabelais et les longues énumérations sans queue ni tête, simples mécaniques du rire, les « gags » de Laurel et Hardy ou des Marx Brothers, ou de Jerry Lewis, certaines imitations de Michel Leeb ou pirouettes verbales des Inconnus.

Non seulement divertissement, le comique est alors tonique. 209 COMPOSITION FRANÇAISE Le comique semble donc un besoin humain complémentaire.

Une certaine intensité réclame une soupape et la farce ainsi que les œuvrespopulaires n'hésitent même pas devant les plaisanteries scatologiques, si goûtées toujours des enfants, comme Pathelin dans la scène des « petites crottes ». Le grec Aristophane au v• siècle av.

J.-C.

et le latin Plaute un peu plus tard utilisent bien volontiers ce type de comique, sûrs de réussir auprès des foules populaires.

Coluche aussi savait être volontairement un comique vulgaire. Mais la détente vient aussi bien de la fantaisie légère, des pirouettes inattendues de ces personnages un peu marionnettes de Voltaire ou valets de Marivaux, que du comique de gestes à la guignol, coups de bâton, personnages cachés sous la table, fausses blessures, reprochées par l'honnête homme Boileau aux Fourberies de Scapin de Molière. Cependant, si nous prenons le sens étymologique de « divertissement », nous découvrons le sens que Pascal donne à ce nom.

Il vient du latin divertere c'est-à~dire «détourner" tourner hors, loin de la vie, de ses problèmes, difficultés, tristesses.

Évidemment la première nuance à rattacher à ce sens propre est celui d'une forme d'évasion.

Écouter une comédie de Labiche, Courteline, Feydeau, lire Cami ou Alphonse Allais fait oublier une ou deux heures les soucis quotidiens.

D'ailleurs si, comme l'analyse Bergson, le rire est du « mécanique plaqué sur du vivant », le comique est plaqué sur le quotidien ; il a alors pour but de faire échapper à la grisaille ambiante.

Le rire devient un certain vertige et comme dit le Figaro de Beaumarchais, on s'empresse de rire de tout « de peur d'être obligé d'en pleurer». Voici donc une réalité antithétique, contradiction inhérente au phénomène.

Le comique par essence fait rire mais il est fondé sur le sérieux : observation, révolte, surprise provoquant une prise de conscience, car il choque subitement, il sort des habitudes quiètes de la pensée.

Le comique débusque les contradictions, ainsi la douleur d'amour sincère d'Alceste parallèlement aux inénarrables petits marquis, ces grotesques et à la causticité plaisante des portraits tracés par Célimène (Le Misanthrope, Molière) ; ou bien il fait éclater les inadaptations, celles, entre autres du Neveu de Rameau « un des plus bizarres personnages de ce pays » prétend Diderot; ou du Distrait, le film de Pierre Richard.

Le comique s'attaque aux mœurs, c'est même un de ses emplois fréquents.

Ainsi Molière ridiculise les bourgeois de son temps qui voulaient devenir gentilshommes et se laissaient gruger pour avoir l'air d'hommes de qualité (Le Bourgeois gentilhomme) ; tandis que Boileau rend grotesques ceux qui veulent donner des réceptions littéraires sans en avoir les capacités (Le Repas ridicule, Satire X), et que Montesquieu feint ironiquement d'être surpris de la mauvaise éducation du parvenu, le fermier général: « est-ce que vos gens de qualité sont plus mal élevés que les autres ? ».

Ce phénomène de la société du xvw : le fermier général qui amasse des fortunes énormes en trop peu de temps pour que son niveau d'éducation s'y adapte, est également objet de.... »

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