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ÉPREUVE 4 Bordeaux, Caen, Clermont-Ferrand, Limoges, Nantes, Orléans, Tours, Poitiers, Rennes Juin 1990 TEXTE « Vous voyez tout en noir......

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« ÉPREUVE 4 Bordeaux, Caen, Clermont-Ferrand, Limoges, Nantes, Orléans, Tours, Poitiers, Rennes Juin 1990 TEXTE « Vous voyez tout en noir...

la vie n'est pas si noire, ni les hommes si méchants.

» Entre tous les reproches que subit un écrivain, celui-là ne laisse pas de le surprendre, bien qu'on le lui adresse depuis des années.

Parfois, il connaît le lecteur s qui proteste ainsi : c'est un père dont le fils a été tué, un époux trompé ou abandonné ; un homme du monde qui, au milieu d'une fête, porte la mort sur son visage - ou les marques d'un vice plus effrayant que la mort ; un vieillard déjà aux trois quarts englouti. 10 15 « Vous voyez tout en noir...

» Ce reproche ne nous vient presque jamais des jeunes gens ; car, s'il existe chez eux une puissance pour se détacher et, parfois, une facilité à mourir, dont s'étonnent ceux qui les aiment, c'est qu'ils connaissent tout d'avance et qu'ils entrent dans la vie comme les gladiateurs dans le cirque. Les hommes d'âge, qui savent de quoi il retourne et qui, depuis longtemps, se collettent avec le destin, ce sont ceux­ là qui feignent de ne pas voir le sang dont ils sont couverts. Nous accepterions volontiers l'objection du sens commun : 20 la vie réelle est assez triste pour ne pas y ajouter encore les malheurs imaginaires des romans et des films.

Mais ceux qui raisonnent ainsi savent qu'une littérature existe à leur usage, et qui cherche à embellir la vie, à dispenser le rêve, l'oubli de ce qui est.

Chacun est libre de chercher dans l'art une fuite, 25 un divertissement, et d'exiger de l'écrivain une aide pour échapper à soi-même. 30 Mais la préférence que la plupart éprouvent pour une litté­ rature d'embellissement du réel, d'évasion hors du réel, ne doit pas les rendre injustes à l'égard des écrivains dont la vocation est, au contraire, la science de l'homme.

Rien de plus légitime, certes, que de se refuser à les suivre dans leur recherche.

En revanche, nous n'acceptons pas l'hypocrite : « La vie n'est pas si noire...

» de ces tristes humains dont, souvent, la seule approche, même quand nous ne connais- sons rien d'eux, nous révèle le nom de i'enfer qu'ils habitent. Ce n'est pas nous qui haïssons la vie.

Ceux-là seuls haïssent la vie qui, ne pouvant en souffrir l'aspect, la falsifient.

Les véritables amants de la vie l'aiment telle qu'elle est.

Ils lui ont arraché, un à un, tous ses masques, et à ce monstre enfin 40 mis à nu, ils donnent leur cœur. 35 Et de même les misanthropes, les ennemis de l'homme sont ceux qui ne consentent pas à le connaître dans sa misère aussi bien que dans sa grandeur.

Toute une littérature où triom­ phe le faux dans les sentiments, et qui se croit optimiste, est, 45 au vrai, l'œuvre de gens à qui la vue de l'homme réel est into­ lérable et qui, ne pouvant supporter leur propre cœur, le camouflent, le maquillent. Comment ne s'offenseraient-ils pas du portrait non retou­ ché qu'un artiste leur impose ? François Mauriac, Journal, Flammarion, pp.

4ï-49 Questions 1.

Résumé (8 points) Vous ferez de ce texte un résumé de 140 mots ; une marge de 10%, en plus ou en moins, est admise. Vous indiquerez à la fin de votre résumé le nombre exact de mots employés. 2.

Vocabulaire (2 points) Expliquez le sens dans le texte de - « se collettent avec le destin x, (ligne 17) ; - ,> (la vie) (ligne 37). 3.

Discussion (10 points) Que pensez-vous d' « une littérature...

qui cherche à embellir la vie, à dispenser le rêve, l'oubli de ce qui est » ? 1.

LE RÉSUMÉ (8 points) L'anaphore du début du texte : ,, Vous voyez tout en noir" s'applique bien à Mauriac lui-même, romancier pessimiste de la psychologie humaine.

'_e texte traite donc : - de la vision pessimiste ou optimiste du monde et de la condition humaine - de ce que Mauriac comprend par " pessimisme ,, et dont il nie que ce soit la représentation de la vérité humaine ; répartissant cette conception de l'homme selon les âges et les postulations, il qualifie de pessimistes ceux qui présentent l'homme sous des dehors roses, donc trompeurs. Parti de cette délimitation du sens de l'ensemble du texte et de ses nuances, le résumé peut être élaboré paragraphes par paragraphes, en réunissant la courte phrase paragraphique de la fin avec le sixième para­ graphe qui la précède. Résumé Un écrivain est toujours surpris d'être accusé de pessimisme, surtout par des gens particulièrement éprouvés du destin ou portant déjà des stig­ mates de mort. Car est différente l'attitude des jeunes, insouciants, curieusement même insensibles, dans leur confiance, à la mort. Mais les hommes expérimentés s'aveuglent volontairement, rejettent littérature et films noirs, au profit d'œuvres d'évasion, d'imagination, de fin heureuse, où ils peuvent noyer leur inquiétude. Or cette attirance pour l'imaginaire devrait se doubler d'intérêt pour la littérature lucide d'observation.

Car se leurrer sur son propre drame est folie. Cependant, ces hommes exècrent une vie qu'ils occultent, contre toute lucidité compréhensive, généreuse. Ainsi, pessimistes vrais, ils refusent de voir la vérité humaine: les romans roses, faussement optimistes, servent à mieux la leur cacher, à eux qui s'en effraient. (Résumé en 138 mots.) Se souvenir qu'il faut autant que possible éviter de reprendre les termes du texte dans son propre résumé.

Le travail d'équivalences qui permet de les remplacer doit être particulièrement exigeant car un glissement de sens peut transformer complètement le sens originel. 2.

LES QUESTIONS DE VOCABULAIRE (2 points) Mauriac, l'auteur de la page à résumer, est lui-même un romancier de grande valeur.

Sa prose est donc celle d'un styliste.

Aussi certaines de ses expres­ sions sont-elles des images.

Partant même de l'étymologie, dans le cas ci­ dessus, ce sera le contexte qui jouera le rôle essentiel pour décrypter le sens précis.

Ainsi en sera-t-il à propos de la première expression. 1.

« se collettent avec le destin ,, ► colleter : du latin collum :« cou», est de même famille que collet :« par­ tie d'un vêtement qui entoure le cou ».

Colleter signifie« saisir par le collet quelqu'un en cherchant à le terrasser».

Se colleter veut donc dire:« se prendre au collet en luttant».

L'expression est une image qui montre bien les efforts de l'homme pour venir à bout de son destin, c'est-à-dire des dif- fieu/tés rencontrées, des angoisses engendrées et même de l'inquiétude plus sourde, métaphysique, devant la condition générale de l'être humain. Il se bat, et veut dominer ces problèmes. 2.

« falsifient (la vie) » ► falsifier : du latin falsum, du verbe fallere : «tromper, décevoir».

Falsi­ fier signifie : «altérer avec le dessein de tromper» ou : «donner une fausse apparence». C'est ce dont Mauriac accuse tous ceux qui ne veulent pas regarder la vie en face.

Ils en ont peur donc ils la cachent sous des protestations trop satis­ faites et se maintiennent dans cette tromperie qu'ils se jouent à eux-mêmes en ne choisissant que ce qui va dans ce sens, par exemple la littérature «rose». 3.

LA DISCUSSION (10 points) Rappel du sujet : Que pensez-vous d'«une littérature...

qui cherche à embellir la vie, à dispenser le rêve, l'oubli de ce qui est» ? Ce libellé de devoir ne contient pas de problématique, c'est-à-dire qu'il ne pose qu'un des aspects du problème touchant la littérature.

L'autre aspect, c'est le texte de Mauriac qui y fait allusion, et les œuvres mêmes du roman­ cier, qui veulent peindre la vie objectivement et ne pas leurrer le lecteur. Introduction Voir clair sur soi et sur le monde, observer avec lucidité et regarder les problèmes en face, ou bien au contraire s'aveugler volontairement et dorer la pilule humaine jusqu'au moment où l'on ne peut plus faire autre­ ment que basculer dans le drame constituent les deux postulations essen­ tielles qui s'offrent à l'homme. La littérature, un des arts les plus élaborés, suit la même dualité, elle s'en fait le miroir, comme le cinéma et les autres arts de l'image, chers à notre époque. Mauriac, qui est un romancier sans complaisance, n'approuve pas « une littérature ...

qui cherche à embellir la vie, à dispenser le rêve, l'oubli de ce qui est.

» En quoi consiste cette littérature qu'il réprouve et est-elle si dis­ cutable ? Quelles sont les autres possibilités de la littérature ? Première partie : la littérature d'évasion Profonde et fondamentale aspiration humaine que le «divertissement». Il faut prendre ce terme dans son sens pascalien, avec son origine latine (di-vertere : «détourner»).

Le divertissement est ce qui permet à l'homme de se détourner de son inquiétude métaphysique. La littérature d'évasion est une excellente forme de divertissement.

Elle permet au lecteur de s'envoler dans le temps avec les romans historiques, comme ceux d'A.

Dumas père ; c'est un phénomène très connu en cette fin de xx• siècle où pullulent les romans historiques plus ou moins docu­ mentés, mais très souvent pimentés d'anecdotes amoureuses.

Citons Jeanne Bourin et La Chambre des Dames, ou C.

Hermary-Vieille avec La Marquise des Ombres ou Françoise Chandernagor et L 'Allée du Roi.

Paral­ lèlement les romans de science-fiction permettent au lecteur de s'évader dans le futur. La littérature permet aussi l'évasion dans l'espace avec les œuvres de découvertes, d'aventure, de J.

Verne à Stevenson en passant par tou­ tes les œuvres qui recherchent un ailleurs dans d'autres pays ou dans les difficultés surmontées pour parcourir et découvrir climats exotiques ou ter­ res glaciales.

Paul Morand ou Cendrars entraînent avec eux le lecteur sur les rails du Transsibérien ou à travers l'enfer vert de l'Amazonie... La littérature d'évasion plonge aussi dans l'imaginaire.

Que de contes ou rois, princes, princesses peignent une existence d'autres classes socia­ les, évidemment privilégiées.

Même si héros et héroïne rencontrent bien des aléas, leur environnement, leur milieu, leur existence sont d'abord bril­ lants, sans difficultés d'argent, tout constellés de pierreries et habits cha­ toyants. Quant à la littérature romanesque, elle peint un monde sentimental de rêve.

Très souvent les amours, malgré bien des entraves, se terminent bien.

Les contes de fées de Perrault ont presque toujours pour épilogue : « ils se marièrent et eurent beaucoup d'enfants».

Même lorsque l'amour sombre dans la mort, de Tristan et Iseult à Roméo et Juliette, la littéra­ ture a présenté des amours parfaites, telles qu'on en rêve bien plus sou­ vent qu'on ne peut en croiser au cours de l'existence. Ainsi cette littérature « embellit la vie» et « dispense l'oubli de ce qui est».

Grâce à elle, le lecteur effectivement oublie le temps de sa lecture, ses soucis personnels, ses insuffisances, ses déceptions, son petit « moi» moyen.

Le héros réalisant tous les idéaux et absolus possibles, le.... »

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