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ÉPREUVE 27 Groupement interacadémique Il, session de remplacement Septembre 1989 SUJET « Un homme...

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« ÉPREUVE 27 Groupement interacadémique Il, session de remplacement Septembre 1989 SUJET « Un homme cultivé voit le monde avec plus de couleur, de profondeur, de mystère.

» En vous fondant sur vos lectures, sur votre expérience, sur vos connais­ sances, vous direz si vous partagez cette opinion. ■ La lecture graphique d� ce libellé détache en premier : Un homme cultivé. Le devoir porte donc en général sur le problème de la culture. Le plan pourrait se contenter d'être descriptif, selon l'expression consa­ crée, suivant les trois valeurs qui, ici, sont appliquées à la recherche con­ duite par l'homme cultivé : - plus de couleur ; - [plus] de mystère - [plus] de profondeur. On reclasserait donc, avec un ordre mettant en premier le concret, en der­ nier ce qui touche au plus abstrait, au plus figuré, ou vice-versa. Il est cependant intéressant dans la mesure du possible de tenter un plan : thèse, antithèse.

La « thèse» traite l'affirmation donnée à expliquer, I'« anti­ thèse» développe les arguments inverses ou adverses.

L'idéal serait une troisième partie : la synthèse.

On la réserve très souvent pour la conclu­ sion, à moins d'avoir un développement suffisant pour en constituer une troisième partie.

Il est possible ici de suivre ce plan. ■ ■ Introduction ■ Au sens premier du terme, la culture désigne l'action de cultiver la terre pour la mettre en valeur et s'oppose à la friche, à la jachère qui ne portent pas de fruits : d'un côté la richesse, de l'autre la stérilité et le vide. Même opposition si nous parlons de« culture » au sens dérivé : l'hom� qui la possède, « l'homme cultivé " jouit de connaissances acquises, fruits de la sagesse, de la science, de la mémoire de l'humanité qui lui permet­ tent de voir« le monde avec plus de couleur, de profondeur, de mystère ». L'ignorant, lui, ne connaîtra de la réalité que des aspects superficiels et partiels. ■ ■- Grandeur donc de la culture qui ajoute une dimension spirituelle sup­ plémentaire à son possesseur. - Mais aussi servitude entraînée par cette force : ne finit-elle pas, dans certains cas, par être pesante et devenir une contrainte? - S'il est louable et admirable d'être un puits de sciences, encore ne faut­ il pas sombrer en cet abîme.

Savoir ou connaissance, lequel est l'apanage de l'homme cultivé? Première partie: grandeur de la culture et de l'homme cultivé ■ La culture qui permet de recueillir.

la mémoire de l'humanité offre à l'homme la possibilité d'aller au-delà des apparences, de comprendre une œuvre en profondeur, d'en voir les racines et les développements.

Au lieu d'une vision linéaire et restreinte, il obtient un savoir vivant et étendu, car selon la formule d'Alain« les Anciens disaient que Mnémosyne est la mère des Muses » (Alain, Libres Propos). ■ Ainsi �n littérature, un simple vers de Racine dans Phèdre : « la fille de Minos et de Pasiphaé» est uniquement pour l'ignorant un vers musical, un peu hermétique.

Pour l'initié, l'essence de la tragédie est définie en ces quelques mots: Phèdre n'est pas seulement une reine d'Athènes, épouse de Thésée; elle est proche des Dieux: Minos son père fils de Zeus et d'Europe est juge des En{ers; Pasiphaé sa mère, victime d'un amour insensé et monstrueux est mère du Minotaure caché en son labyrinthe et réclamant chaque année son tribut humain.

Rien que par cette ascendance Phèdre est une héroïne tragique parexcellence. Ce peut être aussi un simple thème qui attire à lui des souvenirs lui don­ nant suc et vie.

Ainsi Cinna de Corneille peut être réduit à un simple épi­ sode de la vie d'Augusta et à un récit de sa clémence.

Pour le lecteur cultivé, toute une couleur s'y attache : l'histoire évoque aussi l'époque où la pièce fut rédigée où les comploteurs s'acharnaient contre Louis XIII et Richelieu. Se dégage ainsi du personnage d'Augusta le héros cornèlien, reflet de son époque,« généreux», à l'âme éclairée par la raison qui lui pèrmet de domi­ ner ses passions et d'affirmer:« Je suis maître de moi comme de l'Uni­ vers».

Il pense aussi à l'école d'écrivains formée par les jésuites qui ne conçoivent la vertu que dans la liberté et la grandeur. Dans le domaine artistique aussi la culture permet une compréhension plus profonde de l'œuvre.

Ainsi la frise des Panathénées dont nous admi­ rons la perfection de la sculpture et l'évolution de l'art grec, sa maîtrise que la rigidité maladroite de la statuaire archaïque ne laissait guère prévoir, entr'ouvre le mystère de la brillante Athènes du v• siècle, l'Athènes de Péri­ clés et de Phidias.

Comment ne pas penser aussi à la Renaissance floren1tine devant les déesses de Botticelli? Quant au domaine scientifique, plus qu'ailleurs le profane ne comprend \ rien à ce qu'il y voit, contrairement à l'initié qui découvre les liens de cause \:_effet, les enchaînements logiques et les prolongements qu'ils impliquent. ■ ■ (■ ÉPREUVE 27 .~, { Ainsi le géographe ne se bornera pas à regarder un paysage d'un œil passif : il aura recours à ses connaissances en géographie, en géologie, et il '·,'-""~ralysera et expliquera le paysage qu'il comprendra ainsi de l'intérieur. ■ On pourrait multiplier à l'infini les exemples les plus divers, montrant l'enrichissement que l'homme retire de la culture: sans elle, il faut se contenter de l'apparence des choses et non les concevoir dans leur complexité et leur mystère.

La culture, moyen de savoir, est un outil irremplaçable pour l'homme.

Mais un danger existe que ce moyen, cet honnête et loyal serviteur, ne devienne un maître.

Certains esprits, en effet, ne risquent-ils pas d'être écrasés sous la masse de leurs connaissances qui sont une érudition, et d'être alors privés de toute pensée créatrice ? !/ Deuxième partie : serv_itude engendrée par la culture ■ Les dangers sont multiples pour un esprit qui ne domine plus la masse de ses connaissanc1;1s·: 1.

Incapacité de créer : ■ Incapable de pensée noûvelle, originale, pour ce type d'esprit« tout est dit et l'on vient trop tard» selon une formule de La Bruyère qu'il n'appliquait d'ailleurs pas à ce problème.

Ainsi au Moyen Âge de nombreux penseurs et philosophes, accablés par leurs connaissances sur Aristote, n'osaient pas sortir des sentiers battus, arrêtés qu'ils étaient par la formule : « Magister dixit» : « le Maître a dit ».

En sciences modernes, combien de savants érudits restent des compilateurs au lieu d'être des« trouveurs». ■ Un autre exemple fâcheux est cette incapacité à découvrir des formes nouvelles : ainsi les poètes du xv111• siècle sont trop souvent prisonniers de l'alexandrin classique -- tel Voltaire qui veut à tout prix faire des tragédies « à la Racine » ou une épopée à la grecque.

Le vers est devenu trop frappé à la césure, ronronnant, et il sera bon que V.

Hugo« désarticule ce grand niais d'alexandrin», le fasse éclater et« mette un bonnet rouge au vieux dictionnaire», le vocabulaire s~ noyant dans le «noble» et le ciiché. ■ À la limite la culture peut écraser le créateur jusqu'à geler toutes ses res- sources créatrices.

C'est alors la hantise de la« page blanche» chez !'écrivain, l'incapacité de peindre, sculpter ou composer chez l'artiste écrasé par les références aux grands maîtres dont il pense que jamais il ne les égalera.« Las! où est maintenant...

cette honnête flamme ...

? » s'attriste Du Bellay croyant avoir perdu l'inspiration.

Ce n'était pas alors son cas, mais il est certain que cette crainte est le piège le plus douloureux pour l'artiste.

Certains préfèrent en effet se contenter alors d'imiter les œuvres célèbres, de reprendre des recettes éprouvées.

On pourrait citer bien des «Décadents» (voir Épreuve 11). 2.

On tombe alors dans l'académisme.

Reprenons le cas de Voltaire, si novateur par ailleurs en histoire, traités philosophiques, contes surtout quoi de plus exquis et de plus profond que Candide -.

Le voici dans des tragédies, ébloui par Racine et sa facture, par Shakespeare et sa faconde ; 231 il imite la première aveuglément, tente d'introduire la deuxième et n'abou­ tit qu'à des œuvres lourdes et indigestes, bien qu'impeccables, ou, quand elles sont lisibles et peuvent même être jouées, comme Zaïre, sentent leur imitation.

De même l'abbé Delille appliquant à la lettre les prescriptions de l'Art poétique de Boileau, réussit à donner la poésie la plus correcte et aussi la plus soporifique de son époque.

Autre exemple: au x1x• siècle ne voit-on pas ronronner une peinture officielle bien léchée, pleine de bons principes, s'opposant à celle des vrais créateurs qui n'hésitent pas à reje­ ter l'enseignement traditionnel devenu sclérosant comme Manet, Renoir, puis Cézanne? 3.

Un autre risque est le développement excessif de l'esprit critique. ■ Le trop-plein de culture amène enfin une hypertrophie de l'esprit critique la connaissance des grandes œuvres entraîne, en effet, à une référence permanente à elles et cela au détriment des créateurs contemporains que l'on écrase par des comparaisons souvent intempestives.

Les plus intelli­ gents de ces esprits et les plus avisés peuvent tout de même trouver une utilisation à leurs faiblesses: ils deviennent critiques littéraires ou artistiques. Ainsi Sainte-Beuve, l'un des esprits les plus fins et les plus cultivés de son époque mais qui n'a pas la force vitale de son ami et rival V.

Hugo.

La criti­ que convient admirablement à cette forme d'esprit car, avec elle, pas ques­ tion de travailler à une création personnelle mais simplement sur celle d'autrui et, à la limite l'on peut tenter de démolir ce que l'on ne peut soi­ même créer. Tel est donc le terrible revers d'une culture non maîtrisée : on peut deve­ nir un excellent compilateur, un.... »

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