FREUD ou L'inévidence du désir par Jean Dugué Un sens inconscient Sigmund Freud est né en 1856 en Moravie, dans...
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FREUD
ou
L'inévidence du désir
par Jean Dugué
Un sens inconscient
Sigmund Freud est né en 1856 en Moravie, dans I'actuelle République tchèque.
Sa famille s'installe à Vienne en
1860, dans une époque de crise économique et d'antisémitisme.
Freud s'oriente vers des études médicales.
Renonçant à mener une carrière de chercheur en neurologie, pour
des raisons matérielles, il commence en 1886 sa pratique
privée et s'intéresse de plus en plus aux aspects psychiques
de l'hystérie.
En 1897, il formule sa théorie sur le rôle du
complexe d'Œdipe dans l'explication des névroses.
Dès
lors, il développe la théorie et le mouvement psychanalytiques, tout en traitant des patients.
En 1938, l'Autriche est
rattachée à l'Allemagne hitlérienne.
Freud part pour Londres, où il meurt en 1939.
Freud ne peut être défini comme un philosophe.
Pourtant
son œuvre concerne la philosophie.
Il y est question d'un
sens inconscient, d'un sens de nos actes et de nos représentations que nous ne constituons pas nous-mêmes, que nous
ne découvrons pas spontanément.
Ce sens ne nous est pas
complètement étranger : nous ne l'ignorons pas simplement, nous le méconnaissons, c'est-à-dire que nous le connaissons inconsciemment sans parvenir à le reconnaître
consciemment.
Freud tentè de comprendre un tel paradoxe.
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Freud
Son entreprise pèse nécessairement d'un certain poids dans
la façon d'envisager l'idée philosophique de l'homme
comme sujet de ses actes et de son jugement, elle ne peut
manquer de produire des effets dans la position des problèmes philosophiques, bien qu'elle n'ait pas pour objectif de
les résoudre ou de les supprimer par elle-même.
Elle mérite
en ce sens que le philosophe s'interroge sur ce qui constitue
en elle son effort de rationalité.
Que signifie pour la psychanalyse la revendication
du titre de science ?
Freud n'innove pas en parlant de l'inconscient.
Son
apport est d'avoir rendu indissociables les concepts d'inconscient, de résistance, de refoulement et de sexualité
infantile, de les avoir fortement articulés dans une théorie
de la vie psychique.
Il s'est ainsi donné le moyen de dépasser le contenu simplement descriptif de la notion d'inconscient et de proposer une explication de phénomènes tels
que les rêves et les symptômes névrotiques.
La description
suggérait un oubli par le sujet d'une représentation ou
d'une pensée donnant sens à son comportement actuel.
L'explication s'appuie sur l'hypothèse tout autre selon
laquelle cette représentation ou cette pensée ont été refoulées par une force psychique elle-même inconsciente.
C'est
là supposer que notre vie psychique est marquée par un
conflit entre des contenus refoulés cherèhant à parvenir à
la conscience et une force contraire les maintenant à l'état
inconscient.
La valeur de tels concepts réside pour Freud en ceci :
d'une part, ils sont des instruments pour comprendre une
réalité qui se dérobe à l'observation directe, ils assurent un
progrès du savoir; d'autre part, ils s'appliquent à la cure,
c'est-à-dire à une pratique thérapeutique.
Freud n'hésite
pas, à ce propos, à parler de preuve : l'existence supposée
du refoulement serait prouvée par les résistances du patient
pendant la cure, par tout ce qui, de sa part, vient gêner
l'identification d'un contenu inconscient.
Le modèle est ici
Freud
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celui des sciences expérimentales.
Convient-il sans restriction à la psychanalyse ?
Si Freud s'efforce de construire un savoir, c'est pour fonder un travail d'interprétation.
Or l'acte d'interpréter ne
peut être la mise en œuvre ou l'application pure et simple
d'une théorie.
Interpréter, c'est dégager le sens lorsqu'il se
donne d'une façon équivoque, en tenant compte des différences individuelles.
Un symptôme, un rêve sont à la fois
effets et symboles; ce qu'ils signifient, la théorie ne peut
le dire immédiatement ; elle a pour fonction de fixer les
critères et les règles d'un travail qui établira leur sens singulier, sans pouvoir bénéficier d'une technique expérimentale rigoureuse.
La difficile tâche de Freud est ainsi
d'associer l'explication et l'interprétation.
,
En quel sens les phénomènes psychiques
ont-ils des causes ?
Le concept qui, chez Freud, sert de fondement à la
recherche des causes est celui de pulsion.
Les pulsions sont
autre chose que des instincts ; les pulsions sexuelles n'ont
pas d'objet ni de but purement naturels.
Pour chaque individu, elles subissent un destin qui dépendra de son histoire
infantile.
Cette histoire, dont l'essentiel se joue au niveau
inconscient, Freud la revendique comme l'objet propre de
la psychanalyse : ni la biologie ni la psychologie ne la rendent compréhensible.
Dans cette histoire, la vie pulsionnelle se déroule sous le
signe du désir, plutôf que du besoin.
Or le propre du désir,
selon Freud, est de renvoyer aux fantasmes, au moins
autant qu'à la réalité.
En effet, l'enfant connaît d'abord un
état prolongé de dépendance, qu'il vit parfois comme un
état de détresse.
Ses pulsions ne sont pas unifiées ni réglées
par une finalité naturelle.
Il est donc conduit d'une part à
s'attacher amoureusement à des êtres proches et à éprouver
la nécessité de renoncer sexuellement à eux, d'autre part à
réprimer certaines de ses pulsions dont la satisfaction contredirait les exigences de la vie sociale.
Les désirs qui représentent cet attachement et ces pulsions se trouvent
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Freud
massivement refoulés.
Mais, autour d'eux, s'organisent des
fantasmes inconscients, qui sont autant de mises en scène
de leur réalisation, et auxquels les pulsions sexuelles se
lient étroitement.
Dès lors, par leur intermédiaire, les désirs
conscients sont, en tout sujet, mis en relation avec les désirs
inconscients qui agissent comme causes au cœur de la personnalité.
·
Cette mise en relation obéit pour Freud à des lois, tout
à fait étrangères, il est vrai, à la· logique de nos pensées
conscientes.
Pour étudier ces lois, Freud parle de processus
primaires.
Il entend par-là les processus qui opèrent entre
l'inconscient et le conscient et qui échappent eux-mêmes
totalement à la conscience.
Ces processus sont à l'origine
des rêves et des symptômes névrotiques, qu'ils font dériver
de fantasmes inconscients.
Ce sont eux qui frayent la voie
vers la conscience aux désirs refoulés tout en les rendant
méconnaissables, en les déguisant.
Il importe ici de comprendre que l'inconscient n'est pas
pour Freud une chose, qu'il n'est pas non plus un mystère
insondable de l'être ni le domaine du bestial en lui, mais
qu'il se caractérise par des processus déterminés, par un
fonctionnement psychique autre que celui de la conscience,
et par des effets particuliers.
Les pensées inconscientes ne
sont pas en soi plus mystérieuses que les pensées conscientes.
C'est moins sur leur contenu que sur les conditions
dans lesquelles elles peuvent déterminer notre vie psychique que Freud met l'accent.
Pourquoi les phénomènes psychiques ont-ils un sens.?
Cette conception des processus inconscients permet d'assurer à la théorie son rôle de fondement du travail d'interprétation.
Freud veut établir que des régularités existent,
qu'un certain ordre relie ce qui ne se révèle à la conscience
que sous l'apparence du désordre et de l'incohérence: pensées du rêve, actes manqués, méprises diverses, etc.
Ceci
revient à appliquer à la vie psychique le principe du déterminisme, selon lequel il existe toujours une condition déterminante de la production des phénomènes.
En conséquence,
Freud
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ce sont des forces psychiques antagonistes qui déterminent
l'apparition de ce qui, pour la conscience, semble dénué de
sens, lorsque, dans le rêve ciu le symptôme, le refoulé fait
retour sous une forme méconnaissable.
Une représentation
ou un acte qui paraissent un effet du hasard ou de la négligence ont un sens dans la mesure où ils traduisent la réalité
des pulsions.
Toutefois, la·relation entre sens et cause demeure ici relativement équivoque.
Quand il parle des causes d'un phénomène psychique, Freud ne désigne pas un correspondant
exact des causes d'une maladie organique, par exemple ; il
ne projette pas dans la vie psychique une relation causale
d'ordre physique ou biologique.
Il indique plutôt ce en quoi
la conscience n'est pour rien dans la constitution du sens
de ce phénomène.
Or les concepts qui ont pour rôle de faire
comprendre la nature propre du déterminisme psychique
gardent un caractère très métaphorique, celui de pulsion
notamment, que Freud ne parvient jamais à rattacher à des
déterminations biologiques précises.
Certes, la plupart des
disciplines en leurs débuts ont recours à des métaphores.
Mais cette difficulté a pour la psychanalyse un sens particulier : le discours sur l'inconscient ne peut viser celui-ci
qu'indirectement, sans pouvoir bénéficier pour l'instant
d'une formalisation adéquate.
Sommes-nous condamnés à l'illusion ?
Une chose est claire : pour Freud, chacun de nous apparaît comme régi par des processus dont il n'est pas l'agent
conscient.
La psychanalyse est une théorie de la méconnaissance, et par-là de l'illusion.
Méconnaissance, cela signifie
à la fois empêchement de la reconnaissance et fausse reconnaissance : d'une part nous ne saisissons pas spontanément
la logique cachée de certains de nos actes ou représentations, d'autre part nous leur donnons un sens et des motifs
inexacts, d'une manière qui est elle-même déterminée à
notre insu.
La méconnaissance se traduit sur ce point par
une compréhension illusoire de soi-même.
Une relation
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Freud
complexe s'établit entre la vérité et l'illusion, celle-ci masquant une vérité qui cependant lui donne son sens.
Ainsi comprise, l'illusion n'est pas une mauvaise foi passagère ou une simple erreur de point de vue, elle intervient
nécessairement dans la façon dont nous nous représentons
nos motivations, à tel point qu'il faut parler avec prudence
de « prise de conscience », même dans la cure.
Cette
expression suggère en effet que l'inconscient est devenu
conscient; or il n'y a de prise de conscience qu'incomplète
et difficile.
L'évidence n'est jamais de règle là où il s'agit
du désir inconscient.
Est-ce à dire que Freud nous propose
une doctrine désespérante de la dépossession de soi, assimilant conscience et illusion ?
Il est vrai que, pour Freud, la plus grande partie des contenus psychiques existe à l'état inconscient et que, si les
phénomènes psychiques ont un sens, c'est d'abord au
niveau inconscient.
En cela, l'écart est considérable entre
sa théorie et la phénoménologie de Husserl.
Freud estime
que la science doit s'attacher au fait de devenir conscient,
plutôt qu'à la conscience en elle-même.
Puisqu'il existe des
pensées inconscientes, le fait de devenir conscient n'est pas
l'apparition d'une pensée ou d'une représentation ; il est
accessible à l'investigation en tant que passage d'une pensée de l'inconscient au conscient.
La thèse d'un sujet par
qui le sens advient est écartée.
Le sens n'est pas originairement lié à une visée consciente.
L'idée d'un moi souverain, maître en sa propre demeure,
est également contredite.
Le moi, tel que le décrit Freud,
doit tenir compte de la réalité en même temps que des exigences pulsionnelles ; il subit en outre la pression des interdits intériorisés.
Chacun de nous est donc foncièrement
divisé, ouvert à autre chose que ce qu'il s'imagine être.
Pourtant, l'assimilation pure et simple de la conscience
et de l'illusion ruinerait la visée théorique et pratique de
Freud.
C'est que la différence reste fondamentale entre la
méconnaissance et la conscience de la méconnaissance.
Freud n'a jamais souscrit aux thèses d'une psychologie faisant abstraction de la conscience ; il ne cesse, à travers
toute son œuvre, d'insister sur le rôle du jugement et sur
l'importance de l'éducation en tant qu'elle doit favoriser
Freud
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(et non conditionner) celui-ci: Lorsqu'il évoque l'issue de
la cure, c'est toujours en faisant appel au jugement, parce
qu'il est ce qui nous est le plus propre, parce qu'il permet
d'agir en connaissance de cause.
Pour ce qui concerne chacun de nous, dans tous les cas où le jugement est possible,
la vérité est préférable à l'illusion.
Or tout progrès vers la
vérité est un progrès vers la prise en considération consciente du réel ; s'il faut parfois le payer d'une désillusion,
celle-ci doit être distinguée de la désespérance, parce
qu'elle rend possible des transformations intérieures.
« Nous n'avons pas d'autre moyen de maîtriser nos pulsions que notre intelligence», écrit Freud dans L 'Avenir
d'une illusion.
S'il ne donne pas là une leçon de morale,
du moins n' encourage-t-il aucune irresponsabilité.
L'inconscience ne saurait servir d'alibi dans un laisser-aller
moral, ni faire oublier l'exigence d'être aussi au clair que
possible avec soi-même pour tout ce qui est accessible à la
conscience.
La liberté est-elle un .vain mot ?
Que représente une telle exigence, si tous les phénomènes psychiques sont déterminés ? Tant qu'on réfère la
liberté à l'idée d'un pouvoir de choix totalement immotivé,
la contradiction paraît insurmontable....
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