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Extrait de l'acte IV, scène 3 LORENZO, seul. - De quel tigre a rêvé ma mère enceinte de moi ?...

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« Extrait de l'acte IV, scène 3 LORENZO, seul.

- De quel tigre a rêvé ma mère enceinte de moi ? Quand je pense que j'ai aimé les fleurs, les prairies et les sonnets de Pétrarque, le spectre de ma jeunesse se lève devant moi en frissonnant.

ô 5 Dieu ! pourquoi ce seul mot : « À ce soir», fait pénétrer jusque dans mes os cette joie brûlante comme un fer rouge ? De quelles entrailles fauves, de quels velus embrassements suis-je donc sorti? Que m'avait fait cet homme ? Quand je pose ma main là, sur mon cœur, et 10 que je réfléchis, - qui donc m'entendra dire demain: « Je l'ai tué», sans me répondre: « Pourquoi l'as-tu tué? » Cela est étrange.

Il a fait du mal aux autres, mais il m'a fait du bien, du moins à sa manière.

Si j'étais resté tranquille au fond de mes solitudes de Cafaggiuolo, il ne 15 serait pas venu m'y chercher, et moi je suis venu le chercher à Florence.

Pourquoi cela ? Le spectre de mon père me conduisait-il, comme Oreste, vers un nouvel Égisthe ? M'avait-il offensé alors? Cela est étrange, et cependant pour cette action j'ai tout quitté.

4 seule pensée de ce 20 meurtre a fait tomber en poussière les rêves de ma vie ; je n'ai plus été qu'une ruine, dès que ce meurtre, comme un corbeau sinistre, s'est posé sur ma route et m'a appelé à lui.

Que veut dire cela? Tout à l'heure, en pas­ sant sur la place, j'ai entendu deux hommes parler d'une 25 comète.

Sont-ce bien les battements d'un cœur humain , que je sens là, sous les os de ma poitrine? Ah ! pourquoi cette idée me vient-elle si souvent depuis quelques temps ? - Suis-je le bras de Dieu? Y a-t-il une nuée au-dessus de ma tête? Quand j'entrerai dans cette 30 chambre, et que je voudrai tirer mon épée du fourreau, , j'ai peur de tirer l'épée flamboyante de l'archange, et de ! tomber en cendres sur ma proie. 1 LECTURE METHODIQUE INTRODUCTION Lorenzo est seul dans une rue de Florence ; tout est en place pour le meurtre d'Alexandre, qui doit avoir lieu le soir même.

Lorenzo a donc le temps de méditer avant le geste suprême : plutôt, maintes pensées, apparemment sans ordre, se succèdent dans son esprit. Il nous faudra d'abord dégager quelques axes dans cette série d'interrogations que formule le personnage monologuant. - Puis, passant sur le plan de la construction psychologique, nous verrons que la complexité du héros s'approfondit, atteignant dans ce passage une dimension métaphysique. Enfin, sur le plan esthétique, le pouvoir poétique et l'étrange modernité de ce monologue méritent d'être analysés. 1.

UNE SÉRIE D'INTERROGATIONS Il ne faut pas chercher dans ce monologue un ordre rationnel des réflexions, qui mènerait Lorenzo de l'incertitude à la prise de décision, comme il arrive dans le théâtre classique du xv11• siècle.

Ici, nous avons un flux de questions, qui paraissent traverser la conscience du héros; sur les vingt et une phrases que compte le monologue, treize sont interrogatives.

On peut néanmoins distinguer différents axes de la réflexion. Une interrogation sur l'hérédité et l'origine (1.

1 à 8) Elle est prédominante dans les quatre premières phrases (jusqu'à« suis-je donc sorti?»).

Il faut bien voir que laquestion initiale(« De quel tigre a rêvé ma mère enceinte de moi? ») s'explique par la réaction effarée de Lorenzo face 58 1 à la « joie brûlante » (1.

6) que déclenche en lui la seule approche du soir fatal : il a le sentiment qu'un instinct pro:fond de cruauté est alors réveillé en lui. On peut donc reconstituer le cheminement de sa pen:sée : Lorenzo suppose que cette effrayante férocité lui a été transmise par les rêves de sa mère, avant sa naissance. iD'où l'étrange formulation initiale (« De quel tigre ...

»); image inattendue(« tigre» s'applique mal métaphoriquement au faible et pâle Lorenzo), par laquelle Musset nous :plonge tout de suite dans le climat psychologique du monologue : l'imagination du héros est menée par l'irrationalité. 111 cherche ici à s'expliquer sa propre cruauté par un facteur de prédestination, très improbable pour le spectateur qui connaît la tendre Marie (cf.

acte If, scène 4), mère de Lorenzo. . Cet effroi face à ce qu'il est aujourd'hui conduit Lorenzo ,à concevoir malaisément la permanence de son Moi à tra·vers les différentes époques de sa vie.

C'est dans ce sens ;qu'il faut comprendre la deuxième phrase de notre extrait: « Quand je pense que j'ai aimé les fleurs, les prairies et les sonnets de Pétrarque, le spectre de ma jeunesse se lève devant moi en frissonnant».

Lorenzo, toujours hanté, nous le savons (cf.

explication ci-dessus, p.

43), par l'image de :son double, imagine ici en quelque sorte sa jeunesse personnifiée dans le spectre.

Et si le spectre « frissonne », c'est d'horreur à la vue du Lorenzo d'aujourd'hui, qui a soif de meurtre.

Cette époque de la jeunesse est peinte à travers l'amour de réalités naturelles (les fleurs, les prairies) qui symbolisent la pureté.

La mention des ·sonnets de l'italien Pétrarque, poète du XIV" siècle, renvoie au monde de l'amour idéalisé où baigne cet univers poétique, et donc au tendre idéalisme du jeune Lorenzo. Cette incertitude sur le Moi est prolongée par l'interrogation sur l'origine et le poids de l'hérédité : « De quelles entrailles fauves, de quels velus embrassements suis-je donc sorti ? ».

Nous avons ici la représentation fantasmée de la mère(« entrailles») et du père(« embrassements»), qui s'associe à l'image d'une sexualité animale.

Le refus par Lorenzo de son propre être, de sa cruauté instinctive, le conduit à projeter sur le couple parental l'animalité qu'il ,s'effraie de découvrir en lui.

Musset est proche, ainsi, des 1 1 1 59 futures intuitions de la psychanalyse, qui a souligné le lien entre crise d'identité et fantasmes sur l'origine. Une interrogation sur le mobile et le sens du meurtre (1.

8 à 16) Lorenzo se heurte à une énigme psychologique résidant en lui : il ne va pas assouvir une vengeance personnelle en tuant Alexandre, puisque le duc lui « a fait du bien, du moins à sa manière ».

D'autre part, il est significatif que tout vrai mobile politique soit absent de ce monologue. Seule demeure cette pulsion étrange qui, semblant relever de l'instinct, prive l'acte de tout sens.

Au cœur du monologue retentit la question angoissée portant sur la signification de l'acte et de tout le destin de Lorenzo: « Pourquoi cela?» (1.

16). Il est intéressant, sur ce point, de voir comment Lorenzo perçoit l'étrangeté de sa conjonction avec Alexandre. Lorsque Lorenzo vivait en paix dans un village de Toscane (Cafaggiuolo, I.

14), le duc ne marquait à l'égard de son cousin ni intérêt ni hostilité : « et moi, je suis venu le chercher à Florence », précise Lorenzo.

Il faut supposer, chez le héros, un obscur mélange de fascination et de répulsion pour cet Alexandre si dissemblable de lui : l'amitié servile, masque de la haine, que lui témoignera Lorenzo est la manifestation de ce sentiment ambivalent. Une interrogation sur les signes du destin (1.

16 à 32) Lorenzo rapporte l'origine de sa vocation criminelle à des forces irrationnelles, qui auraient parsemé de signes son destin.

La route (1.

22) est ici une métaphore; elle représente la destinée.

Quant au « corbeau sinistre » (1.

22), il est l'image de l'obsession du meurtre; cette dernière comparaison est audacieuse : en effet, le corbeau représente à la fois le présage (oiseau noir de mauvais augure) et le meurtre lui-même (« ce meurtre, comme un corbeau »), doué par là d'une inquiétante autonomie, échappant à la volonté..... »

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