ÉPREUVE 26 Besançon, Dijon, Grenoble, Lyon, Nancy-Metz, Reims, Strasbourg Juin 1990 SUJET J.M.G. Le Clézio écrit dans L 'Extase matérielle...
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ÉPREUVE 26
Besançon, Dijon, Grenoble, Lyon,
Nancy-Metz, Reims, Strasbourg
Juin 1990
SUJET
J.M.G.
Le Clézio écrit dans L 'Extase matérielle : « L'artiste
est celui qui nous montre du doigt une parcelle du monde.
»
Dans quelle mesure les artistes vous ont-ils aidé à découvrir des aspects
du monde et de la vie ? Vous organiserez votre réflexion en vous
appuyant sur des exemples précis empruntés à la littérature et, éven
tuellement à d'autres formes d'art.
■ Il est toujours utile de faire le graphique d'un essai littéraire.
Ici, il s'impo
serait plus que jamais, car le sujet est délicat.
Voici donc :
«L'artiste est celui qui nous montre du doigt une parcelle du monde.
»
Dans quelle mesure les artistes vous ont-ils aidé à découvrir des aspects
du monde et de la vie ?
Sont donc regroupés :
- «L'artiste»
« les artistes» sur lesquels porte le sujet en général
- « nous» et «vous», c'est-à-dire le profane et ici plus particulièrement
l'élève à qui la question du libellé adjacent à la phrase de Le Clézio pose
directement la question ;
- "montre du doigt»
« ont-ils aidé à découvrir»: fonction de« découvreur», de guide, de
l'artiste en général et des artistes qui ont plus directement« aidé» l'élève,
en particulier;
- « une parcelle du monde»
« des aspects du monde et de la vie»: remarquons la restriction : « une
parcelle» et« des (=certains) aspects »; mais de toute façon la thèse est
que l'artiste, qui est un initié, dévoile aux profanes ce qu'ils ne saisissaient
pas seuls.
Tout devoir sur art ou artiste est assez difficile.
D'autre part pas de véri
table problématique encore ici, mais l'affirmation de Le Clézio sur le rôle
privilégié de l'artiste.
Il faut donc une contre-partie; mais on aurait avan
tage à la traiter en premier, car elle est moins représentative que cette
« aide» des« artistes» dont il est demandé si l'élève l'a obtenue ou ren
contrée.
Ne pas oublier d'autre part que la deuxième partie du libellé adjoint pré
cise qu'il faut s'« appuy[er] sur des exemples précis empruntés à la littéra
ture», ce qui privilégie les exemples littéraires - la poésie en particulier.
Mais ce libellé ajoute : « et éventuellement à d'autres formes d'art», ce
qui permettra d'utiliser, selon les connaissances, musique, peinture, arts
plastiques, cinéma, danse...
■
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Introduction
■ «Un artiste» !...État et spécificité qui laissent l'homme courant circons
pect voire méfiant.
On place l'artiste dans un monde un peu à part, plus
ou moins mal adapté au rythme de la vie.
Ou il a réussi et l'on croit qu'il
peut tout se permettre, suivre des manières de vivre plus libres, plus spec
taculaires, ou l'on s'inquiète des difficultés de« gagner sa vie », d'avoir donc
sa petite place sociale et son petit confort, quand on est artiste.
« La mal
heureuse, son fils veut être musicien ! » « Danseuse, quel métier! » sont
des réflexions assez habituelles.
Le monde de l'artiste n'est-il pas un monde clos, en rupture à peu près
totale avec le réel? L'artiste n'est-il pas trop souvent marginalisé par l'incom
préhension qu'il rencontre, se retirant lui-même volontairement dans sa
« tour d'ivoire»? Faut-il au contraire en croire J.-M.-G.
Le Clézio qui pense
que l'artiste« nous montre du doigt une parcelle du monde» ou tant d'autres
artistes qui se jugent des « mages » guidant les foules parce que leur art
nous aide à comprendre le monde?
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Première partie : la « patrie inconnue >> de l'artiste,
incompréhension et hermétisme
■
Combien d'artistes ont eu à subir un phénomène de rejet de la part de
leurs contemporains, ou, au mieux, une parfaite méconnaissance ! Pen
dant des années on a traité G.
de Nerval de romantique mineur et il a fallu
attendre presque un siècle pour que G.
Apollinaire et les surréalistes révè
lent son extraordinaire originalité.
Stendhal jugeait qu'il ne serait vraiment
apprécié que cent ans après sa mort.
Flaubert et Baudelaire subissent des
procès qui étonneraient bien aujourd'hui.
Si Baudelaire n'avait pas peu à
peu révélé Wagner en France, la musique de ce dernier y semblait incom
préhensible.
Que dire de Picasso, Braque, Chagall dont les peintures scan
dalisaient ! Que de personnes font les dégoûtées devant l'architecture de
Beaubourg, les colonnes de Buren ou la place accordée à la pyramide du
Louvre face au palais de Pierre Lescot et aux sculptures « renaissance»
de Jean Goujon !
Dans Du côté de Guermantes, Proust évoque l'incapacité des contem
porains du peintre Renoir à apprécier certains de ses tableaux dont l'on
disait couramment que les femmes et la nature qu'il peignait n'avaient rien
de commun avec des femmes et une nature vraies.
Ne prétendait-on pas
qu'il peignait des femmes ressemblant à des grenouilles?
D'autre part il est certain qu'un artiste est doué d'une sensibilité plus exa
cerbée ou plus subtile que la plupart des hommes et que sa quête artis
tique le pousse à rechercher le monde de l'Absolu, à se lancer dans un
« voyage » qui est son effort pour l'atteindre, toute son esthétique, par consé
quent.
Or voilà qui l'éloigne de la vie courante.
Baudelaire analyse ce phé
nomène dans le premier poème des Fleurs du Mal: Bénédiction.
L'artiste
y es,t montré comme d'une autre planète, il se nourrit « d'ambroisie et de
nectar vermeil», «joue avec le soleil», tandis que les autres, y compris sa
mère, en ont peur parce qu'il est différent.
■
■
■ Un double courant s'établit en effet entre l'artiste et ceux qui ne le sont
pas.
L'artiste« plane sur la vie », rejette« les miasmes morbides » de l'exis
tence coutumière et s'éloigne de la« foule vile ».
Cette foule, elle, va donc
.
aussi mani.fester son incompréhension.
Parce que l'artiste est du monde
des « nuées », oiseau aux vastes ailes mal adapté à la marche courante,
l'homme moyen, à le voir différent, s'inquiète et pour se rassurer se moque
de lui, le persécute (L 'Albatros (Baudelaire)].
Ne serait-ce pas un peu la
réaction assez sotte de ces pseudo-scientifiques qui prétendent « ne pas
aimer le français » comme disent certains élèves de S et ne rien y comprendre, spécialement à la poésie...
?
Ce qui arrête certains élèves, c'est aussi que l'artiste semble avoir une
vision différente de la conception commune.
Son œuvre·semble appartenir
à une planète privilégiée dont il a la clé et dont trop souvent il la garde pour
lui, exaspéré par les idées toutes faites, les platitudes, et dans notre monde
actuel : la rentabilité, la primauté accordée au rendement, à la performance,
à l'argent.
Ainsi la poésie sera de plus en plus comprise des seuls initiés
son langage va être volontairement contraire aux règles habituelles prô
nées aux élèves et Verlaine va par exemple recommander« la chanson grise
( ...] Où l'indécis au Précis se joint ».
C'est pire avec l'hermétisme de Mallarmé dont la langue devient même
ésotérique; ou bien c'est l'application de formulations qui ne suivent plus
la syntaxe, ceci pour obtenir une poésie agissante :
« Prends l'éloquence et tords-lui son cou » écrit Verlaine au mépris de toute
construction réglementaire(« tords-lui son ...).
De véritables chapelles fer
mées au profane constituent la poésie actuelle, tandis que la musique sérielle
déconcerte des oreilles habituées aux thèmes mélodiques coutumiers.
Encore après la reconnaissance du génie de Picasso, bien des gens ne
comprennent pas la place de tel œil au centre du corps d'une femme ou
regrettent que le plafond peint par Chagall ait remplacé une fresque plus
académique.
De telles complexités, de telles failles entre l'artiste et son public peuvent
elles inciter à suivre le« doigt » qui« montre [...] une parcelle du monde» ?
Que pense un jeune esprit devant la poésie ou les dessins de Michaux,
les œuvres de René Char,Bonnefoy ou Rousselot ? Sait-il même qu'ils exis
tent, alors que leur création devient poésie savante ou comme chez Guille
vic réflexion sur son langage, repli sur ses recherches, absence, plus ou
moins vantée, d'audience auprès du public ?
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Seconde partie: l'artiste montre du doigt une parcelle du
monde
■ Pourtant l'artiste et son œuvre enchantent et ouvrent les voies.
Le poète
et critique contemporain Yves Perès écrit en 1981 : Le poète« nous aide
à comprendre le monde en aiguisant nos sens, en nous rendant plus sen
sibles devant la vie ».
Voici donc une des possibilités d'action du poète :
développer notre sensibilité, la mettre en alerte, la rendre vive, claire, per
çante.
Alors nous nous rapprochons du domaine de l'artiste, nous modi-
fions notre vision des choses alourdie, banalisée par nos conventions, notre
rythme de vie, et nous parvenons à ce moment à pénétrer dans l'univers
du créateur.
Proust, toujours penché sur le cas de Renoir constate qu'alors
le «consommateur» comme l'appelle Valéry ne trouve plus la patrie de
Renoir une fantaisie délirante, mais tout se renverse, c'est cette patrie qui
lui semble la seule véridique, un modèle, la« vraie vérité» et le monde réel
lui apparaît comme un Renoir : « Des femmes passent dans la rue, diffé
rentes de celles d'autrefois, puisque ce sont des Renoir, ces Renoir où nous
nous refusions à voir des femmes» (Du côté de Guermantes).
■
Ainsi l'artiste a commencé à rendre accessible sa transcription du Beau,
il a donc ouvert au profane la porte lui permettant d'atteindre quelque chose
de beau.
C'est d'abord un simple courant qui s'établit entre l'artiste et
l'œuvre d'une part, le lecteur....
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