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Extrait de l'acte Il, scène 4 MARIE. - Sais-tu le rêve que j'ai eu cette nuit, mon enfant? LORENZO. -Quel...

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« Extrait de l'acte Il, scène 4 MARIE.

- Sais-tu le rêve que j'ai eu cette nuit, mon enfant? LORENZO.

-Quel rêve? MARIE.

-Ce n'était point un rêve, car je ne dormais 5 pas.

J'étais seule dans cette grande salle ; ma lampe était loin de moi, sur cette table auprès de la fenêtre.

Je son­ , geais aux jours où j'étais heureuse, aux jours de ton enfance, mon Lorenzino.

Je regardais cette nuit obscure, etje me disais: il ne rentrera qu'aujour, lui qui passait 110 autrefois les nuits à travailler.

Mes yeux se remplissaient �s;·etje secouais la tête en les sentant couler.

J'ai entendu tout d'un coup marcher lentement dans la gale­ rie;je me suis retournée; un homme vêtu de noir venait , à moi, un livre sous le bras - c'était toi, Renzo: ' 15 « Comme tu reviens de bonne heure ! » me suis-je écriée.

Mais le spectre s'est assis auprès de la lampe sans me répondre ; il a ouvert son livre, etj'ai reconnu mon Lorenzino d'autrefois. LORENZO.

-Vous l'avez vu? 20 MARIE.

-Commeje te vois. LORENZO.

-Quand s'en est-il allé? MARIE.

-Quand tu as tiré la cloche ce matin en ren­ trant. LORENZO.

-Mon spectre, à moi ! Et il s'en est allé 25 quandje suis rentré? , MARIE.

- Il s'est levé d'un air mélancolique, et s'est effacé comme une vapeur du matin. LORENZO.

- Catherine, Catherine, lis-moi l'histoire de Brutus. 30 CATHERINE.

- Qu'avez-vous? vous tremblez de la tête aux pieds. LORENZO.

- Ma mère, asseyez-vous ce soir à la place où vous étiez cette nuit, et si mon spectre revient, diteslui qu'il verra bientôt quelque chose qui l'étonnera. LECTURE MÉTHODIQUE INTRODUCTION Dans cette scène apparaissent, outre Lorenzo, deux personnages féminins que le spectateur connaît déjà, depuis l'acte 1, scène 6 : Marie Soderini, mère de Lorenzo, et Catherine Ginori, sœur de Marie et tante du jeune homme. On les y a déjà entendues déplorer la déchéance de Lorenzo, et évoquer l'enfant généreux et épris d'héroïsme qu'il était- autrefois.

Il paraît donc très naturel de voir ici la mère de Lorenzo hantée par l'image de son « Lorenzino d'autrefois », comme par celle d'un disparu.

Précisément, ce Lorenzo va connaître dans cette scène une résurrection, à travers l'hallucination de Marie. Musset a travaillé la vraisemblance psychologique pour faciliter l'insertion du surnaturel dans le quotidien : ce sera notre premier axe d'étude.

La puissance poétique qui baigne la scène mérite ensuite d'être analysée.

Il restera alors à étudier la portée symbolique du rêve de Marie; en Lorenzo, auditeur du récit de sa mère, surgit un rêve d'action et de grandeur : d'où l'importance dramatique de ce passage dans le processus de maturation qui mènera jus~ qu'au meurtre. 26 J \, 1.

LA VRAISEMBLANCE PSYCHOLOGIQUE 1 Un climat favorable à l'hallucination : Musset a tout fait pour que la vision de Marie paraisse émaner naturellement de la songerie solitaire d'une mère sur le passé de son fils.

« Je songeais au jour où j'étais heu­ reuse» : cette nostalgie est également naturelle chez une femme que tout dans son fils a meurtrie.

Le surgissement des larmes (1.

10-11) signale la commotion affective et annonce le trouble de l'hallucination. Musset a multiplié les éléments extérieurs favorables au phénomène de vision : la solitude de Marie, la pénombre qui baigne la pièce, l'espace vaste et comme déserté (« J'étais seule dans cette grande salle»).

Pareille à la lampe placée loin de Marie (1.

5-6), on imagine volontiers que sa conscience ne l'éclaire plus que faiblement, et ne fait plus barrage aux images du passé. Le surnaturel dans le quotidien Le surnaturel paraît s'ins�rer avec aisance dans le quoti­ dien.

Sans frayeur, Marie aècueille l'apparition, avec les simples mots par lesquels une mère interroge son fils qui rentre : « Comme tu reviens de bonne heure ! » (1.

15). Cette nuance d'étonnement s'explique par le fait que Marie garde à l'esprit, jusque dans sa vision, les nuits agitées que Lorenzo passe d'ordinaire au dehors.

Comme s'il accom­ plissait des gestes quotidiens, le spectre s'installe sous la lampe et se plonge dans sa lecture : tout naturellement, l'image du fils réfléchi et paisible que Marie croyait disparu a repris sa place (1.

17-18). Ainsi le surnaturel s'inscrit-il avec une tranquille évidence dans !'.esprit de Marie.

Musset a écarté tout pittoresque macabre dont un mauvais romantisme aurait pu décorer cette scène d'apparition.

Sur le plan formel, on remarque la. continuité dans le passage de la réalité à la vision : des expressions comme « J'ai entendu tout d'un coup mar- _ cher» (1.

11-12), ou « le spectre s'est assis» (1.

16) excluent la source objective de la perception. 2.

PUISSANCE POÉTIQUE DE L'ÉVOCATION La poésie de la solitude et de la douleur En quelques brèves phrases, Musset a suggéré l'espace plein d'ombre qui entoure la mère de Lorenzo et accroît sa solitude : il nous invite à imaginer la « grande salle » austère d'une demeure du xv1• siècle, prolongée par une « galerie » où l'écho des pas (« j'ai entendu marcher lentement ») agrandit encore l'espace.

On aperçoit le visage de Marie à travers un clair-obscur, comme dans maints tableaux de la Renaissance. Et devant les larmes qui emplissent ses yeux, comment ne pas songer à celles d'une autre Marie, la Vierge, si souvent peinte par les artistes florentins ? Musset a suggéré une variation sur le thème de la Madone, de la Mater Dolorosa qui pense avoir définitivement perdu son fils, comme Marie Soderini croit disparu son Lorenzino d'autrefois. 1 La poésie du silence Le silence, déjà présent dans l'évocation de la demeure, acquiert une dimension mystérieuse avec le silence du spectre qui ne répond pas à Marie (1.

17).

Contrastant avec lui, le son de la cloche (1.

22) en rompt l'enchantement surnaturel au matin. Ce silence du spectre est riche de suggestions qui en font la poésie : s'opposant ati bavardage habituel de Lorenzo, il symbolise la paix domestique et la soumission.... »

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