HUME ou L'enquête su r la croyance pa r J e a n -Miche Muglion l i Le philosophe n'est...
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HUME
ou
L'enquête
su
r
la
croyance
pa r J e a n
-Miche Muglion
l
i
Le philosophe n'est pas un sorcier
Hume déçoit celui qui, le prenant pour un sorcier, attend
qu'il réponde par des croyances nouvelles aux questions
que les hommes ont coutume de se poser.
Mais quelle joie
éprouve son lecteur s'il a compris que la philosophie ne
prétend pas donner des opinions autorisées et ne cherche
pas ce que les hommes croient en général ignorer, mais
s'interroge, socratiquement, sur tout ce qu'ils croient savoir
et qui pour eux « va de soi».
Nous ne nous proposerons
pas ici d'exposer les opinions de David Hume, puisqu'il
eut les croyances communes aux hommes, mais de montrer
l'esprit de ses enquêtes philosophiques qui ne portent pas
sur les choses mais sur nos croyances, non pour les changer,
mais pour comprendre comment il se fait que nous les
ayons.
Relations d'idées et faits
Ainsi l'enquête ne veut pas, comme l'instruction d'un
juge ou les recherches d'un historien, établir des faits ; elle
cherche ce qui fait que nous croyons aux faits et quelles
croyances présuppose l'établissement du moindre fait.
Les
propositions mathématiques peuvent être découvertes « par
la seule opération de la pensée, sans dépendre en rien de
ce qui existe dans l'univers.
Même s'il n'y avait jamais eu
de cercle ou de triangle dans la nature, les vérités démon
trées par Euclide conserveraient pour toujours leur certitude
et leur évidence ».
Il faut donc distinguer les objets que la
pensée découvre sans sortir d'elle-même, qui sont seule
ment des relations d'idées, et les faits que la pensée ne peut
établir de la même manière : comment savons-nous que le
pain est un aliment ou que le soleil se lèvera demain ?
Fait et cause
Il peut paraître étrange que pour parler d'un fait nous
prenions avec Hume l'exemple d'un événement futur.
Mais
si nous sommes certains que le pain est un aliment, nous
sommes assurés que si nous ·Je mangeons, il nous nourrira.
Notre croyance présuppose ici que le futur ressemblera au
passé et qu'une même cause doit produire les mêmes effets.
C'est un fait que l'eau gèle par grand froid jusqu'à devenir
aussi solide que la pierre : chacun entend par là qu'ayant
vu la chose se produire il croit que le prochain grand froid
produira le même effet.
Il est donc remarquable comme
notre croyance naturelle aux faits dépasse toujours l'évi
dence des sens et de notre mémoire.
Nous ne cessons,
quand nous nous référons à des faits (dont l'ensemble est
notre expérience des choses et des hommes), de supposer
entre eux des connexions telles qu'ils doivent se produire
selon un ordre invariable, c'est-à-dire selon des lois cau
sales.
Causa sive ratio.
A priori, a posteriori
Or les cartésiens, avec la notion de cause, et les physi
ciens, découvrant des lois qu'ils considèrent comme des
rapports nécessaires entre les phénomènes, prétendent trou
ver un ordre de la nature qui est raison ou qui du moins
est objectif.
Si l'expérience humaine n'est pas expérience
ponctuelle de faits immédiats mais toujours mise en rela
tion, ne retrouvons-nous pas la raison dans l'expérience?
La formule cartésienne, causa sive ratio - la cause ou la
raison -, signifie que la cause qui produit un effet est aussi
la raison de cet effet, c'est-à-dire le principe de son explica
tion rationnelle.
Ainsi l'effet est déductible comme une
conclusion qu'on peut tirer ou extraire de ses prémisses par
analyse.
C'est ce qu'on appelle en termes scolastiques une
preuve a priori ratione : la preuve a priori de l'existence
de Dieu déduit l'affirmation de l'existence par l'analyse du
contenu de l'idée de Dieu.
Au contraire la preuve a poste
riori ratione remonte de l'idée de Dieu en nous à Dieu
comme cause de cette idée (Descartes, Troisième Médita
tion) ou remonte du monde comme effet à Dieu comme à
sa cause ou raison.
A priori, on va de principe à consé
quence, a posteriori, de la conséquence au principe.
Ainsi,
par l'analyse de l'idée de la cause, l'esprit déduit a priori,
sans sortir de lui-même, l'idée de son effet, sans ajouter
quoi que ce soit à l'idée de la cause.
S'il ne fait qu'explici
ter la première idée, sans penser quelque chose d'autre que
ce qu'elle contient, le principe de non contradiction, en
vertu duquel il est certain de ne pas admettre en conclusion
quelque chose qui répugne à ce que contiennent les prémis
ses, confère à la déduction et à la liaison causale une néces
sité : est nécessaire - au sens de nécessité rationnelle ce qui ne peut pas ne pas être, ce dont le contraire implique
contradiction.
La méthode de Hume
Pouvons-nous connaître a priori l'effet d'une chose quel
conque par l'analyse de l'idée de cette chose, sans consulter
l'expérience? Telle est la question que pose Hume.
Et pour
que la réponse ne soit pas faussée, il faut que nous imagi
nions la situation, que nous n'avons jamais vécue, d'un
homme qui se trouverait devant un objet dont il n'aurait
jamais vu quel effet il en résulte et qui n'en aurait été
informé par personne.
La fiction philosophique d'un Adam,
premier homme, conçu « avec l'entière perfection de ses
facultés rationnelles » pennet de savoir si, par ses ·seules
forces, sans sortir de lui-même, l'esprit peut tirer de l'idée
d'une chose quelconque l'idée de l'effet qu'elle produit,
comme on tire a priori une conséquence d'un principe.
Imaginons-nous donc le spectateur intelligent du spectacle
entièrement nouveau pour nous d'une bille de billard en
mouvement ; faisons comme si nous n'avions jamais assisté
à une partie de billard ni à un quelconque phénomène de
mouvement ou de choc analogue.
L'enquête demande donc
un effort de mise entre parenthèses radicale de notre expé
rience ordinaire et de notre vie d'homme.
Elle suppose que
nous retrouvions par le rigoureux exercice qu'est la philo
sophie le regard neuf ou la pensée originaire de l'esprit
quand il est en face du monde avant que son expérience
soit constituée.
Il faut remonter à une origine dont nous
n'avons pas le souvenir.
ou plutôt que nous n'avons jamais
connue, puisque toute connaissance et toute expérience en
dépend.
Un effet 11 'est pas connu a priori
Si nous n'avons jamais vu comment la seconde bille réa
git au choc de la première, nous ne pouvons deviner son
mouvement.
pas plus que le roi de Siam ne pouvait croire
que l'eau d'un lac, dans l'hiver écossais, se solidifie jusqu'à
supporter un éléphant, ne l'ayant pu voir sous la latitude de
ses Etats.
Le roi de Siam est quasiment, par rapport à la
congélation de l'eau, dans la situation philosophique
requise pour définir notre vision naïve d'un tel phénomène.
A priori, par analyse, par la raison seule, nous ne pouvons
donc connaître le moindre effet : seule l'expérience peut
nous montrer quel effet résulte d'une chose donnée.
Ainsi, l'expression a priori, dont nous avons vu le sens
premier et son opposition à a posteriori, va maintenant, et
pour la suite de l'histoire de la philosophie, s'opposer à
« empiriquement » ; à partir de Kant, on dira « connais
sance a posteriori » pour « connaissance empirique ».
Hume
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Cause n'est pas raison
Nous ne pouvons déduire l'effet de l'idée de sa cause,
sinon illusoirement, après coup, quand nous l'avons vu survenir.
Surtout, n'importe quel autre effet pourrait aussi bien
être conçu comme résultant de la même cause : il n'y a
aucune contradiction à penser qu'un morceau de métal ou
une pierre sans support reste e,n l'air.
Certes, un tel événement nous étonnerait, il serait contraire à notre attente, il
contredirait notre expérience, mais cela ne signifie pas qu'il
est logiquement contradictoire.
Il n'y a rien d'incohérent,
d'inconcevable, rien qui répugne au principe de non contradiction, dans l'idée• d'un corps sans support qui ne tombe
pas.
De même il n'y a rien de rationnel ou de logique dans
le fait que la chaleur fait fondre la glace et durcit l'argile,
ou que le cristal est l'effet de la chaleur et la glace l'effet
du froid.
Aucune analyse, fidèle seulement au principe
d'identité ou de non contradiction, ne saurait découvrir a
priori de telles relations entre les faits.
La liaison causale,
dira Kant, n'est pas analytique, mais synthétique.
« Tout
effet est un événement distinct de sa cause », dit Hume.
La
cause n'est donc pas raison, nous n'avons pas une connaissance rationnelle quand nous parlons de causalité; il n'y a
pas de rationalité du réel, ou du rrioins la faiblesse de l'esprit hum_ain est telle qu'il ne peut jamais connaître la raison
ou la nécessité rationnelle d'aucun fait.
Conjonction et connexion
S'il faut avoir vu geler l'eau, la pierre tomber, pour
savoir quel effet résulte de quelle cause, que nous apprennent ici nos sens ? Que voyons-nous ? C'est une erreur de
croire que la raison déduit ces effets, mais n'en est-ce pas
une aussi de dire que nous voyons une cause produire un
effet ou un effet résulter d'une cause? N'oublions pas la
rigueur de 1' enquête, retrouvons le regard originaire qu'aurait sur ce qu'il voit un homme qui ne croirait encore en
aucune liaison causale : « la première fois qu'un homme
vit le mouvement se communiquer par impulsion, par
exemple le choc de deux billes de billard, il ne put affirmer
que l'un des deux était en connexion avec l'autre; il
affirma seulement qu'il y avait conjonction».
Ce n'est donc
pas plus l'évidence des sens que la raison qui nous fait
affirmer la liaison causale : elle n'est pas plus a posteriori
qu'a priori.
Le dépassement de l'expérience
Mais après avoir vu plusieurs fois deux événements se
succéder dans le même ordre, ne sommes-nous pas ins
truits, par l'expérience, d'une liaison causale? Cette répéti
tion signifie qu'il n'y a pas seulement coïncidence, nous
sommes en droit d'inférer que la prochaine fois les choses
se passeront de la même manière : post hoc, ergo propter
hoc, après cela donc à cause de cela, disait un adage scolas
tique.
Fidèle à sa méthode, conséquent, Hume demande
quel changement s'est produit dans ce que nous voyons
entre la première conjonction (des mouvements des billes)
et la millième : or la millième fois nous ne voyons rien de
plus que la première, et par conséquent notre croyance en
une liaison causale ne procède en rien de l'objet et de la
connaissance que nous en avons par les sens.
Quand nous
avons vu plusieurs fois la même conjonction, nous con
cluons qu'il y a connexion nécessaire et qu'à l'avenir il en
ira de même, et nous disons ainsi plus que ce que nous
pouvons voir et savoir.
Nous présupposons que l'avenir res
semblera au passé, ce que l'expérience ne peut manifeste
ment pas montrer; car elle nous montre que jusqu'ici les
choses ont toujours suivi le même train, mais elle ne porte
pas sur le futur, qui n'est pas encore.
Quand il sera, c'est
comme présent, .et cela ne prouvera donc toujours rien pour
l'avenir.
Ainsi notre croyance en la causalité ou en la res
semblance du passé et du futur ne repose sur aucune intui
tion ou démonstration, elle dépasse l'expérience : « dire
qu'elle vient de l'expérience, c'est une pétition de principe,
car toutes les conclusions tirées de l'expérience supposent
comme fondement que le futur ressemblera au passé».
L'habitude
L'expérience et la raison ne permettent pas de justifier
notre croyance en la causalité·; pourtant, au moment même
où nous avouons que nous ne pouvons en rendre raison,
nous n'en doutons pas : nous voyons cette page sans douter
un instant qu'il a fallu tout un processus de fabrication pour
la produire.
Or la puissance d'une croyance ne prouve pas
qu'elle soit fondée, son caractère de croyance indéracinable
ne la justifie pas; la force de conviction n'est pas raison,
et lorsqu'un homme est persuadé d'une chose sans que la
raison puisse justifier cette croyance, il reste à déterminer
ce qui l'a poussé à l'admettre.
Qu'est-ce donc qui fait que
nous croyons qu'il y a entre les événements des con
nexions ? Quand deux événements se succèdent selon un
ordre déterminé et que nous assistons plusieurs fois à cette
conjonction; aucun changement dans ce que nous voyons
de nos yeux ou concevons a priori, rien qui.
vienne de l'ob
jet ou de l'idée que nous en avons, ne justifie que nous
considérions .ces deux événements comme liés.
Pourtant
nous ne pouvons nous empêcher de croire qu'ils le sont,
qu'il n'y a pas une simple coïncidence ; nous sommes natu
rellement et irrésistiblement portés à croire qu'il n'y a pas
seulement conjonction mais connexion.
Or, toutes les fois
que la répétition d'une opération de l'esprit ou d'un acte
particulier produit une « tendance à renouveler la même
opération ou le même acte» (un enchaînement d'idées ou
de gestes), sans que cette répétition soit volontaire et déter
minée par la raison.
nous disons que cette tendance estl'ef
fet de l'habitude ou de l'accoutumance : ainsi l'habitude
est le principe de la nature humaine qui nous permet de
comprendre pourquoi, ayant vu mille fois telle chose suivre
telle autre, nous ne pouvons éviter, quand la première appa
raît ou simplement quand nous en avons l'idée, d'attendre
ou d'imaginer la seconde.
L'imagination associe deux idées
et l'habitude donne à cette liaison subjective dans l'imagi
nation une force que nous éprouvons ; et ce sentiment nous
fait croire qu'il y a connexion : l'habitude produit le pas
sage d'une liaison subjective (entre deux idées) à la
croyance en une liaison objective (entre deux choses).
Notre croyance en la liaison causale a pour principe
non
de sa justification, mais de sa production
l'expérience
(il a fallu voir plusieurs fois la même répétition) et l'habi
tude (qui nous fit transformer la conjonction en connexion).
Scepticisme et conséquence
Toutes les justifications que les hommes proposent de
leurs croyances sont donc vaines ; ni la raison, ni l 'expé
rience seule ne permettent de les fonder.
Parce qu'il ne se
départit jamais de sa rigueur et de sa conséquence, Hume
aboutit à une conclusion sceptique.
Scepticisme et esprit de
suite sont une seule et même chose : ne trouvant aucun
fondement rationnel à une croyance, Hume n'invente pas,
comme les bâtisseurs de systèmes, une vaine justification,
il avoue son ignorance.
Comme il est ici question non
d'agir mais de comprendre et qu'il n'y a aucun risque que,
sous prétexte que nous ignorons le fondement de notre
croyance en la causalité, nous allions par exemple mettre
la main au feu pour savoir s'il brûle cette fois encore, le
philosophe n'a pas à vouloir justifier à tout prix ce qui lui
permet de vivre, comme les autres hommes.
Ainsi consé
quent, le scepticisme n'est pas le refus de la raison, il est
au contraire animé par une exigence de raison extrême, si
rigoureuse qu'elle ne trouve pas satisfaction dans les pré
tendues justifications rationnelles et préfère l'aveu d'igno
rance à une satisfaction illusoire.
Le scepticisme n'est pas
une solution de facilité, il suppose le plus grand courage
philosophique : il est facile de construire des systèmes
métaphysiques pour se donner l'impression de comprendre.
Désespoir sceptique et vie
Résolu à ne s'en laisser imposer par aucune fausse rai
son, par aucun système, ne pouvant compter sur rien ni
personne, Hume connut le désespoir.
Il écrit en 1734 : « Je
suis d'abord effrayé et confondu de cette solitude désespé
rée où je me trouve placé dans ma philosophie».
Car le
Hume
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scepticisme, reconnaissant l'incapacité des hommes à comprendre parce qu'il repose lui-même sur une exigence de
compréhension, est fondamentalement déception.
Mais la
nature nous guérit de cette mélancolie : « je dîne, je....
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