HOBBES ou L'Etat représentatif par Lucien Jaume Si l'Etat est fort, il nous écrase; s'il est faible, nous périssons Paul...
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HOBBES
ou
L'Etat représentatif
par Lucien Jaume
Si l'Etat est fort, il nous écrase; s'il est
faible, nous périssons
Paul Valéry.
L'Etat et l'obéissance
Pourquoi les hommes ont-ils affaire à l'existence de
l'Etat, cet organisme exerçant sur la société le pouvoir politique? Cette question, Hobbes la reprend après d'autres
parce qu'elle est dans la tradition, depuis Aristote notamment, mais aussi parce que son époque la rencontre avec
acuité : époque de la première révolution en Angleterre qui
voit la guerre civile menée par le Parlement contre les partisans du roi, la victoire de Cromwell, l'abolition de la
monarchie, et la décapitation de Charles l"'.
Affronté au
déchaînement de la violence, le philosophe anglais prend
ses distances : il s'agit de tenter de penser avec sérénité le
problème politique.
Pour ce faire, il quitte son pays pour la
France où il rédige trois ouvrages successifs, dont le dernier, Léviathan (1651 ), assure la maîtrise de sa pensée.
On
peut retrouver dans cette volonté de penser le mal fondamental de l'époque, le projet par excellence du philosophe:
surmonter la violence, et le non-sens, par le recul que
requiert la raison; ainsi Descartes, quittant lui la France, et
gagnant la Hollande, attendant - comme il dit au début
de la première des Méditations métaphysiques - de s'être
« procuré un repos assuré dans une paisible solitude».
Mais, puisque pour Hobbes le fait politique contemporain
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est celui de la rébellion contre le roi, le grand problème
qu'il lui faut examiner est, en même temps que l'existence
de l'Etat, les raisons de l'obéissance : pourquoi faut-il que
les hommes obéissent à l'Etat? Et à quelles conditions peuvent-ils légitimement accepter d'obéir?
L'ordre et la sécurité
Si nous réfléchissons d'abord, pour notre part, sur ces
deux dernières questions concernant l'obéissance, la simple
raison nous suggère des réponses.
D'abord, les hommes
doivent chacun obéissance pour que l'ordre soit, c'est-àdire que chacun soit protégé, vive en sécurité.
L'ordre consenti par tous garantissant la sécurité de chacun.
Mais d'autre part, les hommes ne seront vraiment convaincus de la
nécessité de l'obéissance que si l'Etat assure l'exercice du
bien public : l'obéissance est légitime si le commandement
est légitime, entendons qu'il travaille pour le bien de ceux
à qui il commande.
Si donc, l'Etat exerce par son gouvernement une autorité, et non une domination.
Si nous admettons le bien-fondé de ces réponses, nous nous préparons à
comprendre la théorie hobbienne de l'Etat : elle explique
en même temps pourquoi l'Etat existe et d'où provient sa
légitimité.
Léviathan, c'est-à-dire l'Etat, ainsi surnommé
par Hobbes, existe d'une part pour assurer la sécurité de
chacun, d'autre part en tant que représentant de chacun.
Résumons à grands traits cette problématique, avant d'étudier la démonstration.
Une
«
personne artificielle»
L'articulation de cette fonction (protectrice) et de cette
nature (représentative) de l'Etat s'organise par la théorie du
« contrat » comme créateur de la « personne artificielle »
du Souverain.
L'idée de contrat en politique n'était pas
neuve, mais l'originalité de Hobbes sera de faire par là de
l'Etat un être purement artificiel, c'est-à-dire œuvre de l'art
humain, en s'opposant ainsi à la tradition aristotélicienne
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qui dérive le pouvoir politique de micro-communautés
naturelles.
Nous sommes entièrement créateurs de l'ordre
civil et de l'ordre politique, et c'est cette origine purement
humaine (ni naturelle, ni non plus garantie par une transcendance divine comme le pense le Moyen Age) qui peut
le mieux fonder la nécessité de l'obéissance et la légitimité
de l'obéissance.
En effet, c'est nous qui faisons le souverain
(monarque ou aussi bien assemblée, elle-même aristocratique ou démocratique) en faisant notre Représentant, et c'.est
donc à nous-mêmes, finalement, que nous obéissons, en lui
obéissant.
« Personne artificielle » et « personne représentative» du souverain se conjoignent dans cette idée : l'Etat
émane des hommes, les hommes peuvent et doivent obéir
à l'Etat puisqu'il les représente.
Le pouvoir pur
Ainsi, le grand mérite de Hobbes est d'être lé premier
philosophe systématique de l'Etat représentatif moderne,
dont l'avènement factuel se fera en France au siècle suivant, en 1789.
Hobbes ouvre ainsi la modernité, à la suite
de Machiavel.
Est-ce à dire pour autant que Hobbes a
fondé, et cela avant Rousseau, la souveraineté populaire ?
Ou encore, que la théorie hobbienne de l'Etat est celle du
gouvernement démocratique tel que nous l'entendons ? Il ·
n'en est rien.
Que la souveraineté soit œuvre de l'art
humain n'implique pas chez lui que le peuple soit souverain; d'autre part, sa perspective n'est pas celle de la précellence du gouvernement démocratique, ni d'aucun
gouvernement d'ailleurs (bien qu'à tout prendre, Hobbes
donne au passage l'avantage au gouvernement monarchique): sa théorie se veut celle de l'essence du pouvoir d'Etat
en général, et non d'une forme de gouvernement.
Le Léviathan est une théorie pure du Pouvoir, ou encore, une théorie
du Pouvoir sous sa forme pure.
II nous faut donc examiner,
en même temps que la démonstration opérée, les raisons de
ce double refus chez lui, qui choque les idées contemporaines : refus envers la souveraineté populaire, refus envers le
privilège démocratique.
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Hobbes
L'état de nature
La raison principale tient à cette idée que Hobbes est,
peut-être, le premier à concevoir : la fiction théorique de
l'état de nature.
Selon un ordre déductif rigoureux (qui tient
à une rationalité inspirée de la nouvelle physique, celle de
Galilée), l'état de nature va engendrer, par une nécessité de
type mécanique, le passage à l'institution de l'Etat, la création d'une....
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