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ÉPREUVE 9 Orléans, terminale 1984 TEXTE L'Angoisse Nature, rien de toi ne m'émeut, ni les champs Nourriciers, ni l'écho vermeil...

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« ÉPREUVE 9 Orléans, terminale 1984 TEXTE L'Angoisse Nature, rien de toi ne m'émeut, ni les champs Nourriciers, ni l'écho vermeil des pastorales Siciliennes, ni les pompes amorales, Ni la solennité dolente des couchants. Je ris de l'Art, je ris de l'Homme aussi, des chants, Des vers, des temples grecs et des tours en spirales Qu'étirent dans le ciel vide les cathédrales, Et je vois du même œil les bons et les méchants. Je ne crois pas en Dieu, j'abjure et je renie Toute pensée, et quant à la vieille ironie, L'Amour, je voudrais bien qu'on ne m'en parlât plus. Lasse de vivre, ayant peur de mourir, pareille Au brick (Il perdu jouet du flux et du reflux, Mon âme pour d'affreux naufrages appareille. Paul Verlaine, Poèmes Saturniens, VIII, 1866 (1) Petit navire à deux mâts. Vous ferez de ce texte un commentaire composé.

Vous pourrez par exemple étudier les divers aspects de l'angoisse du poète, en appréciant le ton et les formes poétiques à travers lesquels elle s'exprime.

Mais ces indications ne sont pas contraignantes, et vous avez toute latitude pour organiser votre commentaire à votre gré.

Vous vous abstiendrez seulement de présenter un commentaire juxtalinéaire ou séparant arti­ ficiellement le fond de la forme. ■ Puisqu'il s'agit d'un livre de corrigés, on incite vivement l'étudiant à comparer ce texte avec celui de !'Épreuve 8.

Cela dit, et sachant que Ver­ laine l'écrivit jeune, sans avoir encore vraiment rencontré les plus doulou- ... COMMENTAIRE COMPOSÉ reuses épreuves de son existence, tandis que Colette rappelait à 68 ans dans son Journal à Rebours des souvenirs qui servaient surtout à magnifier la vie, il est évident que l'explication après cet intéressant rapprochement se consacrera, comme tout commentaire, au texte de Verlaine et à ce texte seul. ■ C'est un sonnet traitant de la lassitude de vivre. Devoir rédigé Dans son premier recueil, Poèmes Saturniens, Paul Verlaine, d'abord marqué par la poésie parnassienne, reste fidèle à une forme poétique plutôt stricte et exigeante, le sonnet par exemple, comme ici dans le poème L'Angoisse.

Mais il est aussi un inquiet, se prétendant saturnien avec « bonne part de malheur et bonne part de bile ».

Le sonnet L' Angoisse se rattache à cette tonalité, celle du désarroi moral et d'un refus de tout ce qui fonde l'existence habituelle d'un homme.

Le titre indique clairement cet état d'âme. Ainsi pourra-t-on étudier en premier lieu le désir de révolte qu'éprouve l'auteur contre la nature, contre la vie, contre tout ce à quoi croit l'homme, essayant de choquer, blasphémant contre toutes les valeurs reconnues. Puis on appréciera dans une seconde partie du commentaire comment l'angoisse qui étreint l'auteur traduit, à travers des oppositions et des paradoxes, le caractère d'un être qui se juge désespéré, en perdition. Le poème est en quelque sorte une liste de tout ce qui peut toucher l'homme et auquel dans son dégoût il s'oppose.

li le rejette comme étant la source d'inspiration habituelle des poètes.

Il s'en prend d'abord à la nature: « Nature, rien de toi ne m'émeut» ... Or voilà qui surprend, car sans la chanter comme les romantiques, elle lui est alors source d'inspiration : Soleils couchants ou Chansons d'automne en sont des exemples.

Il renie ainsi un thème lyrique reconnu, veut effacer et oublier la beauté des levers et couchers de soleil : « ...

ni les pompes aurorales, ni la solennité dolente des couchants »...

ne le séduiront plus, affirme-t-il.

Au passage, il les suggère d'ailleurs avec une densité originale de termes.

Les bruits et les couleurs qui peuplent la campagne le laissent indifférent:« ...

ni l'écho vermeil des pastorales siciliennes» ...

, les formes et les images ne sont plus que de lointains souvenirs, par exemple ces « champs/nourriciers » dont il renvoie le qualificatif en rejet sur le deuxième vers, comme pour le gommer.

On peut penser que ce quatrain s'élève contre une des sources favorites de la poésie romantique, choquant le lecteur à travers certains sous-entendus.

Cette « solennité dolente» appliquée aux « couchants » s'en prend à la fois à la grandiloquence avec laquelle ils sont souvent dépeints et à un certain laisser-aller de l'âme, une certaine complaisance face aux crépuscules. C'est d'ailleurs à /'Art qu'il s'attaque aussi nettement.

Il rit « des chants », « des vers »; il se moque de ce qui est traditionnellement considéré comme les plus belles réalisations architecturales de l'homme, les « temples grecs » ou les « tours »...

des « cathédrales » qu'il ridiculise en les faisant rimer avec « en spirales ».

C'est en fait l'humanité même à travers ses œuvres qui l'indiffère, comme il veut ignorer les distinctions morales habituelles, même les plus imoortantes, le Bien et le Mal, qu'il banalise 122 en même temps : ...

«je vois du même œil les bons et les méchants ».

Il discrédite ainsi l'homme en refusant les différences morales essentiel/es. Une sorte d'élan destructeur s'empare de lui, une volupté de scandaliser. C'est Dieu qu'il rejette maintenant:« Je ne crois pas en Dieu...

».

Les ver­ bes deviennent véhéments pour traduire une ignorance recherchée : «j'abjure»«je renie,, expriment son refus violent de toute croyance, celle en l'homme comme celle en une providence.

Un enjambement-rejet rejette « Toute pensée,/» sur le vers suivant et annonce une opinion qu'il expri­ mera souvent par la suite, sa méfiance de l'intellectualisme.

fi tente même d'oublier ce que la littérature - mais aussi la vie - pense être inou­ bliable : l'Amour.

Comme les valeurs précédentes il est présenté allégori­ quement.

Et le voici traité de «vieille ironie» dont if« voudrai[t] bien qu'on ne [lui] en parlât plus ». Ainsi le poète a tout refusé, même le sentiment le plus consolateur, le plus beau.

Il ne semble en éprouver aucun regret; bien plus il s'en vante et blasphème ainsi contre toutes les valeurs naturelles, artistiques, éthiques, métaphysiques. Or cet «Art» qu'il semble mépriser est utilisé au mieux pour rejeter soi-disant les thèmes lyriques.

Le travail du vers est recherché.

Ainsi « Nature» est mis en apostrophe, donnant un élan à la première strophe, tandis qu'enjambements et rejets - du premier quatrain entre autres sont savamment alliés à un jeu de césures.

Le choix des consonnes est lui aussi recherché, tel celui des nasales du premier quatrain où les quatre PRÉCISIONS LITTÉRAIRES • Paul Verlaine (1844-1896), fils d'officier, enfant tardif d'un vieux ménage.

Enfance très choyée.

Gâté par sa mère, mais aussi par sa cou­ sine Elisa de 8 ans son aînée et dont il tombe amoureux à 19 ans.

Mariée et mère de famille, elle repousse ses avances.

Il a 23 ans quand elle meurt.

Il en est accablé et sombre dans sa première crise d'alcoolisme. Après des études moyennes, il s'adonne à la poésie. Poèmes Saturniens à 22 ans; Fêtes galantes à 25 ans.

Fiançailles et mariage marqués par La Bonne Chanson (1870), recueil dédié à sa jeune femme. Après une période sobre, régulière et la naissance d'un fils, rencontre avec Rimbaud, liaison a1/ec lui, départ du foyer conjugal, demande de divorce de Mathilde, sa femme.

Dispute avec Rimbaud, coup de revol­ ver contre lui, emprisonnement à Mons (Belgique) pour deux ans.

Après Romances sans paroles (î874), c'est le retour, en prison, à la foi de son enfance.

Puis Sagesse, publié à la sortie de prison (1880).

Plusieurs tentatives, après divorce définitif, pour bien vivre.

Mais il sombre dans l'ivrognerie complète, la pédérastie, les bagarres et presque la misère après la mort de sa mère qui, malgré ses brutalités, ne l'avait jamais abandonné. Jadis et Naguère paraît quand il a 40 ans.

Cependant, on se met à recon­ naître sa remarquable valeur poétique, on commence à le soutenir ; il est même sacré « Prince des poètes» à la mort de Leconte de Lisle, trois ans avant sa propre mort, à 52 ans. COMMENTAIRE COMPOSÉ vers sont ponctués de m et n, ondes qui font planer à l'horizon deux tableaux, celui des aurores, celui des crépuscules, sur « les champs/nourriciers». Bref chaque strophe est un éclat de voix : les monosyllabes du second quatrain, comme « je ris » répété ; ou les termes en eux-mêmes négatifs du premier tercet: «j'abjure», « je renie » ou l'allitération du R dans le deuxième quatrain surtout, peut-être imitatif du grondement de la révolte. Enfin on n'a jamais travaillé avec tant d'art l'expression du rejet de /'Art et de toutes ses sources d'inspiration. Ainsi apparaît l'homme et son caractère à travers tous ces éclats.

On a souvent dit de Verlaine qu'il était un faible, et son comportement avec sa femme, avec Rimbaud, ses remords en prison,.... »

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