ÉPREUVE 8 Amérique du Sud Séries A, B, S, E Septembre 1990 TEXTE 5 10 15 20 25 30 35...
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ÉPREUVE 8
Amérique du Sud
Séries A, B, S, E
Septembre 1990
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Tête chère d'un petit enfant, et sa tignasse ébouriffée où sa maman
passe les doigts, que deviendra-t-il? Elle rêve qu'il deviendra une
sorte de Dieu.
Par-delà tous les systèmes et toutes les ratio
cinations OJ, cet amour et ce fol espoir devraient être l'inspiration
de tout humanisme.
Mais la petite tête n'est pas commode.
Elle est
confuse, mauvaise et bonne, forte et faible, molle et têtue.
Les
vertus en elle peuvent tourner en vices, et les vices devenir vertus.
Toutn'est qu'affaire de mesure et de discipline.
N'est-ce que la tête
de cet «arriviste» que célèbrent Spengler ou Nietzsche C3l, d'une
petite brute avide de puissance, de la bête de proie la plus rusée,
la plus parfaite qui soit au monde? Mais d'autres prétendent que
cette force qui est en elle est aussi bien amour et bienveillance...
Que ne peut-on dire d'elle, et que n'a-t-on dit? Que n'y a-t-il en
elle ? Quel mélange ! Il est derrière chacune des milliards de
morts, des milliards d'ancêtres, qui y ont inscrit toutes les ombres,
toutes les traces, tous les possibles, toutes les velléités, toutes les
défaites, toutes les chances.
C'est dans les yeux de n'importe quel
petit enfant qu'il faut apprendre à regarder les destins des hommes,
et, par leur lumière, se laisser émouvoir.
Cette lumière est une
promesse, mais de quoi ?
Il faudrait traiter toujours avec révérence ce petit enfant solitaire,
cette nouvelle promesse, la lui faire reconnaître à lui-même, le
conduire doucement jusqu'à lui-même, l'aider à devenir tout ce
qu'il peut être, éclaircir tous les rapports que, par nature, il
entretient avec le monde, et lui révéler cette force qui est en lui, en
lui seul, entre tous les êtres, et le rend capable quelquefois, à
certaines conditions, de les changer.
Les fées, il est vrai, dès le
berceau,fata c4J, ont une effrayante puissance, et il ne le constatera
que trop.
Mais je ne sais si toute culture ne consiste pas à donner
à ce petit bonhomme confiance en dépit de tout, et lui faire prendre
conscience qu'il est aussi en lui, simplement par ce qu'il est,
quelque chose capable d'administrer cet étrange et confus do
maine où les fées l'ont enfermé.
Cette puissance solitaire qui est
en lui, il faudrait toujours l'augmenter.
Il faut l'amener à être soi,
autant qu'il se peut.
Ne nous laissons pas égarer par les slogans à
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la mode.
On ne formera jamais une grande communauté humaine
qu'avec de grands individus.
Il faudrait qu'on ne vive ni ne meure
par imitation, que chacun invente sa vie, qu'il apprenne à dire
d'abord non à bien des choses en lui-même, mais aussi, et surtout
aujourd'hui, autour de lui, à un monde plein de fantasmagories, de
mensonges et d'artifices, dont la contagion subtile et insensible
tend à le détruire, à le déposséder et fait de lui une bête de troupeau
- cela afin, ensuite, de dire oui courageusement à ce qu'il aura
délibéré et choisi, dans la plénitude de son être.
Il faudrait que le
petit enfant, devenu un homme, vérifie qu'on ne pense, ce qui
s'appelle à proprement parler: penser, que seul, et que tout, dans
la réalité, est toujours à recommenser, toute la pensée, et toute son
histoire, pour chaque homme qui vient au monde.
Peut-être, alors,
aurait-il plus de courage quand il aurait compris que ce monde,
dont il est tenté de se plaindre, n'est, après tout, que la vue qu'il en
a, une figure de lui-même, et qu'il dépend de lui de !'autrement
regarder.
La culture n'est pas un fatras livresque dont il faille encombrer
l'âme.
Un esprit est, dès l'abord, tout un esprit, et la culture ne peut
avoir d'autre objet que de lui donner toute son activité.
Elle n'est
pas enfermée dans les livres.
Elle est d'une manière d'être, une
certaine fièvre.
Elle n'est rien, si elle ne crée le désir et ne nourrit
l'espérance.
Nos yeux sont, non pas derrière notre tête, mais sous
notre front, au-devant de notre visage, pour que nous regardions
vers l'avenir.
Jean Guéhenno, Sur le chemin des hommes, 1959.
(1) ratiocinations: raisonnements compliqués et abusifs.
(2) Spengler : écrivain allemand (1880-1936).
(3) Nietzsche: écrivain allemand (1844-1900).
(4) fata: mot latin, désignant le Destin personnifié, d'oü le mot «fée».
(5) il est : il y a.
1.
Résumé (8 points)
Résumez ce texte en 170 mots (marge de 10 % en plus ou en moins
autorisée).
Indiquez le nombre de mots utilisés.
2.
Vocabulaire (2 points)
Expliquez le sens, dans le texte, des expressions :
- « une bête de troupeau» (l.
42) ;
- « un fatras livresque» (l.
53).
3.
Discussion (10 points)
«Que chacun invente sa vie », écrit Jean Guéhenno.
Vous direz dans une discussion organisée le sens que vous donnez per- ·
sonnellement à cette formule et vous vous demanderez dans quelle me
sure elle peut être appliquée.
1.
RÉSUMÉ (8 points)
Chaque petit d'homme recèle dans son cerveau, comme tous les humains qui
l'ont précédé, des potentialités innombrables et merveilleuses mais aussi
fragiles et déroutantes.
Il faut donc les guider dans leur épanouissement, car
elles peuvent s'orienter vers le meilleur ou vers le pire, comme nous l'ont
rappelé tant de philosophes.
C'est donc avec infiniment de respect et de
précautions qu'il faudrait faire découvrir à chaque enfant la relativité mais
aussi l'étendue de ses pouvoirs.
Et s'il est vrai que chacun ne reçoit pas les
mêmes dons en partage, il faut l'encourager pourtant à assumer pleinement
son individualité, qui est la clef de son bonheur et de son équilibre futurs.
Il
faudrait donc surtout l'aider à acquérir une pensée autonome, dégagée des
influences de la masse, et qui l'éclaire sur sa propre capacité d'action sur les
autres et le monde.
C'est là précisément le rôle de la culture : aider l'homme
à penser le monde et à regarder l'avenir en face.
(Résumé en 170 mots.)
2.
VOCABULAIRE (2 points)
1.
«une bête de troupeau»
L'auteur employa cette métaphore pour montrer ce que deviendrait un
individu qui renoncerait à exercer son sens critique et à être lui-même sous
l'influence abêtissante des modes, des idées toutes faites, de la publicité,
etc., si puissantes dans notre civilisation moderne.
Il n'aurait plus qu'à suivre passivement les autres, tout aussi dépossédés
d'eux-mêmes (image bien connue des «moutons de Panurge» : cf.
Rabelais,
Gargantua) ; il serait incapable en particulier de choisir sa vie et de se forger
une culture personnelle.
2.
«un fatras livresque»
Un fatras (du latin farsura, «remplissage», étymologie incertaine cependant)
est au sens concret un amas désordonné et encombrant ; au sens abstrait,
un ensemble confus de paroles ou d'idées ; l'adjectif «livresque» (la suffixe
-esque ayant ici sa pleine valeur dépréciative) signifie «purement théorique»,
coupé de la vraie vie.
L'auteur joue à la fois sur le sens concret et sur le sens abstrait du premier
terme «fatras», voulant montrer que la culture ne consiste pas en une
accumulation de connaissances puisées uniquement dans les livres mais
qu'elle doit se vivre, qu'elle est «une manière d'être» face à l'avenir.
3.
DISCUSSION (10 points)
Rappel du sujet : «Que chacun invente sa vie», écrit Jean Guéhenno.
Vous direz dans une discussion organisée le sens que vous donnez person
nellement à cette formule et dans quelle mesure elle peut être appliquée.
PRÉLIMINAIRES
■ En replaçant la phrase dans son contexte, on voit que Jean Guéhenno veut
surtout nous faire réagir contre les influences aliénantes qui nous menacent
dans la civilisation moderne.
Ce qui n'empêche pas dans la discussion
d'explorer tous les sens possibles de la formule.
On vous demande une réponse personnelle, il ne ne faut pas vous
dérober ! Interrogez-vous honnêtement sur ce que ce conseil vous inspire.
Cette fois-ci, n'employez pas pour autant le «je» systématiquement ; il est
mille et une façons de formuler une pensée personnelle sans employer la
première personne.
Cela reste une des conventions du devoir de français
chaque fois que possible.
Efforcez-vous de retrouver des citations et des personnages pour illustrer
cette incitation à faire de sa vie une œuvre originale.
Il n'en manque pas, à la
différence d'autres sujets totalement coupés du domaine littéraire propre
ment dit.
■ Quant au sens du sujet lui-même, soyez sensible à deux aspects
1.
Que chacun invente sa vie,donc ne se la laisse pas imposer et ne se
contente pas de copier, de subir l'influence des modes, des conditionnements.
2.
Dans l'idée d'invention, il y a l'effort d'imagination et la recherche de
nouveauté.
Distinguer entre ce qui ne dépend pas de nous et tout ce que nous
pouvons mettre de personnel, de différent dans notre vie.
■
■
DÉVELOPPEMENT RÉDIGÉ
Introduction
Dans les nombreux ouvrages où il esquisse les contours d'un humanisme
adapté à notre temps, où il redonne force et sens à la notion de culture
libératrice, Jean Guéhenno prodigue des conseils de vie qui méritent qu'on
s'y attache.
« Que chacun invente sa vie» s'écrie-t-il notamment dans son ouvrage «Sur
le chemin des hommes».
C'est là une formule séduisante et qui porte en
germe toutes les chances d'épanouissement d'un individu libre, alors que tant
de forces sont à l'œuvre dans notre société pour uniformiser les comporte
ments et les âmes..
Mais ne peut-elle aussi induire en erreur et pousser à rechercher....
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