Green refuse le livre fonctionnel, utilitaire et il le précise bien dans sa « définition » : « une fenêtre...
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Green refuse le livre fonctionnel, utilitaire et il le précise bien dans sa « définition » : «
une fenêtre par laquelle on s'évade ».
Le lecteur ne doit donc pas retrouver la grise et
morne réalité quotidienne, mais au contraire il doit oublier les soucis et les méfaits d'un
monde de plus en plus agressif ; la technique enlevant progressivement toute
personnalité à l'« homme moderne », le transformant en robot, il lui est nécessaire de
s'évader de cet univers.
En quelque sorte, la lecture est encore une des rares issues vers le calme et la joie, qui
perce le mur que notre société a édifié avec son but unique : le profit.
On pourrait
presque dire « mur de la honte », parce que basé sur des intérêts, il nous sépare de
toute qualité, en nous plongeant dans les vices et la corruption.
Green est résolument pessimiste dans sa « vision des choses » en attribuant au livre un
rôle d'« oublieur », et je pense qu'il peut avoir d'autres buts.
Il faut d'abord saisir clairement le sens d'« évasion », qui est double.
En effet, l'évasion
peut se trouver également dans la réflexion, la recherche, et elle n'évoque pas forcément
cette absence d'« intellectualisation », de raison.
Cette distinction est importante puisqu'on s'aperçoit de la complexité de la lecture et de
la définition de l'auteur.
La lecture doit donc être clairement définie pour pouvoir juger
des opinions de Green.
Je distingue en premier lieu la lecture « évasion » au sens propre, qui fait appel
uniquement aux sentiments du lecteur en laissant de côté sa raison et son intelligence.
Ce genre est peut-être nécessaire à beaucoup de personnes, mais je le trouve assez
limité dans ses possibilités.
On peut faire un rapprochement entre cette littérature du
sentiment et le mélodrame ; en effet, ce genre dont les Romantiques usèrent et
abusèrent parfois, offre de nombreuses similitudes avec ce type de lecture : il propose
une intrigue lourde, invraisemblable, avec de grands et bruyants dénouements, qui
provoquent l'émotion du spectateur sans en solliciter l'esprit (à l'opposé des classiques
qui considéraient uniquement le théâtre comme lieu de réflexion, d'analyse des passions
ou des caractères).
Comparons maintenant l'origine sociale des lecteurs et des spectateurs : on constate que
ce sont des ouvriers, des gens du peuple qui venaient voir ces mélodrames, parce qu'ils
leur faisaient oublier leurs misères dans l'émotion.
Les lecteurs de cette littérature
d'évasion sont des hommes dégoûtés de leur vie dans la société, et qui oublient de la
même façon leurs soucis, pour les retrouver après.
Je ne pense pas que Green ait voulu
parler uniquement de cette littérature, car elle bannit tout effort personnel, et, ainsi que
le mélodrame, elle est condamnée, comme un « feu de paille », à une disparition aussi
rapide que son succès.
L'auteur pourrait être comparé à Rousseau (avec certaines réserves).
Jean-Jacques
rejetait tous les livres, sauf un seul, Robinson Crusoé, qu'il conseille même pour
l'éducation dans l'Émile.
Ces deux écrivains se rapprochent par leur haine de la société et
de ses vices ; chez Rousseau elle est plus « maladive » car il rejette même le théâtre,
mais surtout les salons et leur libertinage, réaction des « philosophes » du XVIIe siècle
contre l'austérité janséniste du siècle précédent.
Green est moins catégorique, mais il
n'en partage pas moins le « fond » de l'idée de Rousseau.
Je me garderai d'embrasser entièrement ce point de vue, étant (je le pense) moins
pessimiste que ces deux auteurs.
En effet, le deuxième type de littérature, après ce
genre médiocre, offre de nombreuses possibilités d'épanouissement, et même d'évasion,
sans bannir totalement la société et l'effort intellectuel.
Définissons-le brièvement, afin d'en montrer tous les intérêts.
C'est le livre qui permet
une distraction, tout en alliant la recherche personnelle et l'enrichissement.
Ainsi les
essais de Valéry ou de Bergson sont de bons moyens d'évasion grâce à la réflexion et
l'effort intellectuel ; et plus généralement, tous les livres de sciences humaines nous
permettent cette distraction et une meilleure connaissance de nous-même.
Green sousentend certainement, avec l'évasion « sentimentale», l'évasion par ce genre de livres,
par l'« intelligence ».
Il est intéressant de comparer la fonction actuelle du livre à celle que lui assigne l'auteur
; examinons donc le rôle du livre dans notre société et les tendances de son évolution.
On remarquera la disqualification de la lecture au profit des mass média : c'est une des
tendances les plus caractéristiques de notre époque.
Le développement du cinéma et
surtout de la télévision et de la radio, s'il ne gêne que relativement peu les journaux,
cause un grand dommage aux livres.
Nous sommes bien placés pour le savoir, car la
France est, dit-on, le pays où on lit le moins !
Tout cela résulte d'un fait : progression des bandes dessinées, bannissant l'effort de la
lecture, énorme succès de la pornographie et de l'érotisme dans la littérature : l'homme
actuel oublie de plus en plus son esprit, au profit de sentiments ou d'instincts, que des
éditeurs ou des producteurs peu scrupuleux exploitent systématiquement.
Leur réussite
en dit long sur l'importance de ce mal parmi toutes les couches de la société !
Certes ne soyons pas puritains ! La raison froide, le cartésianisme pur ne seront jamais
d'agréables distractions ; les Romantiques et leurs précurseurs l'ont bien senti, et c'est
pourquoi ils préconisaient la sensibilité, «le coeur avant l'esprit», disait Rousseau.
Green
peut encore une fois....
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