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ÉPREUVE 9 Amérique du Nord Juin 1991 TEXTE Chateaubriand évoque, dans cette page écrite en 1822, la tempête que subit...

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« ÉPREUVE 9 Amérique du Nord Juin 1991 TEXTE Chateaubriand évoque, dans cette page écrite en 1822, la tempête que subit le vaisseau qui le ramenait d'Amérique du Nord vers la France, en décembre 1791. En mettant la tête hors de l' entrepont,je fus frappé d'un spectacle sublime.

Le bâtiment avait essayé de virer de bord; mais n'ayant pu y parvenir, il s'était affalé Ol sous le vent.

À la lueur de la lune écornée, qui émergeait des nuages pour s'y replonger aussitôt, on 5 découvrait sur les deux bords du navire,àtravers une brume jaune, des côtes hérissées de rochers.

La mer boursouflait ses flots comme des monts dans le canal où nous nous trouvions engouf­ frés ; tantôt ils s'épanouissaient en écumes et en étincelles; tantôt ils n'offraient qu'une surface huileuse et vitreuse, marbrée de 10 taches noires, cuivrées, verdâtres, selon la couleur des bas-fonds sur lesquels ils mugissaient.

Pendant deux ou trois minutes, les vagissements de l'abîme et ceux du vent étaient confondus ; l'instant d'après, on distinguait le détaler c2J des courants, le sif­ flement des récifs, la voix de la lame lointaine.

De la concavité du 15 bâtiment sortaient des bruits qui faisaient battre le cœur aux plus intrépides matelots.

La proue du navire tranchait la masse épaisse des vagues avec un froissement affreux, et au gouvernail des torrents d'eau s'écoulaient en tourbillonnant, comme à l'échap­ pée d'une écluse.

Au milieu de ce fracas, rien n'était aussi 20 alarmant qu'un certain murmure sourd,pareilàceluid'un vase qui se remplit. Éclairés d'un falot C3l et contenus sous des plombs,des portulans c4J, des cartes, des journaux de route étaient déployés sur une cage à poulets.

Dans l'habitacle de la boussole, une rafale avait éteint la 25 lampe.

Chacun parlait diversement de la terre.

Nous étions entrés dans la Manche,sans nous en apercevoir,le vaisseau, bronchant 15l à chaque vague, courait en dérive entre l'île de Guernesey et celle d'Aurigny.

Le naufrage parut inévitable et les passagers serrè­ rent (6l ce qu'ils avaient de plus précieux afin de le sauver. François-René de Chateaubriand, Mémoires d'outre-tombe. (1) s'affaler: en parlant d'un navire, être porté vers la côte. (2) le détaler: du verbe détaler, ici employé comme un nom commun. (3) falot: grande lanterne. (4) portulan: carte marine ancienne. (5) broncher: trébucha devant un obstacle (se dit en général d'un cheval). (6) serrèrent: rassemblèrent. Vous ferez de ce texte un commentaire composé.

Vous pourrez notam­ ment étudier comment Chateaubriand donne de cette tempête une représentation dramatique et grandiose. DÉVELOPPEMENT RÉDIGÉ Introduction La plupart des récits autobiographiques fourmillent en péripéties que le narrateur revit avec émotion ou frayeur rétrospective.

Les Mémoires d'outre­ tombe n'échappent pas à la règle: à côté de confidences personnelles, de moments véritablement historiques, ils évoquent, en raison de la vie aven­ tureuse que mena l'auteur pendant longtemps, des moments intenses qu'il se plaît à rappeler.

C'est ainsi qu'il revit, plus de trente ans après, la terrible tempête qui assaillit en Manche le navire qui le ramenait d'Amérique du Nord en décembre 1991. Conduite avec un sens très sûr du récit palpitant, cette page nous tient en haleine par son caractère dramatique ; mais Chateaubriand, en admirateur impénitent des spectacles naturels, y atteint aussi une rare puissance descriptive.

Ce sont les deux aspects principaux du texte qui structureront notre commentaire. Première partie L'auteur a su nous faire vivre l'épisode avec intensité d'abord grâce à la focalisation interne, beaucoup plus efficace qu'un récit distancié, et à la riche trame narrative encadrée par les passés simples de la première et de.

la dernière phrase. Dès les premiers mots, c'est une situation gravement compromise que nous découvrons en même temps que le narrateur: le navire a manqué de virer. La personnification discrète dans la deuxième phrase est un moyen de nous faire partager plus sûrement les affres des passagers et de l'équipage : «/e bâtiment avait essayé, mais, n'ayant pu y parvenir, il s'était affalé sous le vent».

Ce sont au demeurant des actions accomplies et comme irrémédia­ bles : la catastrophe semble bien inévitable. Le navire dérive donc dangereusement sur une mer en furie et dans un « canal» bordé de récifs ; «nous nous y trouvions engouffrés», évoquant le sort collectif, marque à la fois la violence des éléments et l'incapacité à tenir sa route. Il n'est rien de pire non plus à l'approche de la côte que de ne pas savoir où l'on est.

Chateaubriand évoque cette situation angoissante en un bref tableau ponctué de quelques notations brèves et réalistes : c'est le désordre qui règne dans le centre névralgique du vaisseau, avec le détail incongru et pittoresque de «la cage à poulets», c'est l'obscurité preque dotée d'une valeur symboli­ que, qui est survenue dans «/'habitacle de la boussole», ce sont les opinions divergentes sur la position du navire : «chacun parlait diversement de la terre». Quand la situation se dessine plus précisément, c'est pour de nouvelles angoisses («courait en dérive entre deux îles»), et la crainte d'une issue terrible.

Le passé simple réapparaît alors dans la dernière phrase: commencé dans l'émotion, le texte se clôt sur un un terrifiant suspense. D'autre part, dans le tissu narratif sont évoqués successivement avec une grande force tous les dangers qui menacent ce navire sinon désemparé, du moins qui ne maîtrise plus sa route.

Selon l'adage fameux, le danger pour le marin, c'est la côte; ici, elle est des deux côtés, le navire y est enfermé comme «dans un canal».

Cette côte est d'ailleurs particulièrement inhospitalière, elle ne promet que la destruction ; le rythme ternaire et la légère allitération le soulignent à merveille : «/hérissées/ de rochers». Mais il y a plus grave : ce sont les bas-fonds qui apparaissent de manière menaçante dans leurs couleurs variées sous la surface «huileuse et vitreuse des vagues».

Le navire est donc bien exposé à tous les périls possibles, il semble n'avoir le choix qu'entre être drossé à la côte pour s'y fracasser, ou s'échouer. Et pourtant, il est un autre danger d'autant plus terrifiant qu'il n'est que suggéré par les bruits menaçants qui montent des membrures : «de la concavité du bâtiment sortaient des bruits qui faisaient battre le cœur au plus intrépide matelot...» La structure même de la phrase, l'inversion du sujet, l'hyperbole finale, tout exprime l'angoisse d'une fin proche.

Si l'on se tourne vers la proue, c'est avec ,un «froissement affreux» qu'elle «tranch[e] la masse épaisse des vagues».

A un mot précis évoquant la menace du déchirement se joint un adjectif impressif, avec une allitération en «fr» bien caractéristique du bruit et de l'effroi qu'il cause. Le mot «fracas» qui résume tous les bruits antérieurs n'est qu'un point d'orgue, puisque la phrase qui suit porte l'angoisse à un point culminant: «rien n'était aussi alarmant qu'un certain mumure sourd pareil à celui d'un vase qui se remplit», imposant l'horreur d'un engloutissement imminent et subit. Ainsi, tout au long du texte, l'auteur a su faire revivre les impressions très fortes qui étaient celles des passagers, impressions causées tout à la fois par la vue d'une côte accore et terriblement hostile, le déchaînement des éléments, l'impression d'avoir perdu toute capacité de manœuvre, et, surtout, tous ces bruits alarmants qui semblaient annoncer une fin prochaine, tout cela dans une langue très expressive, renforcée par les allitérations d'une prose rythmée,.... »

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