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Gustave FLAUBERT L 'Éducation sentimentale, 3e partie, chop. l . Deux jeunes gens, Frédéric Moreau et son ami Hussonnet, un...

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« Gustave FLAUBERT L 'Éducation sentimentale, 3e partie, chop.

l . Deux jeunes gens, Frédéric Moreau et son ami Hussonnet, un journaliste à l'humour désabusé, assistent au sac des Tuileries le 24 février 1848, après la fuite de Louis-Philippe.

La foule vient de jeter le trône royal par une fenêtre. lors, une joie frénétique éclata, comme si, à la place A du trône, un avenir de bonheur illimité avait paru; et le peuple, moins par vengeance que pour affirmer sa pos­ 5 10 15 20 25 session, brisa, lacéra les glaces et les rideaux, les lustres, les flambeaux, les tables, les chaises, les tabourets, tous les meubles, jusqu'à des albums de dessins, jusqu'à des cor­ beilles de tapisserie.

Puisqu'on était victorieux, ne fallait-il pas s'amuser? La canaille s'affubla ironiquement de den­ telles et de cachemires.

Des crépines d'or s'enroulèrent aux manches des blouses, des chapeaux à plumes d'autruche ornaient la tête des forgerons, des rubans de la Légion d'honneur firent des ceintures aux prostituées.

Chacun satisfaisait son caprice; les uns dansaient, d'autres buvaient.

Dans la chambre de la reine, une femme lustrait ses bandeaux avec de la pommade; derrière un paravent deux amateurs jouaient aux cartes; Hussonnet montra à Frédéric un individu qui fumait son brûle-gueule accoudé sur un balcon; et le délire redoublait son tintamarre continu des porcelaines brisées et des morceaux de cristal qui sonnaient, en rebondissant, comme des lames d'har­ monica. Puis la fureur s'assombrit.

Une curiosité obscène fit fouiller tous les cabinets, tous les recoins, ouvrir tous les tiroirs.

Des galériens enfoncèrent leurs bras dans la couche des princesses, et se roulaient dessus par consolation de ne pouvoir les violer.

D'autres, à figures plus sinistres, erraient silencieusement, cherchant à voler quelque chose; JO 35 mais la multitude était trop nombreuse.

Par les baies des portes, on n'apercevait dans l'enfilade des appartements que la sombre masse du peuple entre les dorures, sous U:n nuage de poussière.

Toutes les poitrines haletaient; la cha­ leur de plus en plus devenait suffocante ; les deux amis, craignant d'être étouffés, sortirent.

· Dans l'antichambre, debout sur un tas de vêtements, se tenait une fille publique, en statue de la Liberté, - immo­ bile, les yeux grands ouverts, effrayante. Vous ferez de ce texte un commentaire composé, en vous demandant par exemple comme11t sous une apparente objectivité !'écrivain parvient à suggérer ses réactions personnelles face au saccage du palais. Devoir rédigé Comme le soulignent le titre et le INTRODUCTION sous-titre de l'œuvre : L'Education sentimentale, Histoire d'un jeune homme, le roman de Flaubert comporte deux intrigues ; l'une senti­ mentale, car le personnage principal, Frédéric Moreau, hésite entre une grande passion romantique et d'autres formes d'amour, avec une jeune pro­ vinciale, une demi-mondaine et une dame de la haute société; l'autre poli­ tique, car le romancier entendait faire l'histoire morale des hommes de sa génération en évoquant l'évolution politique de la France depuis 1840 jusqu'au début du second Empire. C'est sur le second aspect que l'accent est mis dans cette page : Frédéric, après avoir erré à travers Paris où se déroulent les événements révolution­ naires .de février 1848, est parvenu au palais des Tuileries, abandonné par ses occupants.

Il a rencontré à l'entrée un de ses amis, Hussonnet, un journa­ liste bohème toujours enclin à plai­ santer.

Et tout à coup le peuple fait son apparition, inoffensif jusqu'au moment où, après avoir jeté par une a) Introduction proprement dite de l'œuvre dont provient l'extrait. b) Situation du texte lui-même. fenêtre le trône de Louis-Philippe dans le jardin, il se met à multiplier les déprédations.

Le lecteur assiste donc au sac des Tuileries par la foule (nous sommes le 24 février 1848) à travers les regards de deux personnages _aux motivations contradictoires, même si le narrateur est omniscient.

Le texte cl Annonce des semble se présenter comme une des­ grondes parties du cription pittoresque correspondant à développement. la réalité des faits (F1aubert, témoin oculaire de certains événements de l'époque, avait égalèment accumulé une documentation considérable pour élaborer son roman).

Mais le sujet même traité ici, une émeute populaire, implique un certain nombre de partis pris qu'il convient, en évitant de tom- · ber dans le piège de la pseudo-impassi­ bilité flaubertienne, de mettre en lumière tant dans le domaine idéolo­ gique que littéraire. À première vue, en effet, le texte se DÉVELOPPEMENT présente comme une description l '" partie : utl� objective et, par la force des choses, description en pittoresque.

En témoigne d'abord apparence l'ordre du récit.

Les trois paragraphes pittoresque.objective et correspondent aux scènes successives auxquelles assistent les deux amis al L'ordre du récit : tandis qu'ils déambulent dans le • Les scènes dédale des pièces («la chambre de la successives. reine», «les cabinets» [petites pièces situées à l'écart et dépendant d'autres plus grandes], les chambres à coucher «des princesses», «l'antichambre») ou qu'ils jettent un coup d'œil sur «l'enfilade des appartements». Ils correspondent aussi à l'évolu­ tion des sentiments collectifs.

Jus.:. qu'ici bon enfant, le peuple se met à multiplier les destructions, «moins par vengeance que pour affirmer sa possession», et il s'abandonne à une joie carnavalesque justifiée par une • Une peinture chronologique de l'évolution des sentiments collectifs. phrase au style indirect libre qui exprime son état d'esprit : «Puis­ qu'on était victorieux, ne fallait-il pas s'amuser?» Tous s'adonnent à leurs distractions favorites : « Chacun satisfaisait son caprice; les uns dan­ saient, d'autres buvaient [...] deux amateurs jouaient aux cartes; Husson­ net montra à Frédéric un individu qui fumait son brûle-gueule.» Mais sur­ tout on se déguise : ouvriers vêtus de leurs traditionnelles «blouses» et «prostituées» s'affublent d'accessoires précieux, «dentelles», «cachemires» ..- les difficultés du (tissus d'Extrême-Orient en poil de texte : le vocabulaire et chèvre), «crépines d'or» (qui sont des les allusions. franges...

d'ameublement), ou haute­ ment symboliques, comme ces « cha­ peaux à plumes d'autruche» abandon­ nés sans doute par de hauts dignitaires de la Cour, ou ces «rubans de la Légion d'honneur».

Toutefois cette joie · confine au délire hystérique, notamment lorsque des individus à mine patibulaire font leur apparition «des galériens», «d'autres, à figures plus sinistres», tandis que le peuple dans son ensemble ne constitue plus qu'une «sombre masse», l'épithète pouvant être prise dans ses différents sens compte tenu du contexte : «fon­ cée, morne, inquiétante».

Les senti­ ments qui animent désormais les acteurs de ce psychodrame sont la «curiosité malsaine», l'envie de «vio­ ler» les «princesses» ou de «voler quelque chose». La vision finale associe en un rac­ • Une vision finale à la courci saisissant les images et les sen­ Delacroix. timents évoqués : «debout sur un tas de vêtements, se tenait une fille publique, en statue de la Liberté [...

], effrayante». Le regard du narrateur pénètre et b) Une narration englobe les personnages, qu'il s'agisse colorée: du peuple ou des deux amis, comme le suggèrent la phrase au style indirect libre ou le geste du journaliste : « Hussonnet montra à Frédéric un individu qui fumait son brûle-gueule accoudé sur un balcon.

» Mais la pré­ • Par le regard des sence des deux témoins «colore» iné­ deux témoins différents, vitablement la description.

Ils sont là, non en acteurs, mais en observateurs curieux, ce qui implique une distance, d'autant que Hussonnet ne partage pas la fascination, au demeurant non dépourvue de crainte, de son compa­ gnon.

« Sortons de là», dira-t-il un peu plus loin, «ce peuple me dégoûte», ce à quoi Frédéric répli­ quera : «N'importe! moi je trouve le peuple sublime.» II n'est pas indif­ férent par ailleurs que l'un soit jour­ • qui rend la logique naliste et que l'autre ait de vagues du récit. aspirations artistiques, car ils prêtent attention à la fois aux gestes significa­ tifs et aux effets plastiques.

La logique du récit intègre les éléments du spectacle dans le champ de vision des deux personnages et les enchaîne par la psychologie en une série tem­ porelle.

Ainsi se trouve ordonné un chaos d'actions entremêlées, et la sor­ tie des «deux amis», motivée par «la chaleur de plus en plus [...] suffo­ cante» au point que «toutes les poi­ trines haletaient», justifie la troi­ sième séquence, à la fois expressive et symbolique. Comme nous n'avons pas affaire ici cl L'attention aux effets à un texte documentaire mais litté­ plastiques : raire, et, qui plus est, écrit par un grand romancier, on ne s'étonnera pas que la scène présente un intérêt plastique, inattendu si l'on songe que • Un intérêt paradoxal «la canaille» est en train de saccager si l'on considère le un palais au luxe raffiné.

Mais, sujet traité. comme telles figures marquantes du cinéma contemporain, Bufiuel ou Fel­ lini par exemple, Flaubert se montre indifférent au sujet parce qu'à ses yeux l'art transfigure tout, comme il ne cesse de le répéter dans ses lettres à son amie Louise Colet.

Il témoigne ici d'un sens réel des mouvements de foule, évoque aussi bien les réactions d'ensemble, «le peuple», «on», «la canaille», que les détails révélateurs de la mentalité collective dans une atmosphère insurrectionnelle; d'où l'attention portée à des gestes caracté­ ristiques.

Les effets plastiques concernent surtout le rapport du peuple aux choses, qui constituent à ses yeux, de façon métonymique*, les substituts de la monarchie et des classes possédantes : ameublement («glaces», «rideaux», «lustres»), vêtements («dentelles», « cache­ mires»), objets précieux ( « porce­ laines», « cristal») sont offerts en holocauste à la dérision et au saccage dans le premier paragraphe, jusqu'au moment où à la destruction volon­ taire succède une quasi-disparition des objets : « une curiosité obscène fit fouiller tous les cabinets, tous les recoins, ouvrir tous les tiroirs» (on remarquera au passage l'insistance de la répétition), qui paraissent aussi vides que «la couche des princesses». Les lignes suivantes : «d'autres à figures plus sinistres...» donnent une dimension presque onirique à cette deuxième séquence.

Quand on connaît l'importance des objets dans l'univers flaubertien, on sent bien que l'essentiel de la signification du texte se dissimule dans ce rapport du peuple aux choses, de sorte que le récit pictural riche en effets plastiques que nous révélait une première • Les mouvements de foule. • Le rapport du peuple OLIX objets. +---- Transition. lecture pourrait bien être avant tout un discours sur l'émeute populaire du 24 février 1848, et, au-delà, sur l'Histoire. On constatera d'abord, dans cette perspective, que l'ordre du récit relève d'une technique moins innocente qu'il n'y paraît.

Tout compte fait, les deux premiers alinéas ne correspondent pas véritablement à la succession des phénomènes, mais racontent le même événement, le saccage, sur un ton différent, comme l'indique le narrateur lui-même : «Puis la fureur s'assombrit.» Le premier paragraphe évoque une forme de gaieté, suggérée par plusieurs notations: «une joie frénétique éclata», «ne fallait-il pas s'amuser?», «la canaille s'affubla ironiquement de dentelles et de cachemires», «les uns dansaient...» Le vandalisme luimême ne semble pas pris au sérieux dans la longue phrase qui clôt la phase «joyeuse» du pillage, témoin la comparaison avec «des lames d'harmonica». Le deuxième paragraphe, au contraire, évoque des personnages plus sinistres et moins bruyants : ils errent «silencieusement», animés de sentiments violents et primaires, l'en­ vie de voler et un brutal désir sexuel: «Des galériens enfoncèrent leurs bras dans la couche des princesses; et se . roulaient dessus par consolation de ne pouvoir les violer.» Aussi, fondée en apparence sur la psychologie de masse, la composition de la page peut-elle faire penser à l'évolution politique de la France entre 1789 et 1793, de la prise de la Bastille à la Terreur, sous une autre révolution qui n'a jamais cessé de 2e partie: un discours subjectif sur !'Histoire. a) Un autre ordre du récit : • Un même événemenf raconté deux fois. • Une composition symbolique. hanter les esprits bien-pensants au e siècle et au-delà.

La même radi­ calisation se manifeste ici et justifie d'une autre façon la suffocation qui conduit les deux jeunes gens à se reti­ rer.

L'image finale s'explique encore mieux dans une telle optique puis­ qu'elle renvoie sur le mode de la déri­ sion à toute une imagerie révolution­ naire. La dérision implique à la fois le rire et le mépris.

Elle souligne la fonction centrale du texte qui consiste à mettre en scène pour les détruire les mythes révolutionnaires, et d'abord le mythe républicain et socialiste du Peuple. Pour les besoins de la cause, ce der­ nier est présenté comme effrayant et vulgaire. Quelques authentiques ouvriers apparaissent bien ici ou là, soit nommément : « des chapeaux à plumes d'autruche ornaient la tête des forgerons», soit indirectement : «des crépines d'or s'enroulèrent aux manches des blouses», vêtements de travail que les ouvriers de cette époque mettaient.... »

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