Est-il nécessaire de connaître la biographie d'un auteur pour comprendre et aimer son oeuvre? Analyse : • Ce sujet invite...
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Est-il nécessaire de connaître la biographie d'un auteur pour comprendre et
aimer son oeuvre?
Analyse :
• Ce sujet invite à distinguer la création et le créateur, éventuellement pour montrer le
lien qui unit la première au second.
L'auteur en effet est celui qui produit l'oeuvre, mais
celle-ci n'a-t-elle pas une autonomie vis-à-vis de son créateur ?
• Se pose alors une autre question : faut-il juger une oeuvre en fonction de son auteur ?
La vie de celui-ci apporte-t-elle une caution à l'oeuvre, ou au contraire peut-elle suffire à
réprouver l'oeuvre ? Bref, quelle est l'importance de la personne dans le jugement que
l'on porte sur sa création ?
• Il faudra distinguer les deux verbes, comprendre et aimer.
Il est peut-être nécessaire
de connaître la biographie de l'auteur dans un cas et non dans l'autre.
En effet, ces deux
actions sont autonomes : on peut comprendre une oeuvre sans l'aimer, et l'aimer sans la
comprendre.
I – Comprendre une oeuvre par la biographie
1.
L'insertion historique
• Une oeuvre est aussi le produit d'une époque, d'une culture donnée, de l'éducation de
son auteur.
L'oeuvre n'est pas étudiée uniquement par rapport à un certain type de
beauté éternelle, mais comme témoignage d'une époque et d'un homme.
• Ainsi, ce qui est évident aux contemporains d'un auteur peut perdre son sens à une
autre époque : allusions politiques ou historique, traits culturels etc.
L'explication
biographique permet de rendre compte de cette insertion historique et d'accéder à une
meilleure compréhension de l'oeuvre.
2.
Le processus de création artistique
• La méthode biographique postule que « tel arbre, tel fruit » (Sainte-Beuve).
Il s'agit
également d'expliquer la création par la vie de l'auteur, d'expliquer ses choix esthétiques
et thématiques par ce qu'il a vécu.
Ainsi, c'est la causalité de l'oeuvre qui est mise en
évidence.
• C'est la théorie de Sainte-Beuve, pour lequel la connaissance de la biographie de
l'auteur est indispensable à compréhension de son oeuvre ; plus encore, c'est par la
biographie qu'il veut étudier l'oeuvre.
Il faut notamment, selon lui, étudier en particulier
l'auteur au moment où son talent se constitue.
• Ce sont donc les influences d'un auteur qui sont recherchées (lectures, éducations,
rencontres etc.).
Il y a là une conception déterministe de la création artistique, où on
s'attache à mettre en évidence les influences de l'auteur et où l'oeuvre est conçue
comme le résultat d'un ensemble de causes.
3.
Caution de vérité
• Si la biographie intéresse également le lecteur, c'est que l'oeuvre parle de choses
vivantes, auxquelles nous pouvons être confrontés (amour, haine, bonheur etc.).
Nous
cherchons donc à nous demander comment l'auteur a résolu ce dont il parle, si son
oeuvre est une simple production théorique ou s'il a vécu, expérimenté son sujet.
Ainsi il
y aurait un gage de vérité qui nous permettrait d'apprécier davantage son oeuvre.
• C'est la particularité de l'oeuvre littéraire, par rapport à la musique ou à la peinture
pour lesquels la primauté technique réduit ces problèmes humains.
Transition : N'est-ce pas réducteur d'appliquer une méthode qui se veut scientifique
(recherche de causes) à un objet artistique ? N'est-ce pas nier la liberté créatrice ?
II – Le moi de l'auteur et le moi de la personne : deux entités différentes
1.
Le « moi » créateur n'est pas le « moi » biographique
• C'est ce que Proust objecte à Sainte-Beuve :
« Un livre est le produit d'un autre moi que celui que nous manifestons dans nos
habitudes, dans la société, dans nos vices.
Ce moi-là, si nous voulons essayer de le
comprendre, c'est au fond de nous-mêmes, en essayant de le recréer en nous, que nous
pouvons y parvenir.
Rien ne peut nous dispenser de cet effort de notre coeur.
» Proust,
Contre Sainte-Beuve.
• La création est indépendante d'un genre de vie, des incidents, de tout ce qui peut
figurer dans une biographie.
Il faut donc distinguer l'auteur de la personne.
Ce n'est pas
le moi social qui crée, même si l'inspiration provient de l'expérience.
2.
Créer ce que l'on ne vit pas
• Si la perspective biographique nous induit en erreur, c'est également parce qu'elle ne
tient pas compte du fait qu'un écrivain n'écrit pas comme il vit.
Au contraire, on peut
aller jusqu'à dire que souvent, il écrit comme il ne vit pas.
L'oeuvre est souvent une
compensation.
• C'est peut-être la psychanalyse qui pourrait rendre compte des obsessions et
motivations profondes d'un créateur.
III – Autonomie de l'oeuvre artistique
1.
Création du lecteur ou du spectateur
• La véritable explication littéraire est de finalité, non de causalité.
C'est donc le résultat
qui doit être pris en compte, c'est-à-dire l'oeuvre et non la biographie de son auteur.
Il
faut étudier l'oeuvre comme objet autonome, ayant une cohérence interne (structure,
réseaux thématiques etc.) et non comme le produit d'un individu.
• C'est donc le lecteur ou le spectateur qui, par son interprétation personnelle, donne son
sens à l'oeuvre.
L'opinion et les explications de l'auteur lui-même sur son oeuvre ne sont
jamais une vérité.
Une fois l'oeuvre produite, elle devient autonome et c'est par rapport
au lecteur qu'elle existe.
• Aimer une oeuvre, c'est assister à la rencontre entre une oeuvre et une sensibilité
personnelle, celle du lecteur.
Il n'y a pas une vérité, une manière définitive de
comprendre et d'apprécier une oeuvre artistique.
Si la connaissance historique ou
biographique peut permettre de comprendre les détails que l'éloignement temporel
rendent difficile à saisir, elle n'est pas nécessaire pour aimer une oeuvre, ni pour
comprendre sa cohérence interne.
2.
Étude biographique et jugement moral
• La connaissance biographique peut même être nuisible, puisque l'opinion que l'on a sur
la personnalité de l'auteur et sur ses actions peut se répercuter sur le jugement que nous
portons vis-à-vis de son oeuvre.
Entrent alors en jeu non plus uniquement des
considérations artistiques mais également des jugement moraux.
Ce n'est plus l'oeuvre
ou sa technique que nous évaluons, mais l'homme que nous jugeons, ses choix politiques
et moraux.
• C'est ce que Paulhan appelle la « terreur ».
« L'on juge moins l'oeuvre que l'écrivain,
moins l'écrivain que l'homme ».
On oublie que l'oeuvre littéraire est, comme les autres
oeuvres d'art, avant tout travail technique avant d'être un « témoignage
authentique ».
Conclusion :
Si la biographie peut nous permettre de comprendre des notions historiques ou
sociologiques d'une oeuvre, elle risque au contraire de nous éloigner d'une conception de
l'oeuvre comme tout, comme objet à considérer pour lui-même.
C'est alors l'érudition, la
connaissance de l'histoire littéraire ou la satisfaction de notre curiosité qui y gagnent,
mais non l'appréciation esthétique.
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