États-Unis 1991-1992 La parade et l'émeute La parenthèse s'est ouverte en fanfare, tambours et trom...
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États-Unis 1991-1992
La parade et l'émeute
La parenthèse s'est ouverte en fanfare, tambours et trompettes, confettis et allégresse.
C'était le 10 juin
1991, à New York, quand la ville offrait aux soldats américains de la guerre du Golfe la plus grande
parade de son histoire.
Quatre millions de personnes ont ce jour-là acclamé les "héros" de la puissance
américaine retrouvée.
Elle s'est refermée, cette longue parenthèse de presque une année, dans la fureur
des premiers jours de mai 1992, lorsque les ghettos pauvres de South Central à Los Angeles se sont
embrasés à l'annonce d'un verdict déclarant non coupables quatre policiers blancs de la ville qui avaient
passé à tabac un automobiliste noir, Rodney King, dont l'arrestation musclée avait été filmée par un
cinéaste amateur.
Entre ces deux moments de paroxysme, la parade et l'émeute, s'est dessinée une Amérique à profil bas,
qui s'est refermée sur elle-même, s'est interrogée sur les limites de sa puissance, et qui s'est petit à petit
faite à l'idée de la nécessité d'assister les ennemis d'hier pour sauver la paix et de menacer de guerre
commerciale les amis d'aujourd'hui pour sauver les fermiers du Middle West et les ouvriers de Detroit.
Les
États-Unis, à peine consacrée leur victoire dans le Golfe, s'imaginaient déjà sur le déclin.
Des économistes
comme Lester Thurow du Massachusetts Institute of Technology (MIT) ont écrit des "best-sellers" pour
prophétiser un siècle dominé par l'Europe, avec l'Amérique et le Japon plongeant dans l'ombre du Vieux
Continent.
Quant à la fierté patriotique, elle a bien vite cédé la place à une sorte de "gueule de bois
existentielle", et les certitudes sur le nouvel ordre mondial aux doutes sur le nouveau désordre de la
nation.
Une société profondément divisée
Après le consensus face à Saddam Hussein, les clivages et les divisions internes ont repris leurs droits: le
débat sur l'avortement, l'écologie - exacerbé par l'isolement américain au "sommet de la Terre" à Rio, en
juin 1992 -, les tensions raciales, la criminalité, la censure de l'art, l'indigence du système éducatif et de
la protection sociale, et jusqu'à la défiance qui a semblé dominer les relations entre les sexes.
Cela fut
illustré par au moins trois affaires très médiatisées.
La nomination en juillet 1991 d'un juge noir
conservateur, Clarence Thomas, à la Cour suprême, en remplacement de Thurgood Marshall, un juge noir
et libéral, a donné lieu à des auditions au Sénat dominées par l'accusation de harcèlement sexuel portée
contre lui par une de ses anciennes collaboratrices, le professeur Anita Hill.
Deux procès pour viol,
ensuite, ont fasciné le pays, celui d'un jeune héritier du clan Kennedy, qui fut acquitté, et celui du boxeur
Mike Tyson, qui fut condamné.
Ces affaires et controverses ont fracturé plus que de coutume l'unité de l'Union.
Comme si le ciment du
pays s'effritait petit à petit, tandis que se désagrégeait l'harmonie sociale, que s'envenimait la guerre des
sexes et qu'explosait la guerre des races.
"Can we all get along?", s'interrogeait, pathétique, Rodney King,
le 1er mai 1992 tandis que les émeutes enflammaient Los Angeles.
"Pouvons-nous nous entendre?" La
question est restée sans réponse.
Les dirigeants politiques, en panne d'imagination et de charisme, ont été comme tétanisés par la gravité
des défis.
Résultat et paradoxe: l'année - électorale - a été politiquement atone.
La société s'est raidie
dans ses antagonismes, mais ses leaders se sont amollis, au point d'engourdir avec eux l'électorat tout
entier.
La politique traditionnelle n'a pas répondu.
Elle n'est sortie de sa léthargie que lorsqu'un Ross
Perot, milliardaire texan, est venu perturber le "ronron" du débat républicain-démocrate qui a opposé le
président George Bush et le gouverneur de l'Arkansas Bill Clinton.
L'Amérique, et c'est nouveau, ne se
reconnaît plus dans ses dirigeants traditionnels.
Elle rêve d'hommes nouveaux, providentiels, exogènes au
système.
L'année 1991 a sans doute mal commencé avec cette guerre qui s'est mal finie.
L'extraordinaire
démonstration de forces, la solidarité diplomatique inédite, l'ébauche d'un rôle nouveau pour les Nations
unies n'ont conduit qu'à une campagne inachevée.
Saddam Hussein, le leader irakien, diabolisé pendant
toute la durée du conflit, est resté au pouvoir celui-ci terminé, et la parade new-yorkaise du 10 juin 1991
file:///F/dissertations_pdf/0/451044.txt[15/09/2020 14:08:41]
a plutôt exprimé un soulagement que l'euphorie d'une victoire.
Elle a davantage célébré la fin d'une
guerre qui a fait, du côté des Américains, peu de victimes (115 morts sur 400 000 hommes) que la gloire
de ces soldats survivants d'un conflit technologique qui semble avoir été mené sans eux.
Tandis que
dégringolaient les confettis des fenêtres des gratte-ciel, on savait bien que l'histoire avait tourné court.
Que Saddam Hussein était toujours au pouvoir; que le Koweït, en feu, n'avait pas trouvé la démocratie, et
que les réfugiés kurdes avaient été abandonnés à leur triste sort sur l'autel d'une realpolitik qui semblait
particulièrement cruelle.
Le New York Times a estimé, en juin 1991, à 5 millions le nombre de réfugiés
déplacés par la guerre.
La tragédie kurde illustre de façon pathétique ce qui apparaît comme une trahison
de l'Occident.
Repli sur soi
Mais l'Occident s'est replié sur lui-même, pressé soudain par d'autres urgences, économiques et
domestiques.
Les États-Unis ont même limité leurs ambitions dans l'espace, et donc renoncé à quelquesuns de leurs rêves les plus exaltants; la Maison Blanche a annoncé, le 25 juillet 1991, qu'aucune nouvelle
navette spatiale ne serait construite.
On fait croire que la diplomatie reprend ses droits.
En réalité, elle reprend ses habitudes, mais il lui
manque la volonté d'aboutir.
Le 6 mars 1991, devant les deux chambres du Congrès, George Bush a
déclaré que "le moment est venu de mettre fin au conflit israélo-arabe".
De fait, James Baker, le
secrétaire d'État, a multiplié les tournées au Proche-Orient.
Le 18 octobre 1991, lors de sa huitième
tournée dans la région depuis mars, il a annoncé à Jérusalem, conjointement avec Boris Pankine, le
ministre soviétique des Affaires étrangères, que la Conférence de paix sur le Proche-Orient serait
convoquée pour le 30 octobre à Madrid.
Elle fut ouverte par George Bush et Mikhaïl Gorbatchev, affirmant
vouloir jouer les "catalyseurs", mais ils se gardèrent bien d'"imposer un règlement" au Proche-Orient.
De
toute façon, G.
Bush en aurait-il eu l'envie, et M.
Gorbatchev le pouvoir? Le premier a dû répondre aux
critiques de ceux qui l'accusaient de préférer les affaires étrangères aux affaires intérieures et le second,
depuis le coup d'État manqué du mois d'août 1991, vivait au Kremlin les derniers mois de sa carrière de
despote éclairé et d'apprenti sorcier.
George Bush, qui avait signé avec Mikhaïl Gorbatchev en juillet le traité START, qui prévoit une réduction
de 25% à 30% des arsenaux nucléaires stratégiques des deux pays, a vite compris que les États-Unis
devaient apprendre à se passer d'ennemi et, donc, paradoxalement, de stabilité.
Il a reçu, dès le mois de
juin, Boris Eltsine, fraîchement élu président de Russie au suffrage universel.
La stratégie des États-Unis,
si longtemps focalisée sur l'affrontement avec l'Est, a dû opérer une révision déchirante.
En novembre
1991, les chefs d'État et de gouvernement des seize pays membres de l'Alliance atlantique, réunis à
Rome, ont tenté de définir un "nouveau concept stratégique" et ont décidé de développer leurs relations
avec les pays de l'Est.
Un souci dicté tout autant par la bonne volonté que par la peur du chaos atomique, puisqu'ils ont lancé,
en même temps, un appel à l'URSS et aux républiques pour que la maîtrise de leurs armements nucléaire
et chimique soit assurée.
Quand éclatera l'URSS, le 8 décembre, lorsque à Minsk les présidents de Russie,
d'Ukraine et de Biélorussie constateront que "l'Union soviétique n'existe plus", James Baker se rendra vite
à Moscou, puis dans les trois autres républiques détenant des armes nucléaires (Kazakhstan, Biélorussie,
Ukraine).
Le 16 décembre, après avoir rencontré B.
Eltsine et le maréchal Chapochnikov, ministre
soviétique de la Défense, le secrétaire d'État américain s'est dit "rassuré" sur le maintien d'un
commandement unique des forces nucléaires au sein de la CEI (Communauté d'États indépendants)
naissante.
C'est un monde stable, détestable mais prévisible, qui s'écroula quand M.
Gorbatchev, le jour de Noël,
annonça sa démission.
Les Américains se surprirent....
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