ÉPREUVE10 Toutes académies TEXTE 5 10 15 20 25 Septembre 1990 Puis on se remit en route sous les pommiers...
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ÉPREUVE10
Toutes académies
TEXTE
5
10
15
20
25
Septembre 1990
Puis on se remit en route sous les pommiers déjà lourds de fruits,
à travers l'herbe haute, au milieu des veaux qui regardaient de
leurs gros yeux, se levaient lentement et restaient debout ie mufle
tendu vers la noce.
Les hommes redevenaient graves en approchant du repas.
Les uns,
riches, étaient coiffés de haut chapeaux de soie luisants, qui
semblaient dépaysés en ce lieu ; les autres portaient d'anciens
couvre-chefs à poils longs, qu'on aurait dit en peau de taupe; les
plus humbles étaient couronnés de casquettes.
Toutes les femmes avaient des châles lâchés dans le dos, et dont
elles tenaient les bouts sur leurs bras avec cérémonie.
Ils étaient
rouges, bigarrés, flamboyants, ces châles ; et leur éclat semblait
étonner les poules noires sur le fumier, les canards au bord de la
mare, et les pigeons sur les toits de chaume.
Tout le vert de la campagne, le vert de l'herbe et des arbres,
semblait exaspéré au contact de cette pourpre ardente, et les deux
couleurs ainsi voisines devenaient aveuglantes sous le feu du
soleil de midi.
La grande ferme paraissait attendre là-bas, au bout de la voûte des
pommiers.
Une sorte de fumée sortait de la porte et des fenêtres
ouvertes, et une odeur épaisse de mangeaille s'exhalait du vaste
bâtiment, de toutes ses ouvertures, des murs eux-mêmes.
Comme un serpent, la suite des invités s'allongeait à travers la
cour.
Les premiers, atteignant la maison, brisaient la chaîne,
s'éparpillaient, tandis que là-bas il en entrait toujours par la
barrière ouverte.
Les fossés maintenant étaient garnis de gamins
et de pauvres, curieux ; et les coups de fusils ne cessaient pas,
éclatant de tous les côtés à la fois, mêlant à l'air une buée de poudre
et cette odeur qui grise comme de !'absinthe.
Guy de Maupassant, « Farce normande »,
Les Contes de la Bécasse (1883).
Vous ferez de ce texte un commentaire composé que vous organiserez à
votre gré.
Vous pourrez, par exemple, étudier comment, par le jeu des
sensations, des images et des rythmes, !'écrivain confère humour et
intensité poétique à cette évocation d'une noce à la campagne.
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PRÉLIMINAIRES
Tâche redoutable que celle d'élaborer un commentaire qui soit à la hauteur
du texte tout à fait célèbre et tout à fait exemplaire de l'art d'un de nos meilleurs
écrivains!.
..
S'agissant d'une scène de genre, le plan s'impose de lui-même: d'un côté,
tout ce qui ressortit à l'art de la description ; de l'autre, la peinture de mœurs
qui transparaît dans les diverses notations (ordre qui peut être inversé), en se
guidant sur les quelques indications de l'énoncé: «humour et intensité poé
tique, images et rythmes» , pour ne rien oublier d'important des dominantes
du style de Maupassant dans cette page.
On attend de vous une culture artistique minimale; impossible de ne pas citer
la technique picturale en général et l'impressionnisme en particulier lorsque
Maupassant fait œuvre de coloriste, dans l'intention évidente de rivaliser avec
ses amis peintres.
Pour nous aiguiller dans la bonne direction, laissons parler Maupassant lui
même:
«Voir: tout est là, et voir juste.
J'entends par voir juste voir avec ses propres
yeux et non avec ceux des maîtres {.
..].
Il faut trouver aux choses une
signification qui n'a pas encore été découverte et tâcher de l'exprimer d'une
façon personnelle.»
DÉVELOPPEMENT RÉDIGÉ
Introduction
La vie paysanne a fourni à maint écrivain l'occasion de déployer son talent
dans la description des mœurs.
Les rassemblements, les fêtes, les noces en
particulier sont des moments privilégiés où le romancier, sociologue avant la
lettre, doublé parfois d'un poète, verse dans ces archives de la vie quotidienne
une pièce inspirée.
Les trois «grands» romanciers du x1x• siècle s'y sont essayés avec un égal
bonheur.
Mais il faut aussi faire sa place au Maupassant des Contes et
Nouvelles qui, à la fin du siècle, est l'héritier, à sa manière, du réalisme
flaubertien.
Dans une évocation de la scène qui précède le festin de noces et la mauvaise
farce dont sera victime le marié, il sait à merveille composer un tableau de
genre, choisir sons, couleurs et odeurs pour nous y plonger et nous révéler
enfin, au travers de telle attitude, de telle notation, tout un pan de mœurs
paysannes d'une région qu'il a aimée mais observée aussi sans concession.
Première partie
Dans cette page, Maupassant révèle d'abord un art très sûr de la composition
et de la mise en scène.
Quelques mots au début lui suffisent pour suggérer
la belle saison, période habituelle des épousailles, et la beauté luxuriante de
la toile de fond: «sous les pommiers déjà lourds de fruits, à travers l'herbe
haute» .
Quant à la composition du texte, elle est simple et manifeste: chaque
paragraphe est consacré à un élément distinct, à une composante
judicieusement choisie, et la narration, ici le déplacement du cortège, y est
intimement mêlée : d'abord l'évocation du cortège au milieu de la campagne
(§ 1); puis les hommes et leurs chapeaux(§ 2), les femmes et leurs châles
(§ 3); le vert et le pourpre(§ 4); la ferme au loin(§ 5); enfin, les invités dans
la cour, la foule, les odeurs (§ 6).
On est frappé par l'équilibre et l'enchaînement naturel de ces tableaux
successifs.
Depuis la ferme mise en perspective «au bout de la voûte des
pommiers», jusqu'à la suite des invités qui s'allongeait «comme un serpent»,
les notations plastiques abondent.
On pourrait utiliser ici le vocabulaire du
découpage cinématographique et retrouver successivement dans le cours
d'un ample travelling, des plans rapprochés(sur les chapeaux et les châles),
un effet de zoom (sur les couleurs contrastées) et de champ/contre-champ
(vers la ferme lointaine), puis un panoramique descriptif dans le dernier
paragraphe.
Humains, animaux, paysage, bâtiments, tout a été évoqué en
quelques lignes, tout participe à sa manière à la fête paysanne.
Rien
d'étonnant à ce que Maupassant soit l'inventeur de l'expression «metteur en
scène» qu'il a revendiquée pour lui-même.
Mais il ne s'agit pas d'une description neutre, indifférente, et le narrateur a su
faire apparaître des dominantes : il s'agit d'abord d'un spectacle inhabituel,
et qui suscite la curiosité : le mot «curieux» est d'ailleurs mis en relief par le
biais de l'apposition, comme isolé au bout de la phrase à propos des gamins
et des pauvres ; l'éclat des châles semblait «étonner» poules, canards et
pigeons ; quant aux veaux, ils témoignent aussi leur surprise ; et il n'est pas
jusqu'au vert de la campagne qui ne semble «exaspéré» par la couleur des
châles.
À y regarder de plus près, ces diverses notations ne sont pas exemptes
d'humour.
Passe encore pour les badauds attirés par les bonnes odeurs,
mais nous ne pouvons pas ne pas voir un contrepoint amusé dans l'attitude
des veaux, notée de la façon la plus réaliste qui soit ( «le mufle tendu vers la
noce»), drôle de haie d'honneur! ...
On en oublierait presque que «leurs gros
yeux» leur sont naturels, que le «mufle tendu» est une attitude quasi-réflexe,
et l'on serait prêt à y voir, avec l'auteur, une sorte d'ébahissement comique.
Enfin, certains chapeaux eux-mêmes, par l'effet d'une personnification pleine
de drôlerie, «semblaient dépaysés en ces lieux».
La fête est donc bien
l'événement exceptionnel qui marque dans la monotonie des jours et la paix
des paysages une dissonance joyeuse ; l'auteur nous le fait sentir à travers
des notations aussi sûres que discrètes.
Deuxième partie
Mais c'est surtout à la peinture, à la technique picturale que ce passage nous
fait irrésistiblement penser.
On sait d'ailleurs l'intérêt passionné que
Maupassant, qui fréquentait chez Fournaise et frayait avec Corot ou Monet,
portait à la peinture de son temps et notamment à l'impressionnisme.
La couleur ou plutôt les couleurs des châles sortis pour la circonstance et
typiques du pays normand nous arrêtent au milieu du troisième paragraphe.
Les trois adjectifs successifs y composent une gradation savante dans l'éclat,
les variations, les frissons de la couleur et le mot« châle» rejeté par l'inversion
avec son démonstratif en bout de phrase soulignent leur côté exceptionnel,
non sans malice là aussi.
Mais il y a plus : tout un paragraphe est consacré
à cette rencontre audacieuse, ce choc inusité de deux couleurs, auxquelles
Maupassant confère une intensité qui dépasse de beaucoup le simple
réalisme.
De façon tout à fait saisissante, les formes sont oubliées au profit
des seules teintes, dont le contraste est porté à un point d'incandescence :
«tout le vert» d'un côté, «pourpre ardente» de l'autre, le tout devenant
«aveuglant» sous l'effet de la lumière.
Un écrivain peut aller beaucoup plus loin qu'un peintre dans l'évocation de la
scène en notant des sons et des odeurs, et Maupassant n'y a pas manqué.
Une notation sonore intéressante apparaît donc avec ces «coups de....
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